Autour du café parlementaire (historiette)

Chronique d'André Savard

Carole venait d'être élue plus jeune députée du Parti Québécois à l'Assemblée nationale. Elle avait déjà une solide expérience, étant devenue membre à l'âge de seize ans. Elle avait assisté à bien des batailles de personnalités. Le leadership au parti était rarement jugé inspirant. De colloque en colloque, elle avait entendu un grand nombre de mécontents à l'égard de Bouchard et Landry. Les plus vieux lui disaient que ce n'était guère mieux auparavant.
- Le procès envers celui qui est devenu numéro un est un élément du décor, lui dit un doyen. Au début, on s'en étonne quoique tu saches déjà un peu. On s'habitue à peu près mais il y faut du temps. Si tu avalais tout ce qui se dit, tu finirais par croire que tous les chefs du Parti Québécois sont des incapables sans grand calibre personnel.
Parfois ça pique, des vraies bibites, des maringouins moroses. Remarque, ça s'explique. Il est certain qu'être politicien provincial et chef de file de l'orientation souverainiste, ça ne va pas ensemble. Forcément, en vaquant aux affaires quotidiennes, on compose sur deux tableaux. Le plus souvent tu es vachement inconsolé par une aile militante qui veut que tu te débranches du cadre prescrit.
Le soir, Carole entra dans la chambre de son nouveau logement de Québec rempli de boîtes. Elle considéra sa casquette noire sur la table qu'elle avait coutume de porter, visière derrière, avant de se présenter députée. Elle se frotta la figure des deux mains. Elle essayait de faire un bon travail intérieur pour assimiler tout ce qui lui arrivait.
D'abord qui étaient ses alliés en politique? Si on lisait tout ce qui se publiait on avait l'impression de subir des fessées de tous les côtés.
Des événements incroyables avaient lieu dans une partie d'échecs continuelle. Des indépendantistes pressés se disaient prêts à appuyer Québec Solidaire dirigé par Françoise David qui, elle, se disait « pas pressée ». Son parti avait ergoté des mois à savoir s'il était souverainiste. Certains pressés n'en ayant cure la louaient de vouloir renoncer à un référendum.
Il fallait savoir qui échangeaient des clins d'œil complices ou si, tout compte fait, tout le monde n'était pas susceptible d'être rival. Sur le terrain des alliés, il pouvait avoir à tout moment des victimes. Et le réconfort n'allait sûrement pas venir des adversaires.
Elle s'endormit après avoir écouté le téléjournal. Jean Charest sortait indemne du Conseil Général du parti Libéral. En entrevue Mario Dumont déclarait que Stephen Harper livrait la marchandise. Il la livrait en effet. La base générale du régime ne changeait pas et aucun coup ne lui était porté. Il y avait chez Stephen Harper une sainte horreur des conséquences incontrôlées. Carole rêva d'énigmes, tout le monde parlant d'ouverture comme d'un bienfait venant d'en haut.
Au matin, ce beau lundi, en se dirigeant vers l'Assemblée nationale, elle échangea sur sa messagerie avec les collègues. Le concept de fédéralisme d'ouverture risquait de diminuer la fraction réaliste de la population et en mettre beaucoup dans le cirage. Un sourire de contentement flottait sur les banquettes gouvernementales. Le Québec venait de recevoir une chaise à l'Unesco. L'histoire ne disait pas s'il aurait accès à la photocopieuse, faute de pouvoir vraiment parler pour lui. Au café parlementaire, on discutait quand même le bon coup.
Le Fédéral avait toujours établi que c'était une orientation erronée que d'accorder plus que des droits provinciaux au Québec. De meilleurs droits étaient d'ailleurs impensables, impossibles par essence au sein de la fédération. Avec cette foutue chaise de consultant, tout le monde pensait que la mécanique antérieure s'était enrayée. Une chaise à l'Unesco, plus de revenus d'impôts, et l'opinion publique finirait par penser que justice a été faite.
Si justice est si bien faite, pas de mal à ce que le Fédéral s'accapare la fonction de la justice. Il n'y avait pas mieux que cette chaise à l'Unesco pour convaincre que le Fédéral ne poursuivait plus l'œuvre achevée par les prédécesseurs. Après avoir annoncé la chaise, Harper avait refusé en conférence de presse d'entériner le fait que le gouvernement du Québec considère son peuple comme une nation. Jean Charest n'insista pas non plus, sa conviction était que son existence reconnue n'embellirait le sort de personne. Bref cette chaise permettait tout au plus d'entrouvrir la soupape et de lâcher de la pression dans la mesure où le consultant fasse plus qu'approuver en coulisse. Un collège de Carole souffla, à l'écart des micros : « C'est se faire fourrer sans se faire embrasser par quelqu'un qui ne laisse même pas son vrai numéro de téléphone. »
- Nous allons péricliter dans les sondages, remarqua Carole. Le fédéralistes vont pavoiser. Et pour faire changement, nos Conseils Généraux ne seront pas de tout repos. Nous allons être critiqués autant par notre intelligentsia pensante que par notre intelligentsia pas pensante.
D'autres députés du Parti Québécois arrivèrent dont Sélène et Henri. Ils dirent ce qui pouvait être dit dans une situation semblable. Il est certain que le Fédéral gagnait un point sans action à entreprendre, sans même appliquer une vraie demi-mesure en ce qui touchait l'existence internationale du Québec.
Lorsqu'on dit qu'on a une chaise à l'Unesco, la phrase paraît évoquer un événement si réel. Un autre collègue passa au café parlementaire. Il s'agissait de Sylvain qui raconta avoir lu les derniers discours de Harper sur la visionneuse de son cellulaire. Dans le bilan des premiers cent jours de son gouvernement, Harper avait qualifié Jean Charest de « premier ministre le plus fédéraliste jamais connu ».
- Sûrement qu'avec une telle qualité, dit Sylvain, le consultant du Québec à l'Unesco aura droit d'accès à la photocopieuse.
Les députés chuchotèrent sur d'autres points étonnants. Comment se faisait-il que les Libéraux ne dénonçaient pas ou si peu le régime de leur patron? En comparaison, les militants indépendantistes avaient toujours l'air de clamer que le Parti Québécois nuisait à la cause et que son chef était une nuisance publique.
- Décidément, dit Carole, à côté de la placidité des Libéraux, nos désaveux constants font contraste en diable! Ça ressemble à des moutons d'un bord et un collectif nihiliste de l'autre!
- Rien de nouveau, dit Henri.
Les députés se levèrent de table et se pressèrent de se faufiler, croisant des techniciens de passage, caméra au poing et des stagiaires faisant rouler un chariot hydraulique. Dans le corridor, Carole songea : « Il est possible que les gens craignent que l'indépendance soit un événement qui mette en jeu un paquet de problèmes entrecroisés. De crainte d'avoir une négociation monstre sur les bras, ils tendent peut-être à favoriser cette idée de résoudre interminablement les problèmes un par un. »
Carole reprit sa place de députée. Selon l'expression consacrée, elle était dans l'enceinte du pouvoir. Elle se sentit soudainement enfouie, inhibée. Elle écouta le premier ministre répondre aux questions. C'était fort révélateur que Stephen Harper l'ait qualifié de « premier ministre le plus fédéraliste jamais connu ». Un tel commentaire signifiait que le premier ministre Jean Charest était le produit le plus exemplaire de ce système.
Elle braqua son regard sur lui en se demandant : « Est-il un menteur? » Elle fut convaincue que non. Jean Charest semblait convaincu de l'impossibilité de sortir d'une sorte de réaction en chaîne. Ce n'était pas tant un architecte que quelqu'un qui voulait déblayer pour que certaines conditions de la société, les plus stables et les plus solides, deviennent vraiment des conditions maximales au Québec comme dans les autres provinces. Harper avait vraiment eu raison de le qualifier ainsi et elle se le répéta : « Le premier ministre le plus fédéraliste jamais connu ».
Carole se dit que premier ministre ou pas, ce genre d'homme est nécessairement favorisé. Il passe sa vie à assurer les meilleures conditions d'existence possible au système politique et social établi. Le premier ministre Charest sera logiquement content le jour où il pourra se dire que le Canada est un pays et qu'il ne peut y avoir rien d'autre à la place.
Au moment d'un vote législatif, un député des banquettes gouvernementales cria : À bas ceux qui grognent!
André Savoir


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