Affaire Woerth-Bettencourt: des ramifications jusqu'au Québec

La presse française s'intéresse aux liens entre le ministre Woerth et Power Corporation

Élection présidentielle française

Alec Castonguay - L'affaire Woerth-Bettencourt, cette controverse politico-financière qui ébranle le gouvernement français de Nicolas Sarkozy depuis juin, a des échos jusqu'au Québec, puisqu'un acteur de l'affaire a des liens étroits avec Power Corporation et son fondateur, Paul Desmarais.
Le nom de Paul Desmarais a été abondamment cité dans les médias français en fin de semaine, après qu'une enquête de la radio France Inter eut révélé le rôle joué par Éric de Sérigny dans l'affaire Woerth-Bettencourt. Éric de Sérigny, un banquier et homme d'affaires influent en France, était le gendre de Paul Desmarais, étant marié à sa fille Sophie. Il est aussi l'un des dirigeants de l'entreprise minière Imerys, détenue par une filiale de Power Corporation.
Ce proche de la famille Desmarais se tenait loin des projecteurs jusqu'à ce que les médias français découvrent qu'il a peut-être joué un rôle important dans la controverse qui tient la France en haleine depuis deux mois. Le rôle de conseiller informel d'Éric de Sérigny auprès du ministre du Travail, Éric Woerth, montre à quel point le gouvernement Sarkozy est près des milieux industriels et financiers.
L'histoire a démarré en juin dernier, lorsque le site Internet Mediapart.fr a révélé des enregistrements compromettants pour Liliane Bettencourt, 88 ans, héritière de l'empire des cosmétiques L'Oréal et deuxième fortune de France. Son avoir est évalué à 20 milliards d'euros, soit la 17e fortune du monde.
Dans cet enregistrement, on entend son gestionnaire de patrimoine, Patrice de Maistre, parler avec Mme Bettencourt d'une façon de contourner le fisc et de profiter ainsi d'évasions fiscales. On y évoque des comptes bancaires en Suisse et la propriété, tenue secrète, d'une île dans les Seychelles. Il est alors question de dizaines de millions d'euros cachés au fisc. Une enquête a d'ailleurs été ouverte depuis ces révélations. Liliane Bettencourt a aussi indiqué que les fonds seraient rapatriés en France.
La controverse prend de l'ampleur lorsque le monde de la finance rejoint celui de la politique. Le nom d'Éric Woerth, ex-ministre du Budget et maintenant ministre du Travail dans le gouvernement Sarkozy, est mentionné dans l'enregistrement. Le ministre, qui avait claironné sur tous les toits que la lutte contre l'évasion fiscale était sa priorité, aurait fait des pressions sur Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt pour qu'ils embauchent sa femme, Florence Woerth, au sein de Clymène, la société qui gère la fortune de Mme Bettencourt. Ce qui fut fait en septembre 2007, alors qu'elle est devenue le bras droit de Patrice de Maistre.
Des allégations sur le fait que le ministre Éric Woerth aurait demandé à ses fonctionnaires de fermer les yeux sur les tactiques fiscales de Clymène et de Liliane Bettencourt ont circulé. Florence Woerth a finalement démissionné dans la foulée de la controverse. Le ministre a nié avoir fait des pressions.
De plus, Éric Woerth était chargé de la collecte de fonds de l'UMP, le parti de Nicolas Sarkozy, auprès des grandes fortunes industrielles. Depuis 2006, le couple Bettencourt a donné au moins 30 000 euros à l'UMP, mais probablement plus, d'après des documents obtenus par Le Nouvel Observateur. Le ministre a toujours nié avoir été en conflit d'intérêts.
Cette fin de semaine, les médias français ont mis au jour l'existence d'Éric de Sérigny. Cet homme discret est «conseiller bénévole» du ministre Éric Woerth, même s'il n'apparaît pas dans l'organigramme officiel du cabinet ministériel. Le bureau de M. Woerth a confirmé que le rôle d'Éric de Sérigny, un banquier et administrateur de sociétés, est de faire rencontrer au ministre des chefs d'entreprise et des barons de la finance.
Éric de Sérigny est un bon ami de Patrice de Maistre, qui gère la fortune de Liliane Bettencourt. Ils se connaissent depuis 40 ans. C'est d'ailleurs M. de Sérigny qui a soutenu la candidature de Patrice de Maistre pour le titre de la Légion d'honneur. Une haute distinction remise à Patrice de Maistre en 2007 par nul autre qu'Éric Woerth.
La filiale Power Corporation
Éric de Sérigny était marié à la Québécoise Sophie Desmarais, la fille de Paul Desmarais, milliardaire et fondateur de l'empire Power Corporation. Il est aussi membre du conseil d'administration de la société minière Imerys, qui a un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros. Le principal actionnaire d'Imerys est la société Pargesa, détenue à 50 % par Power Corporation. L'autre tranche de 50 % de Pargesa appartient au baron des mines belge Albert Frère, un proche des Desmarais.
En février 2008, Paul Desmarais a été fait grand-croix de la Légion d'honneur par Nicolas Sarkozy, une haute distinction que moins de 100 personnes ont reçue. Le même jour, Albert Frère a lui aussi été fait membre de la Légion d'honneur des mains du président. «Si je suis aujourd'hui président, je le dois en partie aux conseils, à l'amitié et à la fidélité de Paul Desmarais», avait dit Nicolas Sarkozy dans son discours, rapporté par La Presse.
Les deux hommes se connaissent depuis 1995, quand Nicolas Sarkozy se voyait dans une impasse politique. «Un homme m'a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt, et il me disait: "il faut que tu t'accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi"», a déclaré Nicolas Sarkozy à propos de Paul Desmarais.
Selon L'Express, Éric de Sérigny avait aussi une stratégie pour Éric Woerth, puisqu'il est fondateur d'un «club sélect» de gens d'affaires, le W19, créé pour «appuyer la carrière politique» de M. Woerth. Mais selon Éric de Sérigny, le W19 ne serait qu'un «simple rassemblement d'amis à hautes responsabilités dans leurs secteurs» qui participent à un «groupe de réflexion» sur les débats de l'heure avec le ministre, sans plus, selon ses propos rapportés par France Inter.
Éric de Sérigny affirme ne pas avoir fait de financement politique avec Éric Woerth, mais il confirme avoir aidé le président Sarkozy lors de la dernière campagne présidentielle.


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