À propos du retard économique du Québec - L'impossible dialogue?

Il est absolument essentiel d'avoir une conception pluraliste de la vie

Retard économique du Québec



Le constat semble clair: le retard économique du Québec persiste encore et toujours si on le compare au reste de l'ensemble nord-américain. Depuis plusieurs décennies, il y a eu des rattrapages significatifs dans plusieurs domaines certes, mais il existe encore une différence non négligeable nous dit-on. C'est ce que le groupe des «lucides» nous a rappelé. Plus récemment, on nous a également expliqué que les Québécois travaillaient moins que les autres nord-américains. Élément important qui contribue à comprendre ce retard historique jamais comblé.
Le constat n'est pas faux en soi, il s'appuie sur des statistiques auxquelles on peut se fier. Par contre, on pourrait se demander à juste titre pourquoi travailler plus? Pourquoi produire plus? Les tenants d'une vision éconocentriste ont prévu évidemment le coup. En proposant tout simplement aux individus de produire plus et de travailler plus, ce n'est pas comme ça qu'ils risquent de séduire le grand nombre. L'argument principal, et qui leur tient lieu d'évidence, est de dire que le temps libre c'est bien, mais si on n'a pas les moyens d'en profiter à quoi cela sert-il?
Une réponse d'ordre économique
Devant ce discours, la réponse la plus articulée est également d'ordre économique. On soutient, pas à tort, que la richesse est mal redistribuée et que jamais les sociétés humaines n'ont été aussi productives qu'elles ne le sont actuellement, ce qui est vrai. Les constats de part et d'autre, bien que différents, ne sont pas faux. Ils sont même assez vrais. Mais nous sommes devant des discours qui s'ignorent mutuellement et qui ont le grand désavantage de se limiter à la sphère économique, il s'agit d'une faiblesse importante. Quand on y pense, il est assez fascinant que la notion du bien-être des individus puisse être limitée à une conception économique.
Pourtant, la question du bonheur humain ne se limite pas aux discours éconocentristes. Elle est présente ailleurs. Par contre, les économistes ont cette capacité assez surprenante de savoir limiter leurs réflexions à leur seule sphère. La discussion est beaucoup plus riche, mais aussi beaucoup plus réaliste si on parle du stress au travail, du manque chronique de temps dans nos sociétés contemporaines, de la surconsommation, de la nécessité d'être performant, de la difficulté de s'épanouir comme on le voudrait et d'une certaine déshumanisation des relations sociales.
Une conception pluraliste de la vie
Devant un discours économique sur le bien-être, apporter des arguments d'un autre ordre a des conséquences. On dira que l'on «joue» au philosophe, que l'on se fait «utopiste» ou encore «moralisateur» . Même après avoir présenté une réflexion articulée on nous trouvera «sympathique» mais peu ancré dans le présent d'un monde rempli de contraintes, comme si le bonheur ne pouvait seulement et uniquement se penser qu'en termes économiques. Bref, on cultive l'art de se limiter à la sacro-sainte sphère économique.
Il n'en demeure pas moins qu'il est absolument essentiel et incontournable d'avoir une conception pluraliste de la vie. Autrement, il y a des conséquences réelles et bien plus importantes que celle de s'incliner devant les discours économiques autosuffisants. Il y a un appauvrissement important de la vie si l'on se restreint seulement aux facteurs économiques. De plus, on tombe dans un piège: celui du rétrécissement de la vie. Cela peut-être considérés avantageux par certains qui ont tout intérêt à voir disparaître de nombreux enjeux de la sphère publique...
Les thèmes mentionnés plus haut n'ont rien de superflu et ne devraient aucunement faire sourire. Il s'agit de réalités sociales avec des conséquences tangibles. Ils sont aussi importants, voire plus, que les simples écarts de production et le nombre d'heures travaillées. Ceux qui devraient sourire devant l'utopie du discours, ce sont tous ceux qui entendent ces économistes se limiter à une conception si limitée de la vie. L'illusion est en réalité de penser que le bonheur humain peut être expliqué uniquement à partir d'une conception si limitée. Un dialogue ouvert qui prend en compte les divers aspects de la vie dans toute sa complexité est et demeure une nécessité fondamentale.
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Jean-François Lessard, Auteur du livre récemment paru L'État de la nation, Liber 2007, Membre de la Chaire de recherche en Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie


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