Dans une chronique paru le 17 janvier dans le Globe and Mail, le chroniqueur Kenneth Whyte nous partage ses réflexions sur l’inutilité que le prochain chef du Parti conservateur du Canada soit bilingue. If it is, it is nous dit essentiellement le chroniqueur du Globe.
Le texte de Whyte est éloquent, car il représente en grande partie ce qui se dit présentement dans les médias canadiens-anglais hors Québec. S’il est vrai que la chronique de Whyte amène son lot d’arguments intéressants et pose un débat intéressant, il passe à côté de l’essentiel à l’image de ses collègues chroniqueurs.
Tout chef de parti souhaitant réellement gouverner le pays, et ayant des réelles chances de devenir premier ministre, doit minimalement être capable de s’adresser aux citoyens qu’il souhaite représenter. Dans une langue qu’ils comprennent et s’y reconnaissent.
Essayons d’abord de comprendre les quelques arguments intéressants soulevés par la chronique de M. Whyte. La fédération canadienne, depuis ses débuts, est en effet un pays difficilement gouvernable. Ces chefs successifs doivent jongler avec les différents intérêts régionaux qui forment le Canada. Une seule personne, comme le souligne M. Whyte, n’a jamais été aussi grande pour le représenter dans sa totalité. Que ce soit Macdonald, Laurier, Mackenzie King, Pearson, Trudeau père, Mulroney, Chrétien, Harper ou Trudeau fils, tous ceux qui forment l’imaginaire canadien se sont frottés à un moment ou un autre à des réalités régionales quasi impossible à réconcilier rendant la gouvernance du pays périlleuse.
Il est vrai également que les conservateurs n’ont jamais véritablement réussi à craquer le code Québec depuis les années Mulroney, et ce malgré des opérations de charme soutenu à son endroit. Les efforts titanesques du député conservateur et lieutenant politique du Québec lors de la dernière élection, Alain Rayes, et de ses prédécesseurs de présenter une équipe de candidats de qualité n’ont effectivement pas porté fruit.
L’adage célèbre affirmant que l’Ontario décide du gouvernement, et le Québec de sa majorité semble encore une fois s’être concrétisé lors de la dernière élection fédérale. Et la place de l’Ouest dans ce jeu politique ? Trop souvent oublié et évacué, alimentant une aliénation albertaine face au reste du Canada, qui se traduit aujourd’hui par une montée du Wexit.
Les qualités factuelles et analytiques du texte s’arrêtent là. Pour le reste, je ne peux qu’être en désaccord avec ses propos. Non, les francophones ne sont pas une quantité négligeable dans la fédération et on ne peut justifier la pertinence d’un chef conservateur unilingue par la dissolution prochaine du pouvoir québécois à l’intérieur de la fédération canadienne.
Mais surtout, la possibilité qu’un premier ministre soit unilingue entre en contradiction frontale avec l’entente initiale et actuelle de la fédération canadienne, soit une société binationale fondée à partir de deux peuples fondateurs. Un premier ministre unilingue nous renverrait donc à l’idée que le Québec constitue une communauté culturelle comme une autre au sein du Canada.
À la lecture de la chronique de Whyte et de la presse canadienne hors Québec des derniers jours, on ressent une profonde méconnaissance des réalités québécoises.
Et le bilinguisme officiel, aussi agaçant qu’il puisse être pour les anglophones, sert d’abord à cela : comprendre ce qui vient du Québec, et cela veut dire discuter avec les francophones dans la rue, ça veut dire pouvoir discuter en français avec des acteurs sociaux et culturels incontournables, ça veut dire être en mesure de lire le Journal de Montréal, La Presse, Le Devoir, ça veut dire donner des entrevues à TVA ou chez Paul Arcand, bref une panoplie d’aspects qui permettent de prendre le pouls du Québec.
Voyez-vous également que j’utilise le terme francophone plutôt que Québécois ? Car on l’oublie souvent, mais la réalité francophone ne se limite pas seulement au Québec, n’en déplaise à M. Whyte et aux autres. Les Acadiens, les Franco-Ontariens, les Franco-Manitobains et les autres francophones hors du Québec – environ un million de Canadiens - méritent tout autant un premier ministre capable de leur adresser la parole en français.
Il ne s’agit pas d’un caprice exagéré de la part des francophones du Canada, mais plutôt d’une marque de respect élémentaire de ce qui est censé être l’un des fondements du Canada.
Est-ce que cela veut dire que le bilinguisme est nécessaire pour tous les Canadiens ? Bien sûr que non. Mais pour ceux qui prétendent diriger le pays, analyser et comprendre les aspirations de ses populations, lire, comprendre et parler le français est une qualité essentielle et un atout nécessaire.
En cas contraire, si les conservateurs trouvaient à élire un chef unilingue, ils se trouveraient avec un nouveau caillou dans leurs souliers.
Des souliers qui pour remporter la prochaine élection, devront marcher un peu plus vers le centre, s’éloigner des questions qui appartiennent au siècle dernier, et se rendre encore plus souvent au Québec pour discuter avec les francophones, en français, afin de comprendre toute la complexité de la belle province à l’intérieur du Canada.