À la défense de Philpot

Chronique d'André Savard


Il se passe tant de choses depuis tant de semaines que malgré la fin de la campagne électorale, on sent la même fébrilité, le même brouhaha. Le contexte est idéal pour les basses œuvres, les injustices, la tendance à vouloir faire passer un cerf pour un cheval. Nous n’en sommes pas à une injustice près et comme tout le monde ne sait pas où donner de la tête. Si vous voulez noircir quelqu’un, c’est le temps.
Les libéraux l’ont bien compris avant tous. Ils voulurent découvrir quelque chose sur Robin Philpot. Ils n’ont en fait rien découvert. Il y a bien longtemps que Philpot était dans leur ligne de mire. Les libéraux redoutaient de le voir appelé à faire de nombreux commentaires entourant l’enquête sur Option Canada. Avant qu’il ne gagne trop en popularité, il était nécessaire de trouver le diable quelque part dans son passé.
L’ennui, c’est qu’on ne trouva pas le diable dans les livres de Philpot. Il avait écrit un livre sur le Rwanda où il notait que l’horreur y avait été encore plus compliquée qu’on ne l’imagine. Le livre disait que l’actuel président Paul Kigame s’était comporté en criminel de guerre. Il ajoutait que les Etats-Unis avaient profité de la crise rwandaise pour entamer une partie de bras de fer dans la région.
Sa thèse fut amplement confirmée par quelques reportages menés pas les télévisions européennes. Dans ces reportages, des conseillers américains proches de l’administration Clinton avouaient que l’on avait apporté un soutien logistique à Paul Kigame car Kigame était leur homme pour faire basculer le Rwanda dans la zone d’influence anglo-saxonne. L’administration Clinton désirait desceller les joints jugés trop étroits entre la France et certaines contrées africaines dont le Rwanda.
Dans les années suivant la publication du livre, de nombreux graphiques sur les phases initiales du conflit rwandais recoupèrent les constatations de Philpot. Des témoins, dans plusieurs reportages, assurèrent que plus Paul Kigame aurait du sang sur les mains, plus il dépendrait des Etats-Unis pour le maintien de son impunité. Un génocide est un génocide mais ils ne suivent pas tous les mêmes nœuds.
Il n’y avait pas de négation par rapport au massacre dans le livre de Philpot.
Au bout de tant d’effroi, de vertige sanguinaire, Philpot avait poussé le travail jusqu’à homologuer les principaux camps qui avaient servi de tremplin pour les attaques des sbires de Paul Kigame.
Pour que la diffamation dirigée contre Philpot fonctionne, on attendit la campagne électorale. À ce moment-là, le public surexcité, peinturluré par la partisanerie, réagit comme s’il était éméché. D’abord on lança que Philpot avait nié un génocide. Et pour appuyer cette vision sans substance, on allégua que Philpot ne respectait pas le découpage exemplaire, manichéen, entre les victimes et les bourreaux.
On soutint que Philpot niait les camps de réfugiés parce qu’il avait osé écrire que plusieurs milices s’abritaient sur les frontières. Puisque Philpot ne voyait pas en Kigame un malheureux forçat évadé, un honnête berger qui cherche à sauver ses agneaux, on sauta à la conclusion : Philpot affirme hypocritement que la bonne tribu n’était pas gentille, pas totalement victime, et qu’elle avait eu ce qu’elle méritait.
Philpot se défendit bien mais les journalistes dans l’ensemble préférèrent penser qu’il n’y a pas de fumée sans feu. À Radio-Canada, les phrases convenues laissèrent entendre que Philpot arrivait ex aequo avec les huluberlus de l’Action Démocratique. L’art de Philpot avait été pourtant de montrer toutes les dimensions de ce génocide sans en faire une histoire simpliste. Dans ce renversement à faire frémir, ce fut lui que l’on qualifiât de négationniste.
Si Kigame a eu vent du libelle contre Philpot au Canada, il a sûrement trouvé qu’il s’agissait du plus hilarant des gags. Les Etats-Unis trouvaient intérêt à le soutenir et cela, Kigame le comprend très bien derrière ses lunettes de soleil. Kigame peut en tirer la cause et les conséquences. Mais trouver des alliés chez des as canadiens de la mimique, des citoyens et des journalistes qui appliquent en aveugle les réflexes de la vertu indignée, il ne s’attendait pas à tant de candeur. Kigame n’eut pu présager qu’on jette la pierre contre un intellectuel comme Philpot qui a vu le sang sur les cravates présidentielles qu’il porte.
André Savard


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2 commentaires

  • Fernand Lachaine Répondre

    10 avril 2007

    Je ne sais pas si vous avez lu l'article dans le Devoir du 5 avril 2007 concernant le livre de John R. MacArthur, Second Front. Dans cet article monsieur MacArthur mentionne que les médias américains sont devenus des propagandistes. Etcette tendance a maintenant rejoint le Québec. De plus il indique que "les reporters sont devenus des tuyaux fiables pour les puissants". Ne trouvez-vous pas que dans l'affaire Philpot les journalistes, reporters etc sont devenus des tuyaux fiables pour leurs patrons qui veulent se venger pour les trouvailles de monsieur Philpot en regard de Option Canada. "La plupart des journalistes sont devenus des fonctionnaires au service du pouvoir" mentionne-t-il.
    L'article est très intéressant et instructif de la situation des médias fédéralistes au Québec.
    Fernand Lachaine

  • Archives de Vigile Répondre

    10 avril 2007

    À ce propos,
    Je vous renvoie au texte de M. Hakizimana dans Le Devoir du 10 avril, qui pose de sacrées questions sur l'attitude du Canada face au Rwanda. (http://www.ledevoir.com/2007/04/10/138837.html
    "Le paradoxe canadien dans le dossier rwandais")
    Pourquoi est-ce que le Canada ne s'occupe pas des citoyens Canadiens (des missionnaires québécois) morts au Rwanda, apparemment sous les forces de Ka gamé ? Craint-il de déplaire à Londres et Washington ? Dire que l'université de Sherbrooke a octroyé un doctorat honoris causa à Kagamé !