Au-delà des manifs

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Sommet de Montebello - 20 et 21 août 2007

Arès*Mathieu - Le président américain George W. Bush et le premier ministre canadien Stephen Harper, hier, à la première journée du sommet de Montebello. Le président du Mexique, Felipe Calderon, est également des discussions, qui porteront essentiellement sur la sécurité et la prospérité des trois pays. (Photo AFP)

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Pour la plupart d’entre nous, le sommet de Montebello, qui a débuté hier et qui doit permettre aux leaders nord-américains de faire le point sur les travaux du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (ci-après PSP), serait passé pratiquement inaperçu s’il n’y avait eu les appels à la mobilisation et les actions d’éclat de divers activistes sociaux.


Quelles que soient leurs causes, ils se rejoignent pour réclamer plus de transparence et dénoncer le « déficit démocratique » entourant le débat, les clôtures et les autres mesures assurant la sécurité des participants et le bon déroulement du sommet ne faisant que renforcer l’image de portes closes et de secret.
Ces groupes font ainsi tâche utile en attirant l’attention sur un processus très technique et peu médiatique. Mais toute la cacophonie qu’elle entraîne masque l’importance et les enjeux du PSP : la redéfinition de l’espace nord-américain.
Un complot?
Le « secret » entourant le PSP ne découle pas tant d’un quelconque complot. Il provient d’une part de l’approche décentralisée adoptée, dite de la base vers le haut (bottom-up). Il appartient ainsi à des groupes de travail formés de hauts fonctionnaires, de représentants et d’experts des divers domaines de formuler des propositions visant à améliorer la compétitivité nationale ainsi que la fluidité du commerce et des investissements dans un contexte sécuritaire accru. Les échanges peuvent porter tout autant sur les questions de douanes et la « frontière intelligente », le commerce électronique, l’environnement, la création d’un tarif extérieur commun, les partenariats publics-privés, la sécurité énergétique ou encore les normes industrielles, etc. Aussi, ne faut-il pas trop se s’étonner si les entreprises et les différentes communautés d’affaires nationales sont des interlocuteurs privilégiés et occupent l’avant-plan du processus consultatif. Ce sont elles qui, quotidiennement, sont confrontées aux entraves au commerce. Cette dynamique des petits pas qui vise à régler les problèmes au fur et à mesure où ils peuvent se présenter (certains parlent de pragmatisme) alimente néanmoins un vaste mouvement d’homogénéisation des normes réglementaires à l’échelle continentale.
D’autre part, pour les élites politiques et économiques, la question de fond, le débat sur l’à-propos de l’intégration économique de l’Amérique du Nord, est largement chose du passé. Il fut tranché par l’Accord de libre-échange canada-américain (ALE) en 1989 et, par la suite, par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994. L’intégration économique devient chaque jour de plus en plus une réalité. Beaucoup d’entreprises, grandes et petites, incluent désormais l’ensemble du continent dans leurs plans d’affaires et de développement. Les chiffres ne mentent pas. Entre 1995 et 2006, le commerce entre le Canada, les États-Unis et le Mexique a littéralement explosé, passant de 390 milliards $US à environ 850 milliards. En cela, pour les divers intervenants, il ne s’agit pas de tergiverser sur l’intégration économique, ils s’agit plutôt d’en définir les contours.
Horizon de 30 ans
C’est sans doute à cela que l’ancien président mexicain Vicente Fox pensait lorsqu’au lendemain de son assermentation, en 2000, il avait invité ses vis-à-vis d’alors à créer, dans un horizon d’une trentaine d’années, une communauté nord-américaine qui dépasserait les questions purement économiques pour intégrer également des préoccupations sociales, en commençant pas les travailleurs migrants, la monnaie, l’énergie et la criminalité.
Il eut un temps l’oreille de l’administration américaine : lors du second sommet Bush-Fox, le 8 septembre 2001, le président Bush s’était même engagé à solutionner l’épineux dossier bilatéral de l’immigration illégale avant le prochain Noël ! Le 11 septembre est venu chambouler ce scénario. Non seulement les priorités de la politique étrangère de l’administration américaine ont-elle changé, passant de l’Amérique latine au Moyen-Orient, la sécurité a rapidement pris le dessus sur le commerce. Pire, même sur ce plan, une nouvelle donne est depuis apparue avec la Chine qui devrait, dès cette année, détenir le titre de principal partenaire commercial des États-Unis, reléguant au second et au troisième plan le Canada et le Mexique respectivement, si on exclut l’Europe.
C’est ainsi que le PSP est une tentative de relance du projet intégratif dans le nouveau contexte sécuritaire des États-Unis. Ce n’est donc guère un hasard si les premières décisions ont concerné le transport des marchandises (la frontière intelligente), les contrôles frontaliers (le passeport et les visas d’immigration) et la sécurité énergétique (le développement accéléré des sables bitumineux albertains).
On ne devrait pas s’attendre à de grandes annonces lors du sommet de Montebello, il s’agit avant tout pour les leaders de faire le point sur les travaux des différents groupes de travail. Mais, ce type de rencontre reste de première importance. Minimalement, il permet de tisser des liens personnels et l’échange de vue au plus haut niveau. Sur le plan symbolique, il réaffirme l’importance des relations trilatérales et rend légitime l’orientation des décisions.
Plus marquant, c’est en développant ce partenariat que le Canada et le Mexique visent à assurer leur sécurité économique respective. Pour l’un comme pour l’autre, exporter vers les États-Unis est devenu une question de sécurité nationale, ce pays absorbant plus de 80 % de leurs livraisons internationales respectives. Si, pour les États-Unis, la sécurité nationale demeure centrale, ils veulent désormais tendre vers un meilleur équilibre avec la dimension économique et rétablir les ponts avec ces voisins.
Le PSP apparaît ainsi comme une tentative de relancer le dialogue nord-américain après le traumatisme du 11 septembre 2001. Compte tenu de l’asymétrie économique entre les trois partenaires, les États-Unis domineront toujours les rapports politiques en Amérique du Nord. Ceci dit, tant le Canada que le Mexique, ont leur mot à dire. Il ne faut pas conclure trop tôt à leur assujettissement. Rappelons seulement que ni l’un ni l’autre ne participe à l’aventure irakienne des États-Unis. Un véritable partenariat ne pourra émerger que dans un climat de confiance et un partage équitable des obligations et bénéfices.
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Mathieu Arès
L’auteur enseigne l’économie politique internationale à l’UQAM et à l’Université de Montréal. Il est chercheur au Groupe de recherche sur l’intégration continentale (CEIM-UQAM).


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