Commission Bastarache

Bellemare en rajoute : Charest l’aurait incité au silence

La version de l'ex-ministre commence à être mise à l'épreuve

Commission Bastarache


Québec — Se taire: c'est ce que Jean Charest aurait ordonné à Marc Bellemare le jour où ce dernier a démissionné en 2004: «Il m'a rappelé le serment. Il m'a dit... [...] Il était très nerveux: "Tu sais que tu as un serment ministériel. Fava, Rondeau, les juges, l'argent... ça n'existe pas".»
C'est sur cette autre bombe que la deuxième partie du témoignage de Me Bellemare s'est terminée hier vers 12h30. L'exercice ne reprendra que lundi à 9h30, à la demande du procureur en chef de la commission, Giuseppe Battista.
Le 27 avril 2004, le cabinet du premier ministre aurait souhaité qu'il invoque des raisons familiales pour justifier sa démission, a soutenu M. Bellemare. L'ex-ministre dit avoir refusé: «Je ne dirai pas que je démissionne parce que j'ai mal au ventre ou parce que ma femme veut que je démissionne.» Il avait tenu à dire à l'époque qu'il quittait son poste parce qu'il lui était impossible de mener à terme les réformes qu'il avait promises, notamment la réforme des tribunaux administratifs. Il n'avait aucunement fait mention, à l'époque, de ses inquiétudes à l'égard de la nomination des juges.
D'ailleurs, il a affirmé avoir ce jour-là rassuré Jean Charest: il n'était nullement animé d'un sentiment «vengeur» à son égard. Une fois en dehors de la politique, il ne ferait rien de «préjudiciable», telle une «guérilla», pour lui nuire.
Alors pourquoi a-t-il choisi, en mars et en avril 2010, de rouvrir publiquement le douloureux chapitre sur l'influence des collecteurs de fonds libéraux? lui a demandé Giuseppe Battista. C'est un coup de fil impromptu d'un journaliste du Soleil, Matthieu Boivin, un soir où Marc Bellemare se trouvait à Montréal pour assister à un match des Canadiens, qui a tout déclenché. À la question du reporter, M. Bellemare répond en dénonçant l'importance «excessive» que la FTQ revêt pour le gouvernement du Québec et signale enfin l'influence du milieu de la construction sur le gouvernement Charest.
Puis, c'est l'escalade de déclarations qui l'ont entraîné malgré lui, a-t-il soutenu, «dans cette tempête parlementaire». Quand Jean Charest a nié avoir discuté de questions d'influences indues avec M. Bellemare, le témoin-vedette a confié avoir été «renversé».
Quand, le 24 mars, en Chambre, Jacques Dupuis lui a enjoint de dire ce qu'il avait à dire et d'arrêter de niaiser, il a été choqué, d'autant plus que toute cette affaire lui rappelait de durs «souvenirs» de son passage éclair au gouvernement. Mais il était contraint de respecter ce serment de confidentialité, a-t-il insisté, et ne pouvait tout dire, même s'il avait «assisté à des irrégularités». En 2006, le gouvernement l'avait d'ailleurs mis en demeure de respecter son serment après que l'ex-ministre eut, à la télévision, exhibé un mémoire au Conseil des ministres, qu'il avait toujours en sa possession.
Interrogatoire serré
Plus tôt en matinée, Me Bellemare a eu à répondre à des questions précises du procureur Giuseppe Battista sur divers éléments de son témoignage.
L'ancien ministre a dû admettre par exemple que l'organisateur de l'Outaouais, Guy Bisson, n'avait pas tenté directement de le convaincre de nommer son fils Marc à la magistrature. Pourtant, Guy Bisson figurait parmi les six noms présents sur une liste manuscrite déposée mardi en appui à son témoignage. «Je n'ai jamais parlé à M. Bisson», a concédé M. Bellemare au sujet de la nomination du fils de ce dernier, Marc Bisson. Bref, les pressions auraient été faites par le truchement de l'entrepreneur Franco Fava.
M. Bellemare a aussi eu du mal à se remémorer en compagnie de quelles personnes de son entourage il avait dîné avec Franco Fava, dans divers restaurants de Sainte-Foy, à l'été 2003. C'est à cette époque que l'entrepreneur, selon la version de l'ancien ministre de la Justice, avait commencé à effectuer ses pressions «colossales» sur lui. Au total, selon le dénombrement effectué par le procureur, il y aurait eu 13 incidents, au restaurant et au téléphone, où M. Fava aurait tenté d'influencer M. Bellemare, qui a parlé «d'arrogance croissante». Me Battista, à un certain moment, a demandé directement à M. Bellemare s'il avait quelque preuve «objective et indépendante» de ses rencontres avec l'argentier libéral. M. Bellemare s'est montré vague, évoquant des «gens qui étaient au courant à l'époque et qui pourraient venir» corroborer ses dires. Le témoin a dû admettre qu'il ne possédait ni document, ni enregistrement audio et encore moins vidéo de ses rencontres. Alors qu'il avait soutenu lundi ne pas avoir d'agendas pour les années 2003 et 2004, il a laissé entendre hier qu'il pourrait «peut-être les retracer».
Tout ce qui demeure en guise de «notes», ce sont trois chapelets de lettres et de pictogrammes sur un carton d'une tablette de feuilles, gribouillés, comme il l'a révélé, en regardant un match de hockey, le soir de sa démission et le 3 mai. En prévision d'une commission parlementaire qui avait été réclamée par l'ADQ au printemps 2010, il avait bel et bien «colligé quelques brouillons» plus précis. Mais il a finalement choisi de les détruire, a-t-il relaté.
A-t-il partagé avec certains de ses proches ou d'autres personnes les inquiétudes qu'il éprouvait à l'égard des pressions de l'argentier Fava? Non, a-t-il répondu, soutenant n'en avoir parlé qu'à son premier ministre: «On ne pourrait pas aller chercher meilleur conseil qu'auprès de Jean Charest», s'était-il dit à l'époque, ajoutant qu'en politique, de telles confidences sur des sujets aussi délicats, «ça ne se fait pas».
Une confirmation
La version de Marc Bellemare commence à être mise à l'épreuve. Un avocat actif dans le barreau de Longueuil a soutenu au Devoir, sous le couvert de l'anonymat, que le témoignage de Marc Bellemare confirme des rumeurs qui avaient circulé à l'époque de la nomination de Marc Simard comme juge en chef. Le choix de ce dernier avait créé une «commotion» dans la région. «Les avocats étaient en colère. Je dirais même enragés. C'est comme si on ne faisait pas confiance aux gens de Longueuil», dit cette source.
Les collègues du juge coordonnateur Claude Chicoine avaient même commencé à le féliciter pour sa promotion à la Cour du Québec avant que le ministre Bellemare n'appelle à Longueuil pour lui dire que ce n'était pas lui qui aurait le poste. «Quand le ministre appelle, c'est habituellement pour des bonnes nouvelles», dit notre source du milieu judiciaire, qui a suivi les événements de près à l'époque. «Mais là, le ministre semblait vraiment troublé par son choix, ce qui était étrange. On comprend mieux maintenant», a-t-il dit.
Commandites: chronologie erronée?
Enfin, le reporter expert du scandale des commandites, Daniel Leblanc, du Globe and Mail, a publié en après-midi hier un texte sur le témoignage de Marc Bellemare. Mardi, l'ancien ministre de la Justice a soutenu qu'on l'avait averti du risque que représentait Guy Bisson, dont le nom allait peut-être faire irruption dans la commission Gomery. Or, souligne M. Leblanc, «M. Bellemare a démissionné en avril 2004, presque un an avant que le nom de Guy Bisson soit publiquement mentionné une première fois». De plus, M. Bellemare a situé ce commentaire sur Bisson à l'automne 2003, alors que c'est six mois plus tard, en février 2004, que le rapport de la vérificatrice Sheila Fraser sera déposé.
***
Avec la collaboration d'Alec Castonguay


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->