Avortement : un droit loin d’être acquis aux États-Unis

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43% des Américaines vivent désormais dans des États restreignant l'avortement


De récentes mesures législatives dans certains États ont remis sur le devant de la scène les restrictions au droit à l'avortement aux États-Unis, mais il ne s'agit que d'une nouvelle offensive dans une longue bataille, croient des expertes.




La Georgie, l’Ohio, le Kentucky et le Mississippi ont adopté plus tôt cette année des lois interdisant l’avortement dès la détection d’un rythme cardiaque chez l’embryon, ce qui est possible après six semaines de grossesse.


Des mesures similaires ont aussi été introduites au Missouri, au Tennessee, en Floride, dans l'Illinois, en Louisiane, dans le Maryland, dans le Minnesota, à New York, en Caroline du Sud et en Virginie-Occidentale. Pour sa part, l’Alabama a adopté en mai un projet de loi qui interdit l'avortement y compris en cas de viol et n’autorise l'interruption volontaire de grossesse (IVG) qu'en cas de risques mortels pour la mère.


Selon l’Institut Guttmacher, un centre de recherche sur les droits reproductifs, ce sont pas moins de 53 restrictions au droit à l’avortement qui ont été adoptées par les États entre le 1er janvier et le 5 juin 2019.



L’offensive contre le droit à l’avortement n’est cependant pas nouvelle, souligne Mary Ziegler, professeure au Florida State University College of Law et auteure de After Roe : The Lost History of the Abortion Debate.


« Depuis que la Cour suprême a rendu l’arrêt Roe c. Wade [en 1973], les efforts se poursuivent pour restreindre le droit à l’avortement », remarque-t-elle.


Au fil des ans, un nombre croissant d’États ont adopté des mesures de plus en plus restrictives.


Les États face à l'avortement


carte avortement états-unis

Parmi les mesures restrictives, on retrouve l’exigence d’une implication parentale pour les mineures, l’imposition de séances de consultation pré-avortement ainsi que d’une période d’attente après cette consultation, l’obligation de subir une échographie, l’interdiction du financement de l’avortement par le programme Medicaid (le système public d'assurance maladie couvrant les personnes à faible revenu), la restriction de la couverture de cette procédure par les plans de santé privés, l’interdiction de l’utilisation de la télémédecine, des restrictions sur l’avortement médical et des interdictions sur les avortements avant que le fœtus ne soit viable.


En ce qui concerne les mesures favorables, il y a l’affirmation du droit à l’avortement dans la constitution de l’État, l’établissement d’une norme juridique protégeant l’accès à l’avortement, la garantie d’une couverture de la procédure par Medicaid, l’obligation pour les plans de santé privés de couvrir l’avortement, ainsi que la protection de l’accès aux cliniques pratiquant l’avortement.


En conséquence, près de la moitié des Américaines, soit 43 % d’entre elles, vivent aujourd’hui dans des États hostiles ou très hostiles au droit à l’avortement, alors qu’elles n’étaient que 7 % dans cette situation en 2000.



Annuler Roe c. Wade


L’offensive des derniers mois s’explique par la volonté des opposants à l’avortement de profiter de la nomination à la Cour suprême des juges conservateurs Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh pour tenter de faire infirmer Roe c. Wade.


« Les opposants au droit à l’avortement sont engagés depuis des années dans une stratégie graduelle, soutient Carrie Baker, directrice du Programme pour l’étude des femmes et du genre au Smith College de Northampton, au Massachusetts. Ils tentent de réduire peu à peu le droit à l’avortement en appliquant des restrictions. Ils utilisaient cette stratégie parce qu’ils ne pensaient pas pouvoir s’attaquer directement à Roe c. Wade. Cela a changé avec les nominations de deux juges qui ont fait basculer la balance du côté des conservateurs. Ils sentent qu'ils peuvent maintenant obtenir une annulation complète de Roe. »



Ils veulent s’y attaquer de front, plutôt que de continuer à l’ébrécher, comme ils le font depuis des années.


Carrie Baker, directrice du Programme pour l’étude des femmes et du genre au Smith College de Northampton, au Massachusetts.


Ce que souhaitent les anti-avortement, c’est que les lois adoptées par les États soient contestées en justice par les groupes pro-choix et qu’au moins une de ces affaires se rende jusqu’à la Cour suprême pour ainsi, en fin de compte, infirmer cet arrêt qui les dérange tant.



Dans la pratique, cependant, il est peu probable que la Cour suprême accepte de rouvrir le dossier pour ne pas être accusée de partisanerie, croit Mary Ziegler. « Jusqu’à maintenant, la Cour a été très prudente dans sa façon de gérer l’avortement, souligne-t-elle. On sait que John Roberts, le juge en chef, se soucie de la réputation de la Cour; il veut qu’elle apparaisse comme au-dessus de la mêlée. »


Mme Ziegler estime que c’est plutôt une lente érosion qui va finir par avoir raison de ce droit.


« À la fin mai, au Missouri, un juge a dû intervenir d’urgence pour bloquer la fermeture de la dernière clinique pratiquant des avortements, raconte-t-elle. Et ce n’était pas à cause de la loi sur le battement cardiaque, mais plutôt parce que l’État refusait de renouveler le permis de la clinique. Alors, vous pouvez vous retrouver dans un État où l’avortement est impossible non pas parce qu’on l’a criminalisé, mais plutôt parce qu’on a trouvé d’autres façons de l’empêcher. »



C’est plus probable que ça se fasse de cette façon, parce que ça n’exige pas que les juges de la Cour suprême se salissent les mains.


Mary Ziegler, professeure au Florida State University College of Law


Une question de coûts


La plus importante barrière à l’IVG est plutôt économique, souligne Carrie Baker, qui est également présidente de l’Abortion Rights Fund of Western Massachusetts (Fonds pour le droit à l’avortement de l’ouest du Massachusetts), qui aide les femmes qui n’en ont pas les moyens à payer leur avortement.


Une femme tient un cintre sur lequel est écrit <br> «Plus jamais».Des manifestants pour le droit à l'avortement manifestent face à la Cour suprême des États-Unis, à Washington, le 21 mai 2019, lors d'une action concertée dans plusieurs États pour la défense du droit à l'avortement. Photo : Getty Images / ANNA GASSOT

« Cette stratégie graduelle d’imposer de plus en plus de règlements fait en sorte que l’avortement devient plus cher, remarque Mme Baker. Et quand vous augmentez le prix de l’intervention, cela en limite l’accès. »


Aux États-Unis, un avortement au cours du premier trimestre coûte entre 300 $ US et 1200 $ US, une somme qui n'est couverte par Medicaid qu'en cas de viol ou de risques pour la vie de la mère. La plupart des assurances collectives appliquent le même raisonnement. Résultat, selon le Center for Reproductive Rights (Centre pour les droits reproductifs), 74 % des Américaines doivent payer de leur poche les frais d’avortement.


De plus, puisque dans un grand nombre d’États il y a peu de cliniques, les femmes désirant se faire avorter doivent souvent se déplacer loin de leur domicile pour y parvenir. Si, en plus, la loi les oblige à faire deux visites distinctes, cela augmente encore les coûts.


« Au Massachusetts, un avortement au premier trimestre coûte 700 $ US, souligne Mme Baker. Si votre assurance ne le couvre pas, que vous gagnez le salaire minimum et que vous avez deux enfants à la maison et un loyer à payer, vous n’avez sûrement pas 700 $ US disponibles. »



L’avortement est encore légal dans l’ensemble du pays, mais il y a une grande différence entre ce qui est légal et ce qui est accessible.


Carrie Baker, directrice du Programme pour l’étude des femmes et du genre au Smith College, à Northampton, au Massachusetts


À l’autre extrême, les législatures de 25 États ont déposé cette année des projets de loi en vue d’affirmer et de protéger les droits reproductifs des femmes, illustrant ainsi à quel point le pays est divisé sur la question.




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