Accommodements raisonnables: les Québécois préoccupés

Immigration - capacité d'accueil


La moitié des Québécois croit que le nombre d’immigrants admis annuellement doit demeurer le même. (Photothèque Le Soleil)

Daphnée Dion-Viens - À l’aube d’un automne qui sera rythmé par les travaux de la commission Bouchard-Taylor, une majorité de Québécois sont préoccupés par le débat entourant les accommodements raisonnables et craignent même les dérapages.



Selon un sondage CROP—La Presse réalisé auprès de 600 personnes, 61 % des Québécois sont « préoccupés » par la question et 73 % craignent même que « les pratiques d’accommodements reliés aux différences culturelles ne dérapent et deviennent hors de contrôle ». La marge d’erreur de cette enquête est de 4 %.
« Toutes ces questions viennent toucher des cordes sensibles », note Claude Gauthier, vice-président de CROP.
Les résidants des régions du Québec sont un peu moins préoccupés que ceux de la grande région de Montréal (55 % contre 65 %). L’inquiétude est aussi plus vive dans les rangs des francophones que des anglophones et des allophones (63 % contre
48 %). Quant aux craintes de dérapages, elles sont à peu près les mêmes, peu importe l’endroit au Québec.
Jean-Jacques Simard, sociologue à l’Université Laval, souligne toutefois que la question sur les dérapages peut être interprétée de deux façons. « On peut craindre que les pratiques d’accommodements se multiplient, mais on peut aussi craindre que cette question soit gonflée sur le plan médiatique et politique. C’est aussi ce qu’on appelle un dérapage. »
Selon un sondage publié en décembre dernier, 59 % des Québécois estiment que la société en fait « trop » en matière d’accommodements raisonnables.
Par ailleurs, la moitié des Québécois (48 %) croient que le nombre d’immigrants admis annuellement doit demeurer le même. Le quart des sondés pensent qu’il faut plutôt réduire le nombre de nouveaux arrivants, tandis que 19 % croient qu’il faut plutôt en accueillir davantage.
« C’est une réponse équilibrée qui démontre une certaine sérénité », estime M. Simard.
Par contre, 56 % des gens interrogés pensent qu’il ne faut pas accueillir davantage d’immigrants « parce que cela risquerait de nuire à leur intégration et à la préservation de la culture québécoise ». Ceux qui partagent ces craintes sont surtout les femmes, les francophones et ceux qui vivent à l’extérieur de Montréal.
« Les femmes sont peut-être moins sensibles aux avantages économiques que l’on associe souvent à l’immigration », laisse tomber M. Gauthier.
La moitié des Québécois considère aussi qu’il est « souhaitable d’exclure toute trace du religieux de l’ensemble des institutions publiques ». C’est la réponse qui a le plus surpris le vice-président de CROP, puisque la question était « assez drastique ».
« Les gens ont peut-être l’impression que les désaccords sur les accommodements raisonnables proviennent surtout des différences religieuses », dit-il.
Pourtant, en janvier dernier, André Boisclair avait suscité un tollé en affirmant que le crucifix devait être retiré de l’Assemblée nationale.
Finalement, 55 % des gens interrogés considèrent que le nationalisme québécois n’est pas une source de malaise pour les immigrants. Cette proportion est de
59 % chez les francophones contre 36 % chez les anglophones et les allophones. « Les non-francophones sont évidemment plus éveillés au fait que le nationalisme québécois suppose un « nous » qui, lorsqu’il est émotif, peut être exclusif », note M. Simard.
Cette enquête a été réalisée du 17 au 20 août.
La commission Bouchard-Taylor n'inspire pas confiance
Les coprésidents de la commission, Gérard Bouchard ( à gauche ) et Charles Taylor, ont du travail à faire pour gagner le cœur des citoyens. (La Presse, David Boily)
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Les coprésidents de la commission, Gérard Bouchard ( à gauche ) et Charles Taylor, ont du travail à faire pour gagner le cœur des citoyens.
La Presse, David Boily

La commission Bouchard-Taylor a du travail à faire pour gagner le cœur des citoyens. Un Québécois sur deux n’a pas confiance dans ses travaux pour dissiper le malaise provoqué par certaines pratiques d’accommodements raisonnables.
Selon le sondage CROP—La Presse, 34 % des sondés ont « peu confiance » et 16 % n’ont « pas du tout » confiance dans les travaux de la commission. À l’inverse,
23 % ont « assez confiance » et seulement 5 % « très confiance ». Plus d’une personne sur cinq ont par ailleurs refusé de se prononcer sur la question.
« Les gens sont tellement préoccupés qu’ils ont de la difficulté à croire que la commission peut régler quelque chose », estime Claude Gauthier. Le vice-président de CROP y voit aussi un certain « cynisme » envers les deux coprésidents de la commission, Gérard Bouchard et Charles Taylor, deux intellectuels de renom. « Est-ce qu’ils sont bien ancrés dans la population ? Est-ce qu’ils sont près des gens ? » s’interroge M. Gauthier. Interpellés vendredi, MM. Bouchard et Taylor ont refusé de commenter les résultats de ce sondage. Jean-Herman Guay, politologue à l’Université de Sherbrooke, croit plutôt que ce type de démarche suscite habituellement sa part de scepticisme parmi la population, peu importe qui est à sa tête. « Il ne faut pas oublier que le niveau de cynisme est élevé envers les institutions publiques en général », note-t-il.
Jean-Jacques Simard, sociologue à l’Université Laval, croit de son côté que la confiance du public a pu être ébranlée par l’ampleur des questions soulevées par la commission. « Les coprésidents se sont engagés dans une longue démarche, dans laquelle on veut rebrasser des questions sensibles comme celles de la cohésion nationale et de l’identité québécoise, ce qui peut rendre plus difficile l’espérance d’une solution simple », dit M. Simard.
La commission Bouchard-Taylor a été mise sur pied par le gouvernement Charest en février pour tenter d’atténuer l’incompréhension et le mécontentement entourant les accommodements raisonnables.
La commission, qui dispose d’un budget de 5 millions $, a commencé vendredi ses audiences publiques qui la mèneront aux quatre coins de la province. Un rapport et des recommandations seront remis au premier ministre du Québec le 31 mars.
Mario Dumont agit de façon responsable
Près d’un Québécois sur deux (46 %) estime que Mario Dumont « agit de façon responsable en exprimant l’inquiétude des Québécois au sujet de l’immigration ». Au contraire, 38 % considèrent que le chef de l’ADQ « exploite l’inquiétude des Québécois au sujet de l’immigration à des fins purement partisanes », selon le sondage CROP—La Presse.
Ceux qui appuient le plus Mario Dumont dans ses prises de position contre les excès entourant les accommodements raisonnables sont les hommes francophones âgés entre 35 et 54 ans habitant à l’extérieur de Montréal.
Le politologue Jean-Herman Guay, de l’Université de Sherbrooke, ne s’étonne pas de ces résultats. « Il est le porte-étendard du débat sur les accommodements raisonnables et joue sur cette corde sensible, qui lui est profitable. Après tout, c’est le propre de tous les joueurs politiques de profiter des occasions », rappelle-t-il.
M. Guay estime que Mario Dumont a tout de même abordé le sujet de façon relativement nuancée : « Ce n’est pas Jean-Marie Le Pen tout de même. Son discours porte beaucoup sur l’intégration des immigrants, sur le fait que la capacité d’accueil a peut-être été atteinte. »
Mais sur le thème de l’immigration, aucun des chefs de parti ne rallie une majorité de Québécois. Interrogés sur le chef qui « exprime un point de vue le plus proche du vôtre au sujet de l’immigration», les sondés accordent une mince préférence à Mario Dumont (26 %) contre 22 % pour Jean Charest et Pauline Marois. La marge d’erreur du sondage est de 4 %.
La proportion de gens qui ont refusé de répondre est toutefois plus grande, avec 30 %. « Beaucoup de gens ne connaissent pas les positions de Jean Charest et de Pauline Marois, qui sont moins claires », souligne Claude Gauthier, vice-président chez CROP. De son côté, Mario Dumont a joué la carte des accommodements raisonnables lors de la dernière campagne électorale, en dénonçant la « mollesse » du gouvernement Charest à défendre l’identité québécoise.
Fait étonnant, la position des Montréalais sur cette question est sensiblement la même que celle des gens habitant en région. Quelques points d’écart, sans plus. Pourtant, les anglophones et les allophones sont beaucoup moins nombreux à se rallier à Mario Dumont que les francophones (3 % contre 31 %).


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