Duplessis, Maurice de son prénom, a toujours le don de susciter de nombreuses réactions même si son décès remonte à 60 ans. Mais comme le rappellent aujourd’hui différents observateurs, dont François Roy, les choses commencent à évoluer concernant l’appréciation du legs laissé par le «Chef», accusé par plusieurs acteurs politiques et historiens de l’époque d’être le responsable d’une période peu glorieuse du Québec du 20e siècle, la Grande Noirceur.
«On est en train de le remettre en contexte. Maurice Duplessis a laissé une marque indélébile dans l’histoire du Québec, pour le meilleur ou pour le pire. Chaque fois qu’on a fait une commémoration, ça a soulevé un questionnement, suscité une relecture», croit M. Roy, vétéran des communications et intervenant impliqué en 1999 dans L’Événement Duplessis, ombre ou lumière, un rendez-vous qui avait permis de mobiliser les gens autour de l’héritage réel de Maurice Duplessis et d’en apprendre davantage sur celui qui a dirigé le Québec sous les couleurs de l’Union nationale de 1936 à 1939 et de 1944 jusqu’à sa mort, le 7 septembre 1959.
La Grande Noirceur. L’expression a traversé les époques. L’élection du gouvernement libéral de Jean Lesage en 1960 marque un tournant dans l’histoire. C’est l’amorce de la Révolution tranquille, une période durant laquelle l’État lance de grandes réformes et s’implique davantage dans la vie des Québécois: création du ministère de l’Éducation, nationalisation de l’électricité, assurance hospitalisation dans le système de santé. Cette approche progressiste fait contraste avec la vision plus conservatrice de Maurice Duplessis. Sa façon de faire de la politique lui a aussi valu des gorges chaudes. Plusieurs observateurs l’accusaient de patauger dans le népotisme, d’être trop près du clergé, de lutter contre les syndicats et de nuire à l’évolution du Québec.
«C’est normal qu’un nouveau gouvernement blâme le gouvernement précédent, mentionne M. Roy. Dans le cas de 1960 et de la Révolution tranquille, la relève de la garde a été tellement importante que le procès qu’on a fait à Duplessis est le procès de tout l’ancien régime. N’oubliez pas que les tactiques électorales de Duplessis, son financement politique, il avait emprunté ça aux libéraux de Taschereau (Louis-Alexandre, chef du Parti libéral du Québec et premier ministre de 1920 à 1936). Mais comme il a été le dernier de l’ancien régime, c’est lui qui écope et en plus, il a fait durer le système. Le gouvernement Duplessis se finançait avec de petits financements de voiries locales, le gouvernement Taschereau se finançait à même les grosses compagnies. Il y avait dans un cas comme dans l’autre matière à dénonciation et indignation.»
Denis Vaugeois célèbre ses 24 ans le jour où Maurice Duplessis s’éteint. L’historien et ex-politicien est alors au nombre des gens embauchés pour faire partie du personnel de la nouvelle École normale, lui qui termine sa licence en lettres à l’Université de Montréal.
SYLVAIN MAYER
«En l’espace de quelques semaines, on a recruté 20 Trifluviens avec un diplôme universitaire et on a composé la première équipe de l’École normale. Dire qu’on était arriéré dans les années 1950... On en a recruté 20!» tempère M. Vaugeois. «La vraie Grande Noirceur fut celle imposée par Trudeau (Pierre Elliot, premier ministre libéral du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984). Comparons la Loi des mesures de guerre (lors de la crise d’Octobre en 1970) à la Loi du cadenas (contre la propagande communiste en 1937), le sort fait aux communistes versus celui fait aux séparatistes.»
Yves Dufresne se raidit le cou chaque fois qu’il entend les mots Grande Noirceur. Le dentiste à la retraite, maintenant âgé de 98 ans, est le neveu par alliance de Maurice Duplessis. Selon lui, ce dernier a été critiqué faussement.
«Pendant 15 ans, les adversaires ont marché avec la Grande Noirceur... Il a fait des ponts, des écoles, il a mis la province au monde. L’histoire du minerai de fer, une cenne la tonne! On n’avait pas d’argent pour exploiter ça. Les États-Unis veulent le minerai. Ils (la compagnie Iron Ore) ont fait les chemins pour se rendre à Sept-Îles. Ils ont construit le quai de Sept-Îles, les bâtiments. Ils ont payé des taxes et des impôts. Ils ont investi 700 millions de dollars. Dans le temps, c’était de l’argent. En retour, on leur donne le minerai qu’ils transportent eux-mêmes. La Grande Noirceur, c’est une fausseté. C’est un slogan politique qui a duré pendant des années.»
Le Québec connaît une prospérité économique d’après-guerre durant le deuxième passage de Maurice Duplessis à la direction de l’État. Selon Denis Vaugeois, Duplessis est conscient de la situation de plein emploi et veut prendre les moyens pour que ça continue.
«Le salaire double durant qu’il est premier ministre. Il a connu la crise et le chômage, donc il veut protéger ça. Il avait peur de la réaction des patrons, il était porté à dire aux syndicats: ‘‘N’en demandez pas trop’’. Il était pro-patronal et ça a joué contre lui. Les syndicats lui ont fait la guerre».
Les moyens de ses ambitions
Les bienfaits de la Révolution tranquille sont rappelés constamment à la mémoire populaire. Mais si le gouvernement Lesage a pu mettre en marche un train de mesures progressistes, c’est parce qu’il avait la capacité financière pour y arriver.
Denis Vaugeois
STÉPHANE LESSARD
«Duplessis nous a donné les moyens de faire la Révolution tranquille, affirme François Roy. Il a laissé les coffres pleins. Il a créé l’impôt provincial. Le système fédéral faisait que les taxes, impôts et redevances étaient prélevés par le fédéral et il faisait le transfert aux provinces et on n’avait pas le choix souvent de l’utilisation de cet argent.»
Reconnu pour son nationalisme, son travail acharné et son attachement au Québec, Maurice Duplessis doit être considéré comme un grand premier ministre du Québec, plaide Yves Dufresne.
«C’était un grand Trifluvien, sinon le plus grand, un grand Québécois. Qui est-ce qui a été plus important à Trois-Rivières? En connais-tu des plus importants?»
Peut-être doit-il faire partie des plus grands premiers ministres, mais Maurice Duplessis n’était pas un dirigeant sans défaut.
«Il a été là trop longtemps, estime François Roy. C’était les années de la Révolution tranquille. On disait que c’est lui qui avait bloqué le processus, ce qui est en partie vrai. Il n’était pas particulièrement dynamique dans certains domaines. Il aurait pu poser des gestes d’ouverture beaucoup plus nombreux. Par exemple, une université à Trois-Rivières. Ça aurait été un cadeau de Duplessis et ce n’est jamais arrivé. Il trouvait que l’instruction allait bien comme ça. Le clergé s’en occupait. Même chose pour les affaires sociales. Mais il n’était pas allé en politique pour s’enrichir. Quand il est mort, il avait 40 000 $ de dettes. Sa seule fortune, c’était ses tableaux qui valaient 200 000 $ (cédés au Musée du Québec). C’est la preuve que c’était un homme de goût.»
Au final, le bilan de Maurice Duplessis est plus positif que négatif, évalue Yves Dufresne.
La mort de Maurice Duplessis a fait la première page de plusieurs éditions du Nouvelliste, en septembre 1959.
«De plus en plus, les façons de penser sont en train de changer. Pour le mieux!»
«Duplessis a fait beaucoup pour le Québec, renchérit Denis Vaugeois. Il avait ses principes, une vie un peu mystérieuse. La politique, c’était toute sa vie.»