Armes à feu: Québec veut son propre registre

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Par Hugo de Grandpré
Québec a demandé à Ottawa de lui donner le pouvoir de gérer son propre registre des armes à feu, révèlent des documents que La Presse a obtenus grâce à la Loi sur l’accès à l’information.
Dans une lettre datée de mai 2007, le ministre québécois de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a demandé à son homologue fédéral de lui déléguer une série de pouvoirs réglementaires, y compris celui de «régir la tenue et la destruction de registres ou fichiers sur les armes à feu».
Le ministre de la Sécurité publique du Canada, Stockwell Day, a répondu au mois d’août en ces termes : «Il s’agit d’un concept intéressant qui mérite d’être examiné attentivement par le gouvernement canadien.»
Cette demande serait conforme à la position du premier ministre Jean Charest et de ses collaborateurs. Lors d’un point de presse en octobre 2007, le ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, avait déclaré : « À propos du registre des armes à feu, nous cherchons toujours à obtenir un transfert du gouvernement fédéral. »
Or, un membre du bureau du ministre Dupuis, qui a requis l’anonymat, a catégoriquement nié que le transfert était dans les plans du gouvernement québécois. «Il n’est pas question d’avoir notre propre registre. Ça n’a jamais été le cas. On souhaite le maintien intégral du registre fédéral, tel qu’il apparaît actuellement», a-t-il martelé.
Pas d’unanimité
Ce transfert marquerait un pas important dans ce programme, qui a connu sa part de controverse depuis sa création, en 1995. Évalué d’abord à deux millions de dollars, son coût est passé à un milliard. Puis, dès leur arrivée au pouvoir, les conservateurs ont tenté d’en abolir des pans importants, par exemple en exemptant les propriétaires de fusil de chasse de l’obligation d’enregistrer leur arme.
S’il n’a pu faire adopter son projet de loi, le gouvernement Harper est tout de même parvenu à ses fins par la voie d’un moratoire, qui a suspendu l’obligation d’enregistrer les fusils de chasse. La situation, qui dure depuis plus d’un an, risque de nuire à l’efficacité du registre.
Or, des groupes opposés aux vues des conservateurs préfèrent tout de même un registre amoindri à une réglementation fragmentée. Joints par La Presse, ils ont exprimé leurs inquiétudes face aux démarches du ministre Dupuis.
«Je n’étais pas au courant de ces tractations, a confié le président de l’Association canadienne de la police professionnelle, Tony Cannavino. Mais je peux vous dire que l’ACP, qui représente 57 000 membres du personnel policier au Canada, tient à avoir un registre national des armes à feu.»
«Une réglementation inégale entraînera la circulation des armes à feu de zones non réglementées aux zones réglementées», a renchéri la Coalition sur le contrôle des armes à feu.
Pas le registre
Le criminaliste montréalais Jean-Claude Hébert, quant à lui, verrait d’un bon œil cette prise de contrôle par Québec. «La stratégie du gouvernement fédéral a été de laisser mourir la loi de sa belle mort, a-t-il souligné. Alors pourquoi les provinces ne prendraient-elles pas son administration en main?»
Selon lui, la demande du ministre Dupuis ouvre la porte à un tel transfert. «Rien n’empêche le gouvernement québécois de devenir, en vertu de l’article 117 m) de la Loi sur les armes à feu, une espèce de mandataire du gouvernement fédéral pour gérer et administrer le registre des armes à feu pour le territoire du Québec», a-t-il tranché.
C’est aussi ce qu’ont semblé comprendre des fonctionnaires du ministère fédéral de la Sécurité publique. «Québec demande la délégation de tous les champs réglementaires», ont-ils conclu dans une note d’information qui porte la mention «secret». Ils ont ajouté que des «liens informatiques» (IT links) devaient être maintenus pour que « les informations sur les permis et l’enregistrement des armes à feu demeurent disponibles pour la police».
Des rencontres ont eu lieu entre des représentants des deux ministères depuis la rédaction de ces lettres et notes d’information. Mais il a été impossible de savoir où en sont les pourparlers.
Au bureau du ministre Dupuis, on est formel : il n’a jamais été question de rapatrier le registre. La demande a tout au plus touché à des questions comme les champs de tir ou les permis de port d’arme, a-t-on insisté. Pourquoi alors avoir réclamé la délégation de «tous les champs réglementaires»? «Je ne peux pas le savoir. Ça, c’est de la correspondance entre sous-ministres», a répondu notre interlocuteur.
Personne n’a voulu accorder d’entrevue à La Presse.
- Avec la collaboration de William Leclerc


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