À la guerre comme à la guerre

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail

Le premier ministre Harper, que le Globe de Toronto a traité comme un vulgaire laquais cette semaine en renvoyant sa lettre de protestation dans le courrier des lecteurs, en a sorti une bonne hier. Radio-Canada en a fait mention dans ses bulletins. Je laisse à d'autres le soin de commenter son aparté à propos du curieux phénomène d'autocensure appelé « devoir de réserve » que les journalistes s'imposent apparemment face à l'engagement historique des forces armées canadiennes en Afghanistan : à son avis, ils ne devraient pas réprimer l'expression de leur fierté devant le déploiement d'une force aussi auguste, dont le but comme on sait est d'étendre le rayonnement de la démocratie dans ces contrées perdues de l'Asie centrale.
J'attire seulement l'attention sur le petit mot qui lui est venu après. Ne devrait-on pas être fier de l'armée canadienne qui après tout a créé et défend toujours nos droits ? Je veux bien qu'elle les ait défendus lors des deux conflits mondiaux au vingtième siècle par exemple ou dans la guerre de 1812 aux côtés des Britanniques contre les Américains - guerre qui, comme on sait, s'est terminée dans l'apothéose par la mise à sac et la destruction totale de Washington. Du travail bien fait. Les Loyalistes canadiens leur devaient bien ça. Nous voici plongés au cœur des représentations les plus authentiquement canadiennes. Tout le monde s'en rappelle, inutile d'insister là-dessus.
Pour ce qui est de la défense de nos droits, je crains que monsieur Harper ne soit obligé d'entreprendre une tournée de conférences pour nous en convaincre. Les pionniers du Canada, ayant fui la révolution américaine, ont amené avec eux ce que l'historien F. Murray Greenwood a appelé « la mentalité de garnison », c'est-à-dire, « ce sentiment d'être entourée de sujets conquis et hostiles » (« L'insurrection appréhendée et l'administration de la justice au Canada », RHAF, juin 1980). Or, fait intéressant, on peut y joindre la francophobie comme attribut essentiel. Et quoi de mieux qu'une presse docile qui, passant outre son devoir de réserve, s'empresserait de ventiler dans l'opinion publique cette disposition d'esprit aux marges de la paranoïa, si encline par ailleurs à détecter les moindres signes de persécution à son endroit. À lire les propos délirants de madame Wang et la récente revue de presse dans Vigile, faut croire que ce trait de caractère se retrouve d'un bout à l'autre de l'histoire depuis la création de la Province of Quebec en 1774.
Je tire au hasard de l'honorable et auguste Montreal Gazette un échantillon de cette mentalité de garnison pendant la période des rébellions (1837-1841) : dans l'édition du 19 janvier 1836, il est question d'une « complete subjugation to the Yoke of French Republican supremacy », « this hatred thraldom » : « Britons must either arouse in their majesty and put down their oppressors, or quietly to the yoke already prepared for them » sans quoi ils sont voués à devenir « the perpetual and irredeemable serfs of a despotic, ignorant, anti-commercial and Anti-British faction. » (André Lefebvre, La Montreal Gazette et le nationalisme canadien, 1835-1842, p. 62). Inutile de rappeler que les forces armées et les brigades de volontaires ont joué un rôle décisif dans la mise au pas de cette ténébreuse menace francophone.
Passons par-dessus les prouesses de l'armée canadienne au Manitoba en 1871 et en Alberta en 1885, dont la mission consistait à écraser toute possibilité de gouvernements francophones et métis. Qu'on ne s'y trompe pas. Les droits que l'armée défendait étaient ceux de la toujours puritaine et orangiste Ontario. Je termine, last not least, avec Trudeau lui-même dans toute la splendeur de sa pensée qu'un correspondant a eu l'obligeance de nous communiquer. En avril 1962, dans le célèbre numéro de Cité Libre consacré au séparatisme, il citait cet extrait de Mason Wade à propos des premiers Loyalistes qui sont venus s'établir à Montréal : « They were badly scared men, who had lived through one revolution in America and dreaded another in Canada ». Comme si ce n'est pas assez, plus loin Trudeau en remet : « j'avoue quand même que la trouille des politiciens et des hommes d'affaires de langue anglaise est drôle à voir. Elle témoigne certainement de leur mauvaise conscience de nationalistes agresseurs. Mais cela aura ses contrecoups : il n'est rien de plus mesquin que le poltron revenu de sa peur. Et j'aimerais qu'alors le Canada français puisse s'appuyer sur une jeune génération nantie de quelques connaissances plus valables que la passion nationaliste. »
Avec la loi 101, je crois que tout en imposant chez nous le respect de notre langue, nous sommes parvenus en même temps à faire de la place aussi à ce qui était autre que nous et notamment les droits historiques de la communauté anglo-saxonne. Il ne s'agit que de se promener dans les rues de Montréal ou d'aller faire un tour dans les écoles, à Dawson même, pour s'en rendre compte. Mais de cela, les orangistes et les fanatiques de Toronto ne veulent absolument rien savoir. Plutôt que de se frotter au monde réel, ils préfèrent s'accrocher à leurs vieilles lubies.

François Deschamps


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