Accommodement raisonnable: la règle du cas par cas s’appliquera

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La ligne directrice ? C'est d'en avoir aucune !

Près de sept mois après l’adoption de la « loi 62 », la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a dévoilé mercredi les lignes directrices visant à « guider » les organismes publics dans le traitement de demandes d’accommodement pour un motif religieux reçues à compter du 1er juillet prochain.


Ces lignes directrices ne forment pas un « cadre d’analyse unique », a-t-elle souligné à gros traits en conférence de presse mercredi après-midi. Du coup, chaque demande devra continuer d’être traitée au « cas par cas ».


Installation d’une vitre givrée dans un gymnase, aménagement d’un lieu de prière dans un établissement public, octroi d’un congé lors d’une fête religieuse, Mme Vallée a refusé d’illustrer l’application des nouvelles lignes directrices au moyen d’exemples de demandes d’accommodement raisonnable ou déraisonnable. « Vous me faites une demande très générale dans un contexte très général. Ce qui est important de bien saisir dans les demandes d’accommodement, c’est que ces demandes-là sont formulées dans un contexte particulier, à un organisme particulier, par une personne particulière », a-t-elle fait valoir à la presse. Chaque demande d’accommodement pour un motif religieux sera « étudiée au cas par cas », et ce, « en fonction du contexte au moment où la demande est formulée », a-t-elle ajouté.


Cela dit, un accommodement sera octroyé seulement si une série de conditions prévues par la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse sont respectées, a expliqué Mme Vallée. Parmi elles : « le demandeur doit croire sincèrement qu’il est obligé de se conformer à cette conviction ou cette pratique dans le cadre de sa foi ». L’accommodement demandé ne doit pas entrer en collision avec, d’une part, le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et, d’autre part, le droit de toute personne d’être traitée sans discrimination. Autrement dit, le droit des autres usagers ou employés de l’organisme assujetti à la « loi 62 » de ne pas subir de discrimination fondée sur leur sexe, leur race, leur identité de genre, leur orientation sexuelle ou tout autre motif interdit par la Charte des droits et libertés de la personne doit demeurer intact.


Les fonctionnaires devront aussi avoir « en tête les principes de sécurité, de communication et d’identification » lorsqu’ils analyseront les demandes d’accommodement faites par une personne tenant à garder le visage couvert lorsqu’elle reçoit un service public en raison de ses convictions religieuses, a rappelé la ministre de la Justice.


« Les demandes d’accommodement pour motif religieux sont déjà traitées dans les organismes en ce moment, à la lumière des règles élaborées au fil du temps par la jurisprudence. […] La publication des lignes directrices facilitera une meilleure compréhension de la loi, mais aussi, et surtout, une mise en oeuvre plus harmonieuse. »


Gérard Bouchard et Charles Taylor, qui ont coprésidé la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles il y a dix ans, ont mis la main à la pâte, a mentionné Mme Vallée au détour d’une réponse.


Un répondant sera désigné dans chaque organisme pour traiter les demandes d’accommodement pour motif religieux. « Ce n’est pas chaque chauffeur, ce n’est pas chaque employé qui est responsable de [traiter] la demande. Ce seront les répondants », a martelé Mme Vallée en conférence de presse.


Un demandeur qui essuie un refus pourra interjeter appel devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. « Comme c’est le cas actuellement », a précisé Mme Vallée.


La sous-ministre à la Justice a transmis mercredi après-midi les lignes directrices à ses homologues dans les autres ministères. Les commissions scolaires, les cégeps, les universités, les municipalités, les sociétés de transport recevront également un exemplaire. Des « formations » y seront organisées prochainement, a indiqué Mme Vallée.


Les organismes ont les coudées franches pour rejeter toute demande d’accommodement non raisonnable, selon le gouvernement libéral. En effet, l’accommodement demandé ne doit pas imposer une contrainte excessive à l’organisme visé, c’est-à-dire « nui[re], de façon importante à sa prestation de services, à sa mission [et] à la qualité de ses services ».


D’ailleurs, le demandeur devra « collabore[r] à la recherche d’une solution satisfaisante et raisonnable », notamment en faisant « des compromis pour limiter les contraintes que sa demande peut causer », peut-on lire sur la fiche d’information produite par le ministère de la Justice.


Le coin droit du document est orné d’une fleur de lys formée d’individus, tandis que le coin gauche loge le slogan du gouvernement, « Ensemble… on agit pour une société juste et équitable ».


« Les demandes d’accommodements ont comme objectif d’assurer le respect des droits fondamentaux individuels, d’éviter les situations de discrimination entre les citoyens, elles visent à atteindre l’équité au sein de la société québécoise et non, comme certains le perçoivent, à accorder un traitement de faveur », a souligné Stéphanie Vallée. « Ce ne sont pas toutes les demandes présentées qui constituent une demande d’accommodements, et ce ne sont pas toutes les demandes d’accommodements qui peuvent être accordées », a-t-elle ajouté.


Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec ont réagi au quart de tour.


Les lignes directrices n’ajoutent rien à la « loi 62 », déplore la députée péquiste Agnès Maltais. « Ça [en] laisse encore beaucoup sur les épaules des employés », a-t-elle dit.


Selon sa compréhension, les femmes de confession musulmane pourront porter le niqab ou la burka au Québec, « sauf dans le cas où un employé [d’un organisme] — et c’est là que ça revient sur les épaules de l’employé — demande une identification pour des raisons de communication ou de sécurité ».


« Stéphanie Vallée ouvre la porte à un accommodement religieux pour le niqab et la burqa si la croyance est “sincère” et elle ajoute encore plus de confusion à sa loi 62. C’était un fouillis, c’est maintenant un foutoir ! » a poursuivi la députée caquiste Nathalie Roy mercredi après-midi. Elle promet de commenter plus longuement le dossier à l’Assemblée nationale jeudi.


La ministre Stéphanie Vallée tâchera de démêler les incompréhensions des partis politiques d’opposition en commission parlementaire d’ici la fin de la session parlementaire, prévue le 15 juin prochain.


> La suite sur Le Devoir.



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