La controverse qui a forcé l'annulation du spectacle SLĀVpourrait prochainement toucher un autre projet du metteur en scène Robert Lepage. Dans une lettre ouverte, une vingtaine de personnalités autochtones dénoncent l'absence de membres de leurs nations dans la production Kanata, présentée à Paris à partir de décembre.
Ces signataires se disent « saturés d’entendre les autres raconter notre histoire », dans ce texte qu'a reçu le site Espaces autochtones de Radio-Canada.
Alors que 34 artistes seront à l’affiche de cette relecture de « l'histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones », ces personnalités assurent ne pas comprendre le choix de la production.
« Certains [membres des Premières Nations] ont été consultés par les promoteurs de Kanata. Mais nous croyons que des artistes de nos nations seraient heureux de célébrer leur fierté sur scène dans la pièce », peut-on lire dans la lettre, signée majoritairement par des artistes, mais aussi par des communicateurs, des universitaires et par le directeur artistique du festival Présence autochtone, André Dudemaine.
Une dizaine d'« alliés » non autochtones, à la fois acteurs, architectes, artistes ou poètes, ont également signé le texte.
Selon ces signataires, Ariane Mnouchkine, l’animatrice du Théâtre du Soleil à Paris, qui doit accueillir cette pièce mise en scène par Robert Lepage dès le 15 décembre, « aime nos histoires, mais elle n’aime pas nos voix ».
Nous comprenons […] que l’aventure se passera sans nous, encore une fois. […] Nous ne sommes pas invisibles et nous ne nous tairons pas.
Ils font référence à une entrevue qu’a récemment accordée Mme Mnouchkine au Devoir. Elle y expliquait notamment la démarche du spectacle, tout en indiquant qu’aucun comédien nord-américain ne faisait partie de la distribution.
Dénonçant l’« invisibilité » des acteurs autochtones, les auteurs de cette lettre assurent que « de tels agissements nous laissent un certain sentiment de déjà-vu ».
« On nous inventera, on nous mimera, on nous racontera, parce qu’elle a compris, parce qu’ils ont compris. Pardonnez notre cynisme. Mais avons-nous vraiment été compris? » déplorent-ils, tout en précisant qu’ils ne souhaitent pas « censurer quiconque ».
« Ce n’est pas dans nos mentalités et dans notre façon de voir le monde. Ce que nous voulons, c’est que nos talents soient reconnus, qu’ils soient célébrés aujourd’hui et dans le futur », ajoutent-ils, en remettant également en question les aides financières du Conseil des arts et lettres du Québec et du Conseil des arts du Canada.
« Un tel partenariat nous semble engager davantage la participation des Autochtones qu’une simple consultation », soulignent-ils.
La compagnie de Robert Lepage, Ex Machina, a quant à elle précisé au Devoir que des témoignages filmés de membres des Premières Nations seront intégrés au spectacle.
La semaine passée, la direction du Festival international de jazz de Montréal (FIJM) avait pris la décision d'annuler les représentations du spectacle SLĀV, mis en scène par Robert Lepage.
Le FIJM avait notamment évoqué des raisons de sécurité pour les artistes.
Plusieurs manifestations avaient éclaté quelques jours plus tôt, aux abords du Théâtre du Nouveau Monde, qui accueillait cette pièce. Les manifestants reprochaient à la production une appropriation culturelle de l'héritage noir par des créateurs blancs.
En réaction, Robert Lepage avait dénoncé un « coup porté à la liberté d'expression artistique ».