Sur les traces de Champlain

1 - Le mal-aimé de La Rochelle

Il y a comme un quiproquo entre la vieille cité protestante et le fondateur de Québec mort en fervent catholique

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Samuel de Champlain, Père de la Nouvelle-France

La Rochelle -- Dans la petite rue de l'Escale à La Rochelle, tous les touristes québécois font le détour pour fouler les célèbres «pavés du Canada». On dit en effet que les gros galets grisâtres qui bordent le trottoir viennent du Canada, où ils auraient été chargés pour servir de lest aux navires des commerçants de fourrure. L'histoire fait les délices de tous les guides touristiques et on se la raconte un peu partout dans la ville. Pourtant, les «pavés du Canada» sont aussi faux que «l'or des fous» qu'avait ramené Jacques Cartier à Saint-Malo, qui n'était en réalité que de la pyrite de fer.
«Il y a quelques années, nous les avons fait analyser, dit l'historien Didier Poton de l'Université de La Rochelle, et nous avons découvert qu'ils venaient pour l'essentiel de la Scandinavie et de l'Irlande. Pas du Canada. Mais l'histoire a la vie dure. On la racontera encore dans 100 ans!»
Voilà un exemple parmi d'autres qui illustre que tout ne tourne pas rond entre Champlain et la ville où ont été lancées, le 8 mai dernier, les festivités du 400e anniversaire de la fondation de Québec. Est-ce le symbole de l'amour-haine que voue depuis toujours l'ancienne cité huguenote au fondateur de Québec, qui serait né protestant mais qui était devenu à la fin de sa vie un fervent catholique? Si la machine s'est grippée lors de la venue de la gouverneure générale Michaëlle Jean, le 8 mai dernier, ce n'est peut-être pas un hasard non plus. Pour un peu les mauvaises langues diraient que la presque reine du Canada qui a lancé les fêtes du 400e en France était aussi fausse que les pavés du même nom.
Peu de traces
On a beau arpenter la ville, de la tour Saint-Nicolas à la tour de la Lanterne en passant par la Grosse Horloge et le quartier Saint-Nicolas, on trouve peu de traces de la présence directe de Champlain à La Rochelle. Bien sûr, à l'angle de la rue du Temple et de la Grosse Horloge, on peut voir le «Masque au Sauvage», dit le Huron, gravé dans la pierre. Ailleurs, on découvre des poupes de vaisseaux sculptées sur les édifices. D'autres motifs reproduisent des instruments de navigation. Mais de traces de Champlain, on ne trouve pratiquement pas.
Aux archives régionales dans le quartier moderne des Minimes, une Acadienne devenue Rochelaise, Pauline Arseneault, me montre le seul contrat signé de la main du fondateur de Québec que possèdent les archives. Les lettres sont carrées et le trait vigoureux. Or ce document par lequel Champlain vendait une de ses maisons n'est pas de La Rochelle, mais de Brouage, sa ville natale, située à une trentaine de kilomètres de là. Sur les quatre kilomètres de rayons des archives départementales, on trouve aussi quelques contrats signés par l'oncle présumé du découvreur qui lui aurait appris la navigation. Guillaume Allène dit le «Provençal» avait d'ailleurs une propriété à La Larne, à deux pas de La Rochelle. Mais pas de traces de Champlain, et pour cause. Le fondateur de Québec est presque toujours parti du port rival de Honfleur, en Normandie, où se trouvaient l'essentiel des marchands et les principaux débouchés commerciaux.
Pourtant, c'est bien d'ici que plus tard, de 1640 à 1740, sont partis plus de la moitié des navires en direction du Canada. Avant 1640, la concurrence venait surtout de Dieppe et plus tard, de Bordeaux. En 1604, Pierre Dugua de Mons, à qui Henri IV accorde le monopole du commerce des fourrures, crée une première société financière avec deux bourgeois de La Rochelle: Samuel Georges et Jean Macain. Tous deux lui feront plus tard des procès. On trouve aux archives départementales le plus ancien contrat d'engagement conservé à La Rochelle. Macain et Georges recrutent en 1606 le «chaussetier» Élie Petit pour l'Acadie. La colonie avait un urgent besoin de chaussures.
«À la fin des guerres de religion, explique Didier Poton, les Rochelais ont beaucoup d'argent. Ils font le commerce lucratif du sel, nécessaire pour saler la morue. Ils se sont notamment enrichis en pillant les navires espagnols qui revenaient d'Amérique du Sud. Ils ont besoin de recycler cet argent dans de nouvelles activités. Très tôt ils vont pêcher à Terre-Neuve. Rapidement, les marins ramènent des peaux. La Rochelle devient un des premiers ports qui se spécialisent dans le commerce des fourrures. On y finance les expéditions et on y assure les bateaux et les cargaisons.» C'est ce qu'on appelle les «prêts à la grosse aventure». On parlerait aujourd'hui de capital de risque.
La Rochelle est alors une métropole maritime de 15 000 habitants. On y croise des gens de partout: des Flamands, des Basques, des Anglais, des Italiens et des Juifs. «C'est une ville très cosmopolite, dit Poton, et l'on peut y voir des Indiens d'Amérique débarquer des bateaux. Certains arrivent malades et sont soignés dans les hôpitaux de la ville.» Avec l'édit de Nantes, qui rétablit la paix religieuse, la ville huguenote s'est vu garantir de nombreux privilèges. Elle impose son autonomie économique, militaire et politique. «C'est un État dans l'État», dit l'historien.
Ces «voleurs de Rochelais»
Mais tout ne tourne pas rond entre Champlain et les Rochelais. «Le rapport entre La Rochelle et Champlain est ambigu», confirme Didier Poton. D'abord, la ville est protestante et le demeure quitte à affronter un siège de plus d'un an en 1628. Si l'on présume que Champlain est issu d'une famille protestante (d'où son prénom Samuel), il ne l'est plus, du moins officiellement, lorsqu'il fonde Québec. À ses débuts, Champlain paraît plutôt indifférent à la religion. Mais il meurt en fervent catholique avec, à son chevet, le père Lalemant. Il léguera même ses biens à... la Vierge Marie! Un testament que sa cousine Marie Camaret se dépêchera de faire casser. Peut-être, au fond, Champlain a-t-il abjuré sa foi comme son roi Henri IV qui s'est converti à quatre reprises pour des raisons politiques. C'est ce que soutiennent plusieurs historiens. «Converti de circonstance? Converti de bonne foi? Nous n'en savons rien», écrit Dominique Deslandres de l'Université de Montréal dans le très bel ouvrage que Raymonde Litalien et Denis Vaugeois ont consacré à Champlain (Champlain, la naissance de l'Amérique française, Nouveau Monde, Septentrion).
Il faut savoir que les Rochelais se font depuis longtemps un plaisir de rançonner les bateaux papistes. En bons libéraux, ils détestent les monopoles et vont tout faire pour mettre fin à celui de la traite des fourrures qu'accorde Henri IV au huguenot Pierre Dugua de Monts, qui finance les expéditions de Champlain. Le découvreur n'hésitera d'ailleurs pas à chasser ces «voleurs de Rochelais», les mots sont de Champlain, qui font la contrebande des peaux dans le golfe Saint-Laurent malgré l'interdiction royale.
Après la mort de Champlain, dit Didier Poton, alors que la Fronde déchire la France, c'est pourtant aux Rochelais que la Société des habitants de Québec fera appel pour approvisionner la colonie. Les missionnaires seront furieux, mais Marie de l'Incarnation dira qu'elle n'a pas le choix de «permettre à toutes sortes de personnes de s'établir». Les protestants n'avaient en effet pas le droit de s'installer en Nouvelle-France, qui n'accueillait que des colons qui sont «de bon naturel françois et bons catholiques». Mais ils peuvent y commercer. L'automne venu, ils doivent regagner le continent. Didier Poton est convaincu que de nombreux protestants, de La Rochelle et d'ailleurs, se sont installés malgré tout. En témoigne le grand nombre de noms de famille d'origine protestante au Québec. «On avait de la difficulté à faire ce genre de contrôle en France, alors imaginez dans la colonie, où règne une liberté encore plus grande, dit Poton. On essaie probablement de les contrôler, mais on y arrive difficilement.»
Ironie du sort, c'est pendant les 13 mois du célèbre siège de La Rochelle que Richelieu et Louis XIII créent la Compagnie des Cent-Associés, dont fait partie Champlain et qui va détenir le monopole de la traite jusqu'en 1663. On ne sait pas si la signature est intervenue à Aytré, où résidait le roi, ou à Angoulins, où se trouvait Richelieu. Le Moulin du pont de la Pierre, aujourd'hui transformé en bed & breakfast, témoigne toujours du passage du cardinal. Mais l'histoire a eu sa revanche. On croit que, si des huguenots ont aidé les frères Kirke à s'emparer brièvement de Québec en 1629, c'était notamment pour se venger du siège de La Rochelle, qui décima les trois quarts de la population protestante.
Au pied de la tour de la Chaîne
C'est à partir de ces années et après la mort de Champlain (1635) que le peuplement de la colonie va vraiment démarrer. La plupart des colons, migrants ou engagés, qui partaient de La Rochelle le faisaient du pied de la tour de la Chaîne, la plus petite des trois tours du port. Ils ne partaient pas du quai, mais de la rive, car les transatlantiques restaient généralement à l'extérieur du port, où les eaux sont plus profondes. Les nombreux bateaux coulés par Richelieu lors du siège de La Rochelle avaient contribué à ensabler le port. On rejoignait les vaisseaux en chaloupe.
«Les recrutés sont des hommes de métier, des maçons, des menuisiers, des forgerons, dit Pauline Arseneault. On a besoin d'ouvriers spécialisés. Les engagés partaient pour trois ans. Beaucoup venaient des alentours.»
Dans la région, on n'aime pas tellement évoquer le Champlain qui a fait la chasse aux Rochelais, précise l'archiviste. «On aime plutôt penser que Champlain était un protestant lui-même. Un fils de La Rochelle.» Catholique ou protestant, cela n'enlève rien au génie de Champlain, estime Didier Poton. «Le génie de Champlain, c'est d'avoir compris que l'emplacement de Québec était exceptionnel et d'en avoir convaincu Pierre Dugua de Mons. En bon géographe, il a peut-être aussi compris que le Saint-Laurent était la porte de tout un continent. Enfin, il a su écouter les Amérindiens et en faire des partenaires économiques.»
Depuis peu, la tour de la Chaîne, nommée ainsi parce qu'elle recevait autrefois la chaîne qui fermait le port, a été transformée en musée. On y raconte l'histoire de la migration charentaise vers la Nouvelle-France. Le projet a été lancé par la Commission franco-québécoise des lieux de mémoire, dont fait partie Didier Poton. Il a été essentiellement financé par la région du Poitou-Chatentes, l'État français et une petite contribution de quelques organismes québécois. Étrangement, l'ouvrage qu'inaugurait la gouverneure générale le 8 mai dernier n'a pas reçu un sou du gouvernement fédéral. Le jour de l'inauguration, il a pourtant fallu se battre pour y maintenir un drapeau québécois.
Mais La Rochelle n'en est pas à sa première escarmouche. Elle en a vu d'autres. Champlain aussi.
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Correspondant du Devoir à Paris
Lundi: L'enfant de Brouage


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