En mai 2010, on croyait la monnaie unique sauvée grâce au plan imaginé par le FMI et Bruxelles. Il n'en était rien. Retour sur un an de négociations, de petites rancœurs et de mauvais calculs.
C'était il y a 14 mois. Une éternité. En mai 2010, l'euro est sauvé, croit-on dans les capitales européennes. L'arme atomique a été dégainée par l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI): 110 milliards d'euros pour sauver la Grèce de la faillite et une enveloppe de 750 milliards pour empêcher, si besoin, la contagion aux autres «maillons faibles» de la zone euro. Oublié, le spectre d'une explosion de la monnaie unique.
C'était le temps où le ministre des Finances grec, Georges Papaconstantinou, sillonnait l'Europe à la rencontre des investisseurs: son pays, assurait-il, pourrait recommencer à emprunter sur les marchés financiers dès 2011.
Sauf que rien ne s'est passé comme prévu. Les chefs d'État et de gouvernement devaient se réunir à Bruxelles, jeudi 21 juillet, pour un énième sommet de la dernière chance. Avec, de nouveau, dans toutes les têtes la menace d'un éclatement de l'euro.
Entre ces deux dates, les intérêts nationaux, les petites rancoeurs et les mauvais calculs ont brutalement refait surface...
18 octobre 2010
_ À Deauville, le feu aux planches
Un homme et une femme sur les planches de Deauville, comme dans le film de Lelouch... Réunis dans la station balnéaire pour parler sécurité avec le président russe Dmitri Medvedev, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s'isolent un instant pour remonter à deux, dans les brumes de l'automne, la promenade chic du bord de mer. L'objectif: réconcilier le vieux couple franco-allemand, déchiré par la crise grecque. Retranchée derrière la clause de non-assistance financière inscrite dans les traités, la chancelière avait longtemps renâclé à toute aide aux pays de la zone euro en difficulté. Avant de céder une première fois en mai 2010 pour aider la Grèce aux abois.
À Deauville, Mme Merkel et M. Sarkozy trouvent un arrangement pour graver dans le marbre la solidarité improvisée en faveur d'Athènes: le mécanisme d'aide créé dans l'urgence d'un week-end de mai 2010, dans la foulée du premier plan d'aide à la Grèce, perdurera certes après sa date initiale d'extinction, en 2013; mais en échange, le pacte de stabilité, qui encadre les politiques budgétaires des États membres de la zone euro, sera renforcé. Surtout, la chancelière impose à M. Sarkozy l'idée d'une «contribution des créanciers privés» si jamais un pays venait à solliciter l'aide de ses partenaires. Une option jusqu'alors écartée, destinée à calmer l'opinion publique allemande. Son raisonnement: «Ceux qui gagnent de l'argent en pratiquant des taux élevés doivent aussi supporter les risques.» En clair, tous les fonds, banques et autres assureurs qui prêtent de l'argent aux États européens pourraient à l'avenir ne pas récupérer l'intégralité de leur mise.
Un tel «événement de crédit», dans le jargon des financiers, n'aurait rien d'inédit: la Grèce, par exemple, n'a-t-elle pas déjà fait défaut à cinq reprises depuis son indépendance en 1829, passant la moitié de son temps à restructurer ou à renier sa dette? Mais dans l'histoire récente, ces restructurations restaient circonscrites à des pays émergents comme l'Argentine ou la Russie... Il s'agirait d'un précédent inédit au sein de l'Union monétaire, douze ans après sa création. De quoi affoler les marchés, comme s'en inquiète Jean-Claude Trichet. Ulcéré par le pacte franco-allemand, le patron de la Banque centrale européenne (BCE) prend à partie M. Sarkozy dix jours plus tard lors d'un conseil européen: «Vous ne vous rendez pas compte de la gravité de la situation.» Et de se faire sèchement rabrouer par le président français.
Mais M. Trichet a vu juste: les investisseurs s'estiment lâchés, se débarrassent de toutes les dettes suspectes et réclament des taux d'intérêt de plus en plus élevés pour financer les États les plus fragiles... Déjà vacillante à cause de ses banques en grande difficulté, l'Irlande est étranglée. Le 21 novembre, la voilà contrainte d'appeler à l'aide. Une issue fatale au gouvernement de Brian Cowen, qui perdra les élections de février 2011. Symbole des années fastes où le «Tigre celtique» surfait sur la bulle immobilière, la banque Anglo Irish Bank est rebaptisée «Anglo Toxic Bank» par la rue. Les travaux de son nouveau siège majestueux, en plein coeur de Dublin, resteront inachevés...
12 février 2011
_ Loterie, marinas...: la Grèce à vendre
Des députés allemands avaient tiré les premiers. En mars 2010, dans les colonnes du tabloïd Bild, ces élus conseillaient aux Grecs «fauchés» de céder quelques-unes de leurs 6000 îles pour rembourser leurs dettes. Mykonos? Patmos? Et pourquoi pas l'Acropole, tant qu'on y est, leur répliqua Athènes, outré!
Moins d'un an plus tard, la réalité rejoint presque la fiction. Le 12 février, la «troïka» — cette délégation du FMI, de la Commission et de la BCE chargée de surveiller la bonne application du plan d'austérité imposé en échange d'une aide financière — achève sa troisième visite en Grèce. L'heure n'est plus aux échanges d'amabilités et aux congratulations. Le ton est sec, le verdict sévère: les caisses se remplissent trop lentement. Pour tenir ses objectifs, Athènes doit mettre les bouchées doubles. Une seule option pour réduire plus vite la dette: muscler le programme de privatisations. La troïka lâche un chiffre: 50 milliards d'euros. Sept fois le plan initial!
Le gaz, l'électricité, l'eau d'Athènes et de Thessalonique, la loterie, les hippodromes, des ports, des aéroports, des marinas... La liste s'allonge, encore et encore. «La Grèce à vendre», titrent les quotidiens hellènes. Le représentant de la Commission, Servaas Deroose, croit bon de suggérer à Georges Papandréou, le premier ministre grec, de rétrocéder «des plages pour développer le tourisme».
Le climat entre Athènes et ses créanciers tourne à l'affrontement. Disparu, le bon élève qui met en place ses réformes avec zèle! La Grèce redevient le mouton noir de l'Europe. Dans les capitales de la zone euro, on scrute à la loupe les chiffres des comptes envoyés chaque mois par le gouvernement Papandréou. On s'agace de voir que les recettes fiscales n'augmentent pas, que les autorités peinent à venir à bout de l'économie grise. Des contrôles ont beau être faits régulièrement auprès de médecins ou dans des boîtes de nuit, les piscines non déclarées être traquées par images satellite, la fraude fiscale reste un sport national.
Dans la rue grecque aussi, la colère gronde. «Nous sommes en train de mourir», clament les pancartes lors d'une grève réunissant des dizaines de milliers de mécontents à Athènes. Depuis près d'un an, les Grecs ont vu les prix augmenter, les salaires baisser. L'âge de la retraite a été repoussé. Ils ne supportent plus qu'on les montre du doigt, refusent que l'Allemagne les traite de «cueilleurs d'olives». Surtout maintenant que leurs trésors nationaux vont être bradés à des multinationales étrangères.
«Dictature», «occupation», «colonisation». Dans les défilés, les manifestants n'ont pas peur des grands mots. Mais le gouvernement sait, lui, qu'il a plus que jamais besoin de ses bailleurs de fonds internationaux. Avec une dette qui frise les 150 % du produit intérieur brut (PIB), le pays est toujours dans l'incapacité d'emprunter sur les marchés financiers. Ni aujourd'hui ni en 2012, comme prévu voici moins d'un an. Et cela peut durer encore longtemps.
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