Accord commercial avec l'Europe: le Canada doit y aller à fond

Accord de libre-échange Canada - Union européenne




Danielle Goldfarb et Louis Thériault - Pendant la dernière année et demie, les négociateurs canadiens et européens ont progressé de manière étonnante vers une vaste entente commerciale entre le Canada et l'Union européenne (UE). Ces négociations sont particulièrement importantes pour le Québec, compte tenu de la part élevée de ses relations commerciales avec l'UE par rapport au reste du Canada. Néanmoins, cette entente peut tomber à l'eau si des intérêts étroits persistent, et ainsi compromettre les chances du Canada et du Québec d'accéder à un éventail de possibilités commerciales beaucoup plus large que la plupart d'entre nous ne le pensent.
L'UE souhaite y aller à fond dans la négociation de cette entente - et les négociateurs européens sont prêts à rentrer chez eux les mains vides si l'offre se limite à un accord restreint. Malheureusement, le discours public sur la question au Canada - si discours il y a - est dominé par une approche étroite. Certains, par exemple, veulent empêcher l'entrée au Canada de produits de l'UE, comme le fromage, ou la prestation de services aux Canadiens par des sociétés européennes. Pour leur part, les médias tendent à s'intéresser essentiellement aux exportations de produits canadiens vers l'UE. Qui plus est, bon nombre d'entrepreneurs ne savent même pas que le Canada est en train de négocier une entente et poussent donc, encore moins, pour une vaste entente.
Le Québec a encore plus à perdre
En réalité, les enjeux de ces négociations sont énormes. Si aucune entente n'est conclue, les Canadiens perdront la chance d'améliorer leur accès à un large éventail de possibilités commerciales, qui éclipse la valeur de 35 milliards de dollars généralement déclarée des exportations annuelles de produits canadiens vers l'UE.
Le Québec a encore plus à perdre parce que le commerce avec l'UE représente près de 20% de l'ensemble de son commerce international, soit une part deux fois plus importante que pour l'ensemble du Canada.
L'analyse du Conference Board du Canada des échanges commerciaux Canada-UE a une portée plus vaste que les analyses commerciales conventionnelles et couvre une plus grande variété d'activités - notamment les services échangés et les ventes par des sociétés canadiennes affiliées sur le territoire de l'UE. Ces mesures révèlent que les ventes canadiennes de biens et de services à l'UE atteignent au moins 150 milliards chaque année - soit plus de quatre fois la valeur des exportations des produits comptés dans les statistiques conventionnelles sur les exportations.
Le BlackBerry de la société Research In Motion (RIM) illustre aussi la nécessité d'élargir notre compréhension des enjeux. Même si Waterloo peut fièrement revendiquer le BlackBerry comme étant un produit local, celui-ci est en réalité d'envergure mondiale. Il a été mis au point au Canada, mais les centaines de pièces entrant dans sa fabrication viennent de fournisseurs de partout dans le monde. La société RIM fabrique ses nouveaux modèles au pays, mais lorsqu'elle est convaincue d'avoir réglé tous les problèmes de production, elle en confie la fabrication à des pays où les coûts sont moindres, comme la Hongrie, pour les vendre dans le monde entier. De plus, la valeur du BlackBerry ne s'arrête pas aux pièces et à la confection - les services de transmission de données et de la voix que les clients achètent dans l'UE et ailleurs dans le monde représentent une bonne partie des recettes de RIM.
En centrant ses efforts sur ce que nous faisons de mieux au Canada et sur ce que les autres font de mieux ailleurs, RIM peut devenir une entreprise concurrentielle à l'échelle mondiale - et faire du BlackBerry l'une des rares marques canadiennes d'envergure mondiale. En retour, cette approche permet à la société d'intensifier ses activités canadiennes et d'apporter d'importantes contributions à notre économie.
Comme le montre le BlackBerry, une politique commerciale qui ne reconnaît pas cet éventail plus large d'interactions est déphasée par rapport aux réalités commerciales mondiales.
Les Canadiens ont beaucoup à gagner de l'accès aux intrants, aux technologies, à l'expertise et aux produits vendus par les sociétés de l'UE. Le Conference Board estime que les ventes de produits et services de l'UE au Canada sont considérables - 440 milliards en 2008 selon sa mesure élargie des relations commerciales - et ces ventes sont en pleine croissance.
L'analyse du Conference Board montre aussi que les entreprises du Canada et de l'UE contribuent de façon significative aux chaînes de valeur des unes et des autres, maintenant leur compétitivité par des échanges de matières premières, de pièces et de services. Bien que les chaînes de valeur canado-américaines soient plus intégrées, leur présence réciproque a aussi atteint un plateau. En revanche, les relations entre le Canada et l'UE ont un potentiel de croissance. L'adoption d'une politique commerciale étroite entraverait la croissance de ces activités réciproquement bénéfiques.
Au lieu de demander aux négociateurs canadiens d'adopter une position strictement défensive, Ottawa et les provinces (qui sont aussi représentées à la table de négociations de l'UE) devraient leur confier le mandat d'améliorer l'accès aux meilleurs produits, intrants, partenariats, projets de collaboration, technologies, expertises et investissements de l'UE. Évidemment, Ottawa devrait accompagner ce mandat de mesures pour faciliter la transition des personnes désavantagées à court terme, et de garanties en matière de santé et de sécurité pour les Canadiens.
Plutôt que de limiter le mandat de nos négociateurs à l'accès pour nos produits seulement, il faudrait leur demander de faire de l'échange de nos services avec l'UE une priorité. Les obstacles au commerce des services entre le Canada et l'UE sont souvent liés aux difficultés posées par le transfert des travailleurs ou l'établissement d'une présence locale. L'entente devrait donc traiter de mesures qui pourraient faciliter les mouvements de travailleurs temporaires et créer des possibilités d'investissement et d'établissement pour des sociétés affiliées étrangères.
Une attitude défensive pourrait protéger des emplois dans certains secteurs à court terme, mais elle compromettrait aussi l'entente globale et la vaste gamme d'avantages à long terme qui y sont maintenant associés, pour un temps limité. Afin de protéger ces avantages, des décideurs canadiens clairvoyants doivent y aller à fond dans les négociations - ou revenir les mains vides.
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Danielle Goldfarb et Louis Thériault
Les auteurs ont rédigé le rapport intitulé «Le commerce manquant du Canada avec l'Union européenne»*
*Le rapport a été publié par le Centre du commerce et des investissements internationaux du Conference Board du Canada.


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