Ah, les valeurs québécoises!

Appréciez la technique... couvrir [l'enjeu identitaire->http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/15/l-inquietant-oubli-du-monde_1669676_3232.html] (enjeu légitime, au coeur du mouvement indépendantiste québécois) d'une volée de bois vert (enjeu délégitimé parce que contraire aux intérêts de l'oligarchie en place)! Et l'argument fétiche infantilisant: "René Lévesque n'aurait jamais fait ça." (Le père ne permettrait pas...) (innocence originelle, arché sacralisé - "ancien" et "exemplaire"!) Quelle connerie!


Le concept de valeurs québécoises est assez élastique. Mais je n'aurais jamais imaginé qu'un jour, un politicien viendrait nous dire qu'elles incluent la façon dont on coupe le cou des poulets.
C'est pourtant exactement ce qui est arrivé quand André Simard, critique de l'opposition officielle en matière d'agriculture, dans une intervention sur les méthodes d'abattage rituelles musulmanes halal, a affirmé que «ce type d'abattage heurte de plein fouet les valeurs québécoises».
On pourrait rire de cette intervention qui, en fait, ajoute un article au code de vie d'Hérouxville. Mais elle a une portée plus grave. Le prétexte de la santé publique cachait le thème de la peur de l'autre, l'inquiétude face à l'invasion dans nos vies des pratiques musulmanes, et par la bande, celle des juifs religieux. Il y a un nom pour ça: la xénophobie. On ne peut pas accepter que les «valeurs québécoises» servent de prétexte à la xénophobie.
En France, c'est Marine Le Pen, candidate présidentielle du Front national, qui a fait de l'abattage halal un cheval de bataille. Le président Sarkozy a repris ce thème pour séduire cet électorat d'extrême droite dont il a besoin. Un éditorial du New York Times a qualifié les propos de M. Sarkozy sur l'halal d'«infects». Ça pourrait s'appliquer au PQ, dont l'initiative a été qualifiée d'«odieuse» par Amir Khadir.
Le pire, c'est qu'il ne s'agit pas d'un accident, d'une phrase malheureuse. M. Simard a tenu une conférence de presse spécifiquement sur cette question. Ses âneries ont été reprises dans un communiqué de presse officiel de l'opposition péquiste.
Quel problème majeur justifiait cette intervention? Olymel fait de l'abattage halal de poulets pour sa clientèle musulmane. Une partie de cette viande est vendue dans le réseau régulier. Des Québécois de souche peuvent donc se retrouver à manger du poulet halal sans le savoir.
Est-ce un problème? Selon les règles halal, qui ressemblent aux règles kascher, on n'endort pas l'animal avant l'abattage et on lui tranche la gorge. Mais c'est exactement le même poulet. Il n'a pas été tué dans l'arrière-cour d'une cabane afghane. Un imam barbu n'a pas fait pipi dessus.
Le député dit que les règles sanitaires canadiennes ne seraient pas respectées. Ce n'est pas le cas. Ce sont les mêmes. Il parle des risques de souffrance de l'animal. Dans le cas d'un poulet, ce n'est pas évident. Et si la souffrance des animaux nous préoccupe vraiment, il faut agir sur les conditions de vie des volailles industrielles plutôt que sur les quelques secondes qui précèdent leur trépas.
L'autre débat, c'est l'invasion des exigences musulmanes dans nos vies, la peur que se pointe la charia. Un «accommodement déraisonnable», a dit sottement M. Simard, un terme repris par le député caquiste Benoit Charette. En fait, ce n'est même pas un accommodement. Car ce concept suppose une concession en faveur d'une minorité. Dans ce cas-ci, la production de poulets halal est une activité commerciale d'Olymel. Le fait d'étendre la production à d'autres marchés n'est pas une réponse à une exigence de musulmans, mais une décision d'affaires de l'entreprise.
Certains souhaiteraient donc qu'on précise le caractère halal dans l'étiquetage. Pourquoi? Cet abattage ne modifie ni la provenance, ni la nature, ni le goût de la viande. La seule utilité, ce serait d'informer ceux qui auraient une aversion idéologique pour ces produits.
Et je termine avec un message à la chef du PQ. Mme Marois, vous jouez un jeu très dangereux en traitant les questions identitaires de cette façon-là et en pataugeant sur le terrain de l'extrême droite. René Lévesque n'aurait jamais fait ça.


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