Bulletin météo de mi-campagne électorale

Les médias voudront, pour prendre une image, déshabiller Pauline pour habiller François afin de faire lever une vague politique et s’assurer que le PQ ne soit pas un gouvernement majoritaire.

Élection Québec 2012 - ... et les médias



La météo politique est assez précise pour annoncer déjà une tendance qui se dessine dans le ciel politique québécois. Fort d’une brève analyse de la « couverture » des deux premières semaines, allons-y d’un bulletin météorologique de mi-campagne. Présentons sans tarder la météo actuelle ainsi que les prévisions en vigueur sur le Québec pour les prochains jours.
La méthodologie
La météo politique part de l’idée selon laquelle les médias – surtout lorsqu’ils travaillent en convergence – sont des acteurs importants dans l’atmosphère politique et que, lorsqu’ils sont invités à rapporter ce qui est dit par les candidats durant la journée de campagne, ils peuvent le faire sous un jour favorable ou non, ce qui peut modifier l’allure de la campagne. La couverture des partis politiques – autrement dit l’espace médiatique occupé – annonce déjà en probabilités les résultats de fin de campagne parce qu’elle implique la possibilité de faire naître des tendances et de les confirmer. En effet, par leur couverture, la publication de sondages et l’organisation de débats, les médias acteurs peuvent travailler à faire lever le vent pour un parti ou pour un autre. Jamais neutres, ils peuvent contribuer parfois à créer le phénomène de la vague politique, ralentir une campagne, voire la masquer complètement. En météo politique, le vent souffle de face ou de dos puisque la neutralité médiatique ne peut pas exister. L’application de la météo à la politique dit qu’une campagne électorale se gagne lorsque le vent qui souffle pour vous a progressé et qu’il se trouve assez fort pour vous porter, dans les médias, jusqu’à la sortie du vote. Quant à nos prévisions générales, et non locales, elles reposeront sur le travail des médias acteurs montréalais depuis deux semaines environ.
La météo actuelle
La météo actuelle s’appuie sur une première réception du traitement médiatique des deux dernières semaines. Elle porte surtout sur les trois partis (PLQ, CAQ, PQ) qui jouissent d’une couverture médiatique plus importante, car les radars et les satellites ne perçoivent pas encore clairement l’existence politique des tiers partis (PV, ON, QS, PCQ, etc.).
Un ciel couvert pour les libéraux et risque d’orage
Tout d’abord, les médias acteurs ont étudié la campagne libérale. Ils l’ont traitée en priorité, tant au niveau du temps d’antenne, des reportages que des manchettes et des titres. Ils ont annoncé que le parti connaissait un début de campagne difficile et que, après neuf années au pouvoir, les électeurs avaient développé un sens critique. Dit autrement, la population envisagerait un changement. Canadiens, fédéralistes et attachés aux intérêts privés, ils ont envisagé rapidement une alternative dans la Coalition avenir du Québec (CAQ) dirigée par François Legault. Ils ont aussi constaté que le Parti québécois (PQ), dirigé par Pauline Marois, recevait encore une fois sa part de sympathie, autour de 35 % des voix, qu’il pouvait prendre le pouvoir majoritaire et qu’il fallait donc tourner au plus tôt le regard vers la CAQ, comme ils l’avaient déjà fait dans le passé pour l’Action démocratique du Québec (ADQ), ce qui a eu pour effet de valoir au parti de Legault une remontée soudaine – autour de six points de pourcentage – dans les sondages. Le ciel semble donc couvert pour les libéraux, il y a même un risque de panique, peut-être d’orage, voilà ce que les sondages des médias annoncent et confirment depuis les derniers jours.
Un léger vent souffle pour la Coalition avenir Québec
Les médias ont voulu, en début de campagne, faire de la CAQ une véritable alternative aux libéraux. Ce n’est donc pas un hasard s’ils ont fait des manchettes en boucle, pendant la première semaine, avec les candidatures « vedettes » de Duchesneau et de Barrette, qu’ils ont même présentés comme futurs ministres ! Ils ont couvert surtout ce nouveau parti afin de lui conférer la crédibilité qui lui manquait. Lors de la seconde semaine, les commentateurs ont alors pris pour acquis les sondages afin de renforcer l’impression que la CAQ existait. Ils ont même parfois ressenti le besoin ou pris la liberté de critiquer un peu plus ce parti tellement ils l’avaient couvert et aidé en début de campagne ; il s’agissait aussi de faire croire à une certaine objectivité. Le vote pour la CAQ est volatile, il le demeurera encore, c’est pourquoi il exige encore des efforts de la part des médias. Or, tout cela est fort important car, un peu comme aux élections fédérales de mai 2011, les conditions météo sont presque déjà réunies pour que les Québécois, si on leur annonce et leur confirme qu’une « vague » pour la CAQ reste possible, se laissent à nouveau emporter. Rien ne vaut, au Québec, un vote massif du même côté, un vote d’ambiance, un vote collectif hypnotique, c’est-à-dire un vote dans le sens du vent médiatique, souvent du côté du soleil qui fait tourner les tournesols. Voilà pourquoi il y a panique dans le camp libéral et que les médias en témoignent à répétition. Pendant que les médias acteurs rapportent en boucle que Legault veut voir le « vent » lever avec son élection, on voile indirectement le ciel bleu du PQ, en avance dans les intentions de vote, mais aussi et surtout les petits cieux des tiers partis, des cieux que la population gagnerait, démocratiquement s’entend, à mieux connaître.
Ensoleillé avec passages nuageux pour le Parti québécois
La campagne du PQ n’attire pas les médias. Pauline, on la voit peu, sinon 15 à 20 secondes avant de passer aux autres nouvelles. L’essentiel de ses appuis, si les sondages publiés ont un sens, vient de sa clientèle habituelle. Les grands réseaux, bien que le parti semble mener dans les sondages, traitent le Parti québécois en troisième lieu, comme un parti obligé, mais résiduel. Ce parti ne peut pas imposer son agenda, car les médias acteurs forcent le regard ailleurs. Si les médias ne couvrent pas autant le PQ que les deux autres partis fédéralistes, sa force actuelle ne vient donc pas du changement de temps politique, mais bien plutôt de la tendance politique de l’alternance et de la solidité de sa base électorale. Le PQ, comme d’habitude, ne peut compter que sur lui-même en souhaitant pas trop de déformation de son message. Évidemment, tout observateur du temps politique sait bien que lorsqu’un parti réussit à dominer lui-même les sondages des firmes privées et s’octroyer malgré tout des embellies et du soleil, c’est que les médias chercheront sous peu à lui faire connaître des précipitations.
Cartes, satellites et radars
Aucune météo actuelle pour les tiers partis / une démocratie médiatique à réformer…
Les radars n’indiquent pas la présence de mouvement sensible pour les tiers partis (Option nationale, Parti vert, Québec solidaire, etc.) sur le territoire électoral. Les satellites ne peuvent dépasser les approximations classiques : QS se situe surtout à Montréal, ON n’a pas fait de percées identifiables – les médias ne veulent même pas que ce parti, qui a moins d’une année d’existence, participe au débat des chefs – et les autres partis n’existent pas encore médiatiquement. Ici, la carte de météo politique est utile : on ne retrouve pas de tiers partis dans la campagne médiatique actuelle, ce qui contrevient à la loi électorale mais est assumé par les grands médias, c’est pourquoi on ne peut rien prédire pour ces partis. Ce n’est donc pas un hasard si les médias acteurs répètent que voter pour QS ne peut pas amener ce parti au pouvoir ! Autrement dit, les médias rendent peu plausible voire impossible la prise du pouvoir par l’un des tiers partis alors que, logiquement, c’est le contraire qui est vrai : si la majorité des électeurs décidaient de voter pour QS, par exemple, celui-ci, un peu comme le PQ en 1976, prendrait le pouvoir. Mais on interdit cette pensée, on s’assure d’avance que ce vote est inutile, gênant voire stupide. Au mieux, il serait peut-être stratégique. Puisque les radars et les satellites ne les rejoignent pas et que les médias refusent la possibilité d’élire l’un des tiers partis, on ne donc peut pas connaître le temps qu’il fait dans ces partis, ni le temps qu’il fera. S’ils ne sont pas dans le temps politique actuel, cela ne veut pas dire par contre qu’ils ne le seront pas un jour.
Les prévisions à court terme
À prévoir pour les prochains jours
L’un des débats des chefs a eu lieu ce dimanche. Contre les trois partis les plus médiatisés, c’est, à la surprise générale, la cheffe de QS qui s’est le plus illustré. Il est cependant trop tôt pour savoir si les médias transformeront cette distinction et cette reconnaissance en possibilités politiques réelles. Or, on dit dans les médias qu’une montée de QS ne pourra se faire qu’au détriment du PQ, d’où l’importance de surveiller les prochains reportages. En raison de la structure médiatico-politique qui sévit au Québec, QS, qui sera absent de la « couverture » du réseau de convergence de Quebecor, devrait connaître une petite embellie, mais pas de vent politique fort. Les médias sociaux, qui participent eux aussi à leur manière au temps politique, ne pourront « confirmer » de tendance.
Avec les autres « débats des chefs » qui seront aussi fort médiatisés, on peut déjà sentir que le temps pourrait changer et que les médias acteurs seront tentés de modifier, à l’approche du vote, la météo politique. Leur couverture sera en conséquence de plus en plus tendancieuse, c’est-à-dire que la couverture voudra dégager une tendance, c’est-à-dire faire briller le soleil sur un parti et faire de l’ombre aux autres. On voudra refroidir de la même manière des régions péquistes, dans la couronne nord de Montréal, et en réchauffer d’autres.
Enfin, il est facile de prévoir que les médias acteurs – notamment La Presse (Gesca) et Radio-Canada, mais aussi à sa manière Quebecor, patron de TVA, Vidéotron et de nombreuses publications – tenteront de donner une belle image du chef du parti libéral, surtout si on sent que cette campagne est sa dernière. Ils travailleront pour garder la CAQ dans la course. Ils y verrons un intérêt national. On assistera sans doute à un micro-phénomène fascinant de climatologie politique : on tentera de provoquer artificiellement des nuages noirs au-dessus du PQ car il est premier parti dans les sondages et que son élection, surtout si elle est majoritaire, pourrait changer la politique canadienne. Ce parti souverainiste connaîtra un front froid qui risque de donner de fortes précipitations un peu partout dans les régions. Les médias voudront, pour prendre une image, déshabiller Pauline pour habiller François afin de faire lever une vague politique et s’assurer que le PQ ne soit pas un gouvernement majoritaire.
Voilà où s’arrêtent les prévisions de météo politique à court terme.

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Dominic Desroches115 articles

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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