D’ici au 12 juin, nous saurons enfin comment le gouvernement libéral compte lutter contre la radicalisation, baliser les accommodements raisonnables, raffermir la neutralité de l’État. Pourquoi a-t-il tant tardé ? Quelques hypothèses.
Philippe Couillard a si souvent dit qu’il agirait « bientôt » sur la neutralité de l’État et la lutte contre l’intégrisme qu’il ironisait lui-même, mercredi matin, lorsque questionné au sujet de l’interception de 10 jeunes sympathisants du groupe État islamique, à Montréal, vendredi : « Bientôt arrive bientôt. »
Le 8 avril 2014, le lendemain de son élection, il n’y avait pourtant pas de temps à perdre, soutenait-il : « Il est important pour moi de traiter cette question tôt dans notre gouvernement. » Le nouveau premier ministre estimait que le débat avait suffisamment duré, avait créé des divisions douloureuses. Légiférer n’était pas très complexe puisque certains éléments faisaient « consensus » et auraient même dû être « adoptés auparavant » : « L’encadrement des accommodements, les [services de l’État à] visage découvert, la question de la neutralité de l’État […], la protection de notre patrimoine historique, dont notre patrimoine religieux, et les dispositions spécifiques sur la lutte contre l’intégrisme. »
Puis, en dépit de la multiplication des événements liés à l’intégrisme ici et ailleurs, les libéraux au pouvoir donnèrent l’impression de jouer avec les mots afin de reporter les échéances… d’abord à l’automne, puis à l’hiver, puis au printemps. L’objet et les mots mêmes changèrent : il ne s’agissait plus de lutter « contre l’intégrisme », mais contre la « radicalisation ». On apprit même que l’intégrisme pouvait être un « choix personnel » ; qu’un intégriste pourrait peut-être même travailler dans un cabinet du gouvernement Couillard… et puis non. Qu’il fallait lutter contre le radicalisme. Mais pas toutes les sortes : le radicalisme « violent » en particulier.
Ce qui semblait l’application simple de « consensus » en 2014 est devenu, semble-t-il, extrêmement complexe l’année suivante. Au fond, le gouvernement a embrassé trop large : il a voulu tout faire à la fois. On attendait une simple loi sur la neutralité de l’État ; un comité interministériel fut créé. À l’origine il comprenait deux ministères : Immigration et Sécurité publique. Puis se sont ajoutés Santé et des Services sociaux, Emploi, Famille, Éducation et Justice.
Mercredi, en affirmant qu’il y aurait plusieurs « pièces législatives » (une impropriété à prohiber en passant !), la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a donné l’impression qu’il fallait prévoir le dépôt de plus d’un projet de loi sur ces questions. Après vérifications, il y aura une « politique très large » (évoquée par M. Couillard mercredi), mais elle ne comportera qu’une loi, celle sur la neutralité religieuse.
Celle-ci, visant à garantir des services publics reçus et donnés à « visage à découvert » est un des facteurs qui retardent toute l’opération : des élus libéraux ont la conviction qu’elle ne réussirait pas le fameux test des chartes de droits. Ils se souviennent que le projet de loi 94 de 2010 — jamais adopté — avait un but similaire. Or, la Commission des droits de la personne (CDPDJ) avait à l’époque exprimé ses « vives inquiétudes » à son égard ainsi que son « malaise » à voir une loi viser ainsi un « groupe particulier de personnes qui, pour des motifs religieux, ont le visage couvert, à savoir les femmes musulmanes portant le niqab ».
Dans le fédéralisme juridique post-1982 qui est le nôtre, la jurisprudence compte plus que tout. La CDPDJ la connaît bien et a déjà sonné l’alarme. Ministres et élus libéraux débattent d’une formule et de considérations électorales. Rien d’évident. Rassurons-nous, c’est pour « bientôt ».
LUTTE CONTRE LA RADICALISATION
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