La politique du "possible"

Alors que devons-nous faire ?

Les indépendantistes devraient maintenant savoir que ce n’est qu’après des efforts soutenus à l’intérieur des structures actuelles, sans dévier de leur trajectoire, qu’ils parviendront à des résultats satisfaisants.

La Nation - bilan et stratégie


[La Presse a publié en fin d’année un texte de Denis Monière->10937], un indépendantiste de longue date. Saluons l’événement, qui contraste avec une pratique journalistique parfois douteuse.
Dans cet article, Denis Monière semble d’avis que les indépendantistes n’ont guère d’avenir au sein du PQ, étant donné les risques d’enlisement du parti sous la gouverne de madame Marois quant à la poursuite effective de l’objectif ultime : l’échéancier référendaire ayant été mis sous le boisseau, c’est à la gestion autonomiste de la Belle Province et la défense rabâchée de « l’identité québécoise » qu’il se consacrera.
Monière a raison : la question du statut du Québec est centrale sur notre échiquier politique, mais, fait à souligner, puisqu’elle n’est plus l’apanage des péquistes, les allusions folkloriques au « pays » déclamées sur tous les tons ne pourront leur tenir lieu de programme encore bien longtemps. Tant qu’à y être, les électeurs seront peut-être plus enclins de donner sa chance au petit Mario qui, lui, après sa participation remarquée au référendum de 95, table désormais sur l’aménagement tranquille de l’identité québécoise à l’intérieur du cadre canadien. Il y a belle lurette que sa révolte œdipienne est terminée : en vieillissant même, ne prend-il pas de plus en plus des airs de Robert Bourassa ?
Il faut le redire : la dilution de l’article 1 du PQ voue cette formation à l’insignifiance. Le PQ n’a d’autre choix que de s’en tenir à une position ferme. Madame Marois, qui tient le Premier ministre convalescent sous la tente d’oxygène (le patient prend du mieux, dit-on), a le privilège de choisir le moment des prochaines élections. 42 ou 43% des suffrages suffisent pour prendre le pouvoir. Comme dit le proverbe : where there’s a will, there’s a way. Juste avec le potentiel énergétique dans les dossiers du français et de l’immigration, il y a de quoi suivre un courant ascendant dans la bonne direction.
Le faux-pas originel
Je ne suis pas d’accord cependant avec Denis Monière quant aux sources du coma idéologique dans lequel s’enlise le PQ. Le problème ne date pas des dernières élections. Le coup de marketing opérée par madame Marois, l’automne dernier, ne dispensera pas son parti d’une révision critique en profondeur. Il faut remonter en fait beaucoup plus loin.
Dès le départ, en 1968, le projet indépendantiste a été parasité par l’illusion d’une possible « association » avec le fédéral sur une base consensuelle et égalitaire, alors que l’on sait très bien que, dans la logique du fédéralisme canadien, il n’y a absolument rien à négocier. Rappelons le mot célèbre du grand architecte de Meech : « It doesn‘t mean dick ».
À ce faux-pas originel a succédé le piège référendaire de 1974. L’échec cuisant de 1980 a montré que, dans l’esprit des Québécois, il n’y a pas de lien obligé entre « bon gouvernement » et souveraineté. Le bon sens même serait plutôt dans l’avis contraire. Comme dans les coups de foudre à répétition, l’insanité consisterait à répéter les mêmes erreurs en s’imaginant obtenir des résultats différents.
Incompétence et défection des chefs
Regardons les choses en face. Si l’objectif ultime n’a pas été atteint, ce n’est pas la faute des maudits Anglais, de l’argent sale, de la malhonnêteté des fédéraux ou des votes ethniques. C’est tout simplement à cause de l’idéologie boiteuse du parti et de l’incompétence de la plupart des chefs qui n’ont pas su anticiper les occasions en or qui se sont présentées.
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À cet égard, la maladie infantile des Péquistes a toujours consisté à se laisser bêtement hypnotiser par le charisme de leurs chefs. La défection du Père fondateur ne leur a pas suffi ; c’est sur les traces de son idole qu’a marché Lucien Bouchard, accueilli en véritable sauveur. Le grand négociateur patronal aura réussi le tour de force de tenir successivement le rôle du traître dans les deux camps. On ne saurait trouver d’exemple plus éclatant d’un caractère irrésolu et branlant. Rien que de « normalement équivoque » dirait Lowry - disposition qui ne va pas, faut-il ajouter, sans une dose de perversité.
Par chance, madame Marois n’est pas l’objet de l’attachement plein de vénération que les Québécois, par médias interposés, semblent avoir désespérément besoin d’éprouver envers leurs vaches sacrées. Tant mieux.
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Mouvement pendulaire…

La vison plutôt simpliste que défend Denis Monière l’amène par ailleurs à voir là où il n’y en a pas une contradiction insurmontable entre les possibilités d’action à l’intérieur du cadre provincialiste actuel et la mise en opération de l’indépendance ; comme l’a souligné un éditorial récent de la Gazette, il reste aveugle face au potentiel explosif d’une fusion des votes de l’ADQ et du PQ.
C’est sur ce terrain que se mesureront les deux formations rivales. Le calcul est très simple : qui va se rallier à l’autre. L’avantage de l’initiative appartient aujourd’hui, sans conteste, aux modérés qui préconisent une approche conciliante avec le fédéral. On n’a pas à s’en inquiéter outre mesure. Depuis les années 1960, trois axes déterminent les grandes orientations de la société québécoise dans ses rapports avec le fédéral : statu quo, conciliation, souveraineté-association. Aucun consensus stable n’ayant pu être dégagé, c’est à un mouvement pendulaire entre ces trois pôles qu’on assiste.
… et conversion d’affect
Monière passe à côté d’une autre vérité élémentaire : comme en psychothérapie, l’art en politique consiste à convertir à ses propres fins l’énergie de ses adversaires. Je ne vois rien de dramatique, quant à moi, dans les « illusions » des fédéralistes qui s’imaginent de bonne foi « conquérir des parcelles de pouvoir dans le cadre du fédéralisme ». La démonstration reste à faire. Si l’on se fie aux précédents (Meech et Charlottetown), la désillusion la plus amère les attend. On n’a pas à s’inquiéter : si le déni de réalité ne surgit pas du Québec, il viendra du reste du Canada. Justin Trudeau ne rêve pas à autre chose dans ses phases paroxystiques de sommeil. Tout le monde sait bien que l’imbroglio actuel est dû en partie à la vision réactionnaire et parfaitement orthodoxe de son papa : tout projet de conciliation envers le Québec, même dilué à l’extrême, court le haut risque d’être perçu dans le reste du Canada comme une trahison. Et puisque les Communes ont voté unanimement sur la motion de la reconnaissance des Québécois en tant que nation, il n’y a qu’à taper sur ce clou.
D’autre part, on ne se le cachera pas, ce n’est que par dépit que bien des fédéralistes modérés au Québec se rallieront à la thèse souverainiste. Le phénomène se produit quand il n’y a plus de fuite possible dans le déni ou lorsqu’il n’est plus possible de rester accroché à des mensonges consolants. Ne manquent que les circonstances propices à une telle conversion d’affect qui, selon les mouvements du pendule ou, si l’on préfère, la compulsion de répétition qui gouverne les sociétés comme les individus, ne manqueront pas de revenir. Vous pouvez mettre un petit deux là-dessus. Inutile prédire le moment où elles se présenteront. Beaucoup d’eau risque de couler encore sous les ponts. Une chose pourtant, à ce stade-ci, est sûre : les seules chances que Stephen Harper a de former un gouvernement majoritaire résident chez les sectaires xénophobes et rétrogrades que la presse anglophone bien-pensante voit non sans mépris chez les électeurs des « régions » et des comtés ruraux à travers le Québec.
Le mythe de l’assomption de l’indépendance
Il y a un dernier point dans le texte de Monière qui mérite d’être abordé. Au fond de la posture de certains de nos soi-disant « purs et durs » réside le mythe de l’assomption de l’indépendance, quelque chose comme « le degré zéro » du politique à partir duquel s’opérera la rupture radicale, la transmutation des valeurs ou, comme dirait Bock-Côté, l’hégélien de service de Télé-Québec, le retour intégral au pur esprit de la nation. Il y a là, je crois, une excellente illustration d’une tournure d’esprit dont on trouve à profusion des exemples d’Althusser à Marx en passant par tous les amateurs de table rase.

Je ne pense pas qu’il faille jeter le discrédit sur la gestion provincialiste. Enseigner la science politique et faire de la politique sont deux choses. Les indépendantistes devraient maintenant savoir que ce n’est qu’après des efforts soutenus à l’intérieur des structures actuelles, sans dévier de leur trajectoire, qu’ils parviendront à des résultats satisfaisants. C’est par l’entremise d’une gestion provincialiste bien comprise et le secours imprévisible de l’actualité que la promotion de l’indépendance a des chances d’être menée à terme. C’est ce que Maurice Séguin appelle dans Les Normes « la politique du "possible" » (1987, 169) à quoi l’on doit, par exemple, l’impôt provincial.
La guêpe et la chenille
Une métaphore zoologique en terminant. Quand vient le temps de la reproduction, la guêpe investit une chenille dans laquelle elle inocule sa semence ; celle-ci y trouvant un milieu propice, son développement se poursuit jusqu’au moment où, ayant atteint son terme, le rejeton l’abandonne derrière soi pour enfin prendre son envol.

La question reste donc entière : alors que devons-nous faire ?

François Deschamps


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