Burqa or not burqa

Accommodements ou Intégrisme - ailleurs dans le monde


Samedi dernier, au marché Jean-Talon, une jeune mère faisait ses emplettes avec sa fille. Nous étions encore en pleine canicule. La fillette d'environ huit ans qui s'émerveillait devant les étalages de légumes ressemblait à toutes les petites filles de son âge. À une différence près: elle portait le voile!
Je me suis spontanément demandé comment on pouvait porter un voile sous cette chaleur. Puis, je me suis senti mal à l'aise. Comment pouvait-on obliger une enfant de cet âge à porter un symbole normalement réservé aux seules filles pubères? Même à Paris, à Tunis et à Beyrouth, je n'avais pas vu d'enfants porter le voile. Quel extrémisme pouvait donc motiver l'imposition d'un tel ostracisme à une fillette de cet âge? Et surtout, comment la bonne société, que l'on dit respectueuse des libertés individuelles et des droits de l'enfant, pouvait-elle continuer, comme si de rien n'était, à discuter de la saveur des courgettes et du prix des poireaux devant un spectacle aussi affligeant?
On a fait beaucoup de cas de la canicule récemment. A-t-on pensé à s'enquérir du sort de ces enfants et de ces femmes que des extrémistes obligent à se couvrir des pieds à la tête? Je n'ai vu aucun pompier mesurer la température qu'il faisait ce jour-là sous les niqabs. C'est à se demander si notre prétendu respect des pratiques religieuses ne dissimule pas plutôt une indifférence assez courante dans les sociétés riches et repues.
Hasard du calendrier, l'Assemblée nationale française adoptait cette semaine une loi bannissant le voile intégral des lieux publics. Un article de cette loi est passé inaperçu. Il condamne à 40 000 dollars d'amende et un an de prison celui qui oblige une femme à porter la burqa. La peine est doublée s'il s'agit d'une mineure.
On dira que le geste est symbolique. Mais, il arrive que les symboles importent. Au Québec, certains ont facilement rejeté du revers de la main cette loi par ailleurs unanimement condamnée dans les pays anglo-saxons et même par le département d'État américain. Son adoption est évidemment liée à une conjoncture politique où la droite tente de récupérer le vote d'extrême droite. Mais le fort soutien qu'a obtenu la loi, même à gauche, montre que le débat ne se réduit pas à une attitude politicienne visant à stigmatiser les musulmans. Il s'agit de tout autre chose.
L'interdiction de la burqa dans les lieux publics de France est le fruit d'une réflexion amorcée il y a plus d'un an. Et notamment du travail d'une commission qui a entendu tous les points de vue. Sans nier le contexte différent dans lequel évolue le Québec, plusieurs des arguments qui justifient la loi française méritent notre attention.
Le plus important consiste à dire que voiler son visage dans les lieux publics est contraire à tous les usages de notre civilisation et à toutes les règles de la vie en société. En effet, la loi française n'invoque pas d'abord la dignité de la femme, un argument qui pourrait aussi servir à interdire la pornographie, par exemple. Elle n'invoque pas la sécurité, puisque le citoyen ne peut pas être tenu de s'identifier à tout moment. Elle invoque l'ordre public. Ce même ordre public qui nous interdit de nous promener nus dans la rue. Une personne nue ne cause pourtant de tort à personne. Comme l'a fort bien expliqué le juriste Guy Carcassonne, «en France, on cache son sexe et l'on montre son visage». Un argument repris par la philosophe Élisabeth Badinter, qui affirme qu'«en Occident, il n'y a pas de vêtement du visage». Se présenter à visage découvert serait donc une condition essentielle et incontournable de la vie en société sans laquelle la liberté, l'égalité, et à plus forte raison la fraternité, n'ont plus de sens.
Un second argument mérite notre attention. Certains députés, notamment socialistes, favorisaient plutôt l'interdiction de la burqa dans les seuls services publics comme semble le faire la loi québécoise. On peut comprendre qu'il s'agisse d'un compromis. Mais à quel titre l'État déciderait-il d'interdire la burqa sur ses terres et pas ailleurs, a demandé le député Jean-François Copé? Du seul fait qu'il est chez lui? Chaque commerçant pourrait donc faire la même chose. On peut comprendre que des règles spécifiques s'appliquent à l'école, lieu de savoir et d'apprentissage. Mais ailleurs? À moins bien sûr d'invoquer un autre argument: la laïcité à laquelle est tenu l'État. C'est d'ailleurs le seul argument qui permet de distinguer la salle d'attente du palais de justice et celle d'une pharmacie, par exemple, où les clients font remplir leur ordonnance.
Dernier point, mais non le moindre, le législateur a choisi de proposer une loi qui pourrait éventuellement être contestée devant les tribunaux, comme l'a souligné le conseil d'État. Loin de se plier à la dictature des juges, il estime que chacun doit jouer son rôle et que c'est ainsi que la démocratie sera la mieux servie. Bref, la logique des élus, qui sont redevables à leurs électeurs, ne doit pas être celle des magistrats comme on a trop souvent tendance à le croire. L'occasion est rare, mais pour une fois, les Français nous donnent l'exemple d'un sain équilibre des pouvoirs. Un exemple déjà suivi par la Belgique et qui fait réfléchir de nombreux pays européens.
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crioux@ledevoir.com


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