Le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il allait continuer d’engendrer des déficits, meilleure manière selon lui de stimuler l’économie. Une décision qui est loin de faire l’unanimité. Pour l’économiste Germain Belzile, les Libéraux devraient plutôt profiter de la croissance actuelle pour assainir les finances publiques. Entrevue.
Le 16 décembre dernier, Bill Morneau, ministre canadien des Finances, a annoncé à ses concitoyens que son gouvernement n’entendait pas revenir à l’équilibre budgétaire prochainement. Loin de là...
Dans sa nouvelle mise à jour économique, M. Morneau prévoit que le déficit de son gouvernement atteindra 26,6 milliards de dollars canadiens (CAD) au printemps 2020 (18,23 milliards d’euros). Ce sont 7 milliards de CAD qui se retrouvent ajoutés au passif de l’État central, une mesure qui ne fait pas du tout consensus à la Chambre des communes.
«Nous proposons d’augmenter notre déficit avec des investissements additionnels parce que nous savons que cela a des impacts positifs sur notre économie et sur les Canadiens», a indiqué Bill Morneau en conférence de presse à Ottawa le 16 décembre 2019.
Sans surprise, les principaux partis d’opposition ont rapidement dénoncé ce qu’ils considèrent comme une très mauvaise gestion des finances publiques. C’est aussi le fait de nombreux chroniqueurs et analystes économiques partout au pays.
«On ne sait pas s’il y aura une récession, mais on sait une chose: s’il y a une récession, ce sera une récession faite au Canada, par les décisions des Libéraux […] On a un déficit 7 milliards plus élevé que dans le budget et le ratio dette-PIB augmente», a déclaré après l’annonce le porte-parole conservateur en finances, Pierre Poilievre.
Économiste bien connu au pays de l’érable, Germain Belzile estime que les déficits budgétaires ne stimulent pas l’économie canadienne. Au cours de leur dernier mandat majoritaire (2015-2019), les Libéraux avaient déjà plusieurs fois justifié leurs déficits en faisant valoir que l’augmentation des dépenses gouvernementales favorisait la croissance.
«À leur arrivée au pouvoir, les Libéraux avaient annoncé qu’ils comptaient revenir à l’équilibre budgétaire. Ce n’est pas du tout ce qui se passe actuellement. Les déficits ont augmenté avec les années. Ils n’ont même aucune intention de revenir à l’équilibre budgétaire. Les Libéraux n’en parlent même plus... […] Il est faux que les déficits stimulent la croissance. Si les Libéraux restent au pouvoir jusqu’en 2024, ils auront augmenté la dette du Canada de 175 milliards de dollars», déplore l’économiste.
Comme Ottawa, M. Belzile estime toutefois que l’économie canadienne «va bien et qu’il n’y a pas de récession en vue» dans un avenir proche. L’enseignant de l’École des Hautes études commerciales de Montréal considère toutefois que les Libéraux devraient plutôt profiter de cette situation «pour bien gérer les finances publiques afin d’avoir une marge de manœuvre».
«L’économie du Canada va bien. Le chômage est bas. Cependant, il est décevant de voir qu’Ottawa ne profite pas de cette occasion pour engranger des surplus budgétaires. Dans les périodes de croissance, les gouvernements ont moins à dégager des sommes pour l’assurance-emploi et des programmes du genre. Des ralentissements pourront toujours survenir dans quelques années... C’est plutôt quand ça va mal que les déficits sont justifiés», tranche M. Belzile.
La bonne santé de l’économie canadienne ne signifie toutefois pas nécessairement que les investissements étrangers prolifèrent sur le territoire, avertit l’économiste. Selon lui, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2017 a eu un effet négatif sur ce secteur de l’économie canadienne. Le Président Républicain aurait convaincu de nombreux investisseurs à développer leurs projets chez lui plutôt que chez ses voisins du Nord.
«Nous avons un grave problème relié à la compétitivité de l’économie canadienne. Le plus important secteur canadien sur le plan des investissements internationaux est celui des ressources naturelles. De nombreuses lois passées dans les dernières années –dont plusieurs mesures environnementales– ont motivé des entreprises à investir ailleurs. Plusieurs compagnies ont quitté le Canada», observe-t-il.
Germain Belzile rappelle enfin que les Libéraux fédéraux n’ont pas toujours prôné les déficits budgétaires dans leur histoire récente, bien au contraire. Il souligne également que le Parti libéral du Canada demeure la seule formation fédérale à prôner aussi ouvertement un tel programme économique.
«C’est seulement depuis octobre 2015 que les Libéraux prônent cette approche déficitaire. Trudeau a été élu en disant qu’il allait engendrer des déficits, alors que tous les autres chefs des partis affirmaient qu’ils n’allaient pas en faire. Les Libéraux avaient dit que ce serait temporaire, mais malheureusement, il n’y a rien de plus permanent que des déficits», a conclu l’économiste à notre micro.