Les métaphores tantôt végétales, tantôt guerrières du ministre Fournier

188dcfe24e2b89ff0c9281f2a4bd31b7

La question du Québec n'intéresse plus le Canada depuis bien longtemps

« Le fruit n’est pas mûr » pour amorcer de nouvelles discussions constitutionnelles avec le Rest of Canada (ROC), répète inlassablement le Parti libéral du Québec depuis quinze ans. Or, le ministre des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, a avoué cette semaine qu’il n’y a ni fruit, ni fleur, ni bourgeon ayant éclos sur l’arbre constitutionnel depuis le référendum sur l’indépendance du Québec de 1995.


« Je vous propose que le fruit apparaisse, mais pour qu’il apparaisse, encore faut-il qu’il y ait une plante qui le soutienne. Et pour que cette plante puisse prendre de la vigueur, encore faut-il qu’il y ait dégel. Vous avez attendu un fruit dans le silence ; depuis un an, on entend le dialogue qui reprend. Vous devriez voir comme moi cette pousse arriver », a-t-il déclaré à la presse parlementaire mercredi. Force est de constater que l’élu libéral sait filer la métaphore végétale — ou manier la langue de bois.


M. Fournier attribue en grande partie ce « dégel » de la relation entre les Québécois et les autres Canadiens à la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes qui a été dévoilée à la veille du 150e anniversaire de la fédération canadienne.


Le désintérêt affiché par le chef du gouvernement fédéral, Justin Trudeau, et la plupart des premiers ministres provinciaux et territoriaux ne l’offense pas. Pas pour le moment. Il prend toutefois soin de mentionner que la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, des sénateurs et des députés fédéraux représentant le Québec ainsi que les chefs du Parti conservateur du Canada et du Nouveau Parti démocratique « ont témoigné publiquement de leur intérêt pour reprendre le dialogue sur les relations canadiennes ».


En multipliant les « discussions » auprès de la société civile canadienne, M. Fournier croit avoir contribué à briser « le tabou » sur la spécificité de la nation québécoise — et l’absence de la signature du Québec au bas de la Loi fondamentale de 1982 — au fil des onze derniers mois, ce qui n’est pas une mince affaire, à l’écouter. « Il y a comme une reprise d’intérêt pour la chose », estime-t-il. « Les modifications constitutionnelles sans crise ne seront possibles que lorsque les Québécois et les autres Canadiens se connaîtront mieux et auront multiplié leurs liens de solidarité », a-t-il répété.


« Une éventuelle reprise des pourparlers constitutionnels […] suivra une compréhension renouvelée du sens de notre union », avait averti le premier ministre Philippe Couillard lors du dévoilement de la Politique. « Une conférence constitutionnelle […] pour que tout le monde y aille, il faut qu’il y ait une pression non seulement politique, mais également de la société civile. »


Le chef du gouvernement québécois n’a pas pour autant l’ambition de prendre l’initiative de nouvelles négociations constitutionnelles. Mais si jamais d’autres voulaient s’en charger — les nations autochtones, par exemple —, il profiterait de l’occasion pour soumettre les demandes dites traditionnelles du Québec : reconnaissance constitutionnelle de la Nation québécoise, participation du Québec à la nomination de ses trois juges à la Cour suprême, droit de veto sur les modifications constitutionnelles d’importance, attribution d’un statut constitutionnel à l’entente en matière d’immigration et encadrement par la Constitution du « pouvoir fédéral de dépenser » dans les champs de compétence exclusifs des provinces.


Il y a fort à parier que l’adhésion de la nation québécoise à la Constitution de 1982 ne figurera pas dans la plateforme électorale du PLQ. Le programme du PLQ en matière de relations canadiennes épousera sans doute les grandes lignes du Plan d’action du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes (SQRC) présenté par le député ministre sortant Jean-Marc Fournier mercredi dernier. Assorti d’une enveloppe budgétaire de 2,4 millions, le Plan d’action 2018-2022 vise à « renforcer concrètement les liens qui unissent les Québécois et les autres Canadiens et d’établir ainsi les conditions du dialogue sur l’avenir du vivre ensemble dans la fédération canadienne » (voir encadré).



 Une allégeance québécoise à laquelle s’additionne une appartenance canadienne représente la réalité identitaire d’une vaste majorité de Québécois, réalité dont les racines plongent jusqu’au coeur de l’histoire de notre nation. Le Canada est un pays riche de sa diversité, qui doit aujourd’hui en reconnaître toutes les dimensions et accueillir les différences nationales.


—  Extrait de «Québécois, notre façon d’être canadiens. Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes»



« Patient, pas passif »


La Coalition avenir Québec reproche au gouvernement libéral d’avoir amorcé un « dialogue long et passif ». « Les Québécois ont besoin de faire des gains rapidement à l’intérieur de la fédération canadienne », a fait valoir le député caquiste Simon Jolin-Barrette en commission parlementaire cette semaine. L’élu « nationaliste » s’est dit étonné de lire dans la documentation fournie par le SQRC que M. Fournier avait « rencontré ou téléphoné à sept reprises » seulement à des membres du gouvernement fédéral au cours de la dernière année.


Le Québec est « patient, pas passif », a rétorqué M. Fournier rappelant qu’il n’y a pas seulement le dialogue entre le gouvernement du Québec et les milieux politiques du Canada à intensifier, mais également le dialogue entre le gouvernement et la société civile canadienne, ainsi que le dialogue entre les citoyens québécois et ceux d’ailleurs au Canada. Le « dialogue patient » portera ses fruits, a-t-il promis.


Cela dit, le canal de communication entre les décideurs politiques de Québec et d’Ottawa, autant au pouvoir que dans l’opposition, est perfectible, convient le vétéran de la politique québécoise. À cet égard, M. Fournier a soutenu devant la commission des institutions de l’Assemblée nationale que la désignation d’un représentant du gouvernement québécois dans la capitale fédérale par le gouvernement Marois a été une erreur. « Ottawa, c’est à côté d’ici. On peut y aller autant comme autant. J’étais là la semaine passée. Je n’ai pas besoin d’un délégué là-bas qui fait des antichambres quand je peux aller m’asseoir devant des comités et exprimer viva voce ce que je veux dire au nom des Québécois », a-t-il fait valoir.


D’ailleurs, il rappelait mercredi soir avoir témoigné devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat canadien afin de défendre le pouvoir des provinces de prohiber, si elles le désiraient, la production de cannabis récréatif à domicile. Le Sénat a fait sienne sa proposition. La bataille n’est pas terminée pour autant, a-t-il pris soin de mentionner. Il n’a pas pu mieux dire. Le lendemain, le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a balayé la possibilité que les provinces interdisent la possession de plants de marijuana à la maison. Il s’est dit disposé à se battre devant les tribunaux pour voir la compétence fédérale en la matière reconnue. La ministre Lucie Charlebois a dissuadé Ottawa de pratiquer un « fédéralisme de guerre ». Légalisation du cannabis, accueil des migrants irréguliers, possibilité que des projets de pipeline se concrétisent sans l’appui de la ou des provinces concernées : les accrochages entre Québec et Ottawa se sont multipliés depuis l’énoncé de la Politique d’affirmation du Québec.


> La suite sur Le Devoir.



-->