Budget 2010 – 2011

Vers une reprise de la lutte des classes ?

Impossible en effet de continuer à nous offrir une solidarité sociale à laquelle ceux qui auraient les moyens d’y contribuer ont trouvé le moyen de ne pas le faire, en toute légalité.

Chronique de Richard Le Hir

À voir la façon dont sont en train de se camper les positions pour et contre le budget Bachand-Charest, on se surprend à reconnaître des stéréotypes d’une autre époque, celle des grands affrontements entre les forces du capital et la classe ouvrière. Si l’on m’avait dit qu’il faudrait que je dépoussière un jour les œuvres de Karl Marx…
Pourtant, c’est bien la direction que nous semblons prendre alors que la classe moyenne (ou ce qu’il en reste) découvre avec stupeur et indignation qu’on voudrait la voir seule faire les frais de l’enrichissement incessant de la classe des nantis au cours des quarante dernières années avec la complicité bienveillante du pouvoir politique.
Comme je le soulignais dans un article précédent (L’autre façon de procéder, en toute équité) l’érosion systématique de l’assiette fiscale depuis les années 1970 avec l’addition à chaque année de modifications à la Loi de l’impôt favorables aux possédants a fini par nous conduire devant l’impasse actuelle.
Impossible en effet de continuer à nous offrir une solidarité sociale à laquelle ceux qui auraient les moyens d’y contribuer ont trouvé le moyen de ne pas le faire, en toute légalité. On ne peut pas avoir le beurre sans l’argent du beurre, pour paraphraser un proverbe connu.
Une analyse de la façon dont une des dernières échappatoires a été introduite illustre bien le fonctionnement du processus qui a débouché sur l’impasse actuelle.
Nous sommes en ce moment en pleine saison des impôts, et sollicités de toute part pour placer de l’argent dans des REER, des REEE, des FEER, des RAP, des CELI et de nombreuses autres combinaisons en apparence innocentes de l’alphabet qui prêchent les vertus de l’épargne pour nous inviter à déposer de l’argent à l’abri de l’impôt.
La plus récente de ces combinaisons est le CELI, le Compte d’Épargne Libre d’Impôt. Voici ce qu’en dit le site de l’Agence du revenu du Canada :
« Depuis le 1er janvier 2009, les résidents canadiens qui sont âgés de 18 ans ou plus avec un numéro d'assurance sociale (NAS) valide, sont admissibles à cotiser jusqu'à 5 000 $ annuellement à un CELI. »
« La cotisation initiale ainsi que les revenus gagnés dans le compte (par exemple, les revenus de placement et les gains en capital) ne sont pas imposables, même lors des retraits. »
D’abord introduite par le gouvernement fédéral, cette mesure a été adoptée au Québec sans le moindre débat, comme si la chose allait de soi. Pourtant, au moment de son adoption, la situation des finances publiques du Québec n’était absolument pas la même que celle du fédéral, et il était évident que le Québec n’avait pas les moyens d’emboîter le pas, quelles que puissent être les vertus de l’épargne.
Qui plus est, chaque fois que nous adoptons une mesure de ce genre, c’est un pan entier de notre régime de solidarité sociale qui se trouve condamné à plus ou moins brève échéance. Si vous en doutez, vous n’avez qu’à consulter le dernier budget au chapitre de la santé et des mesures prises dont l’effet sera d’imposer des frais de toute sorte aux usagers des services.
Jamais aucun budget québécois n’a opposé aussi ouvertement les intérêts de nos différentes classes sociales, au risque de raviver de vieux conflits qu’on croyait à jamais dépassés.
Et la moindre des ironies dans tout cela n’est pas que certains des organismes qui avaient traditionnellement pour mission la défense des moins bien nantis, les syndicats pour ne pas les nommer, se trouvent compromis jusqu’à l’os dans le système, et risquent d’avoir bien du mal à sauvegarder leur crédibilité à ce titre.
En effet, tant le Fonds de solidarité de la FTQ que le FondAction de la CSN ont profité et continuent de profiter de la multiplication des abris fiscaux, et le virage rendu nécessaire par la détérioration des finances publiques et de la situation politique risque d’être assez difficile à négocier dans leur cas.
Une semaine après le dépôt du budget, le débat fait encore rage et semble même prendre de l’ampleur au fur et à mesure que les gens prennent conscience des enjeux. Signe qui ne trompe pas, même La Presse commence à infléchir son discours, d’abord entièrement favorable à la thèse des « Lucides » (André Pratte, Alain Dubuc).
Devant le tollé général, La Presse s’est mise à émettre un son de cloche différent (Mario Roy, Michèle Ouimet), histoire de ne pas se montrer trop en rupture avec le milieu dans lequel elle évolue, et pouvoir ainsi garder quelque emprise sur l’opinion publique.
Curieusement, les partis politiques semblent se faire discrets dans le débat. Le Parti Libéral, sans doute un peu surpris que sa campagne de conditionnement des esprits dont j’avais souligné l’ampleur sans précédent depuis la dernière campagne référendaire (voir L’autre grosse arnaque, sur ce site), n’ait pas livré la marchandise escomptée, tente de se justifier sans grande conviction, et fait le dos rond devant la levée de boucliers.
Le Parti Québécois (est-ce l’effet du congé de Pâques ou la conscience qu’il traîne lui-même quelques squelettes dans son placard à ce chapitre), en ne se jetant pas sur cet os comme un pit-bull, se trouve à violer la règle numéro un en matière de stratégie politique. Les garderies, c’est bien beau, mais ça ne figure tout de même pas au même rang dans l’ordre des priorités.
Quant à l’ADQ, elle voit bien la grogne, mais elle est prisonnière de ses positions passées. Quoiqu’elle dise, elle en sortira perdante, ce qui est toujours le lot des tiers partis lorsque les positions se cristallisent.
En fait, nous sommes sur le point d’assister à un réalignement majeur des forces politiques au Québec.
Le Parti Libéral, ayant fait les choix qu’il vient de nous annoncer va se retrouver, qu’il le veuille ou non, catalogué irrémédiablement à droite.
Le Parti Québécois, après l’ouverture qu’il vient récemment de faire à droite, va devoir opérer un repli stratégique rapide s’il ne veut pas se trouver rapidement débordé sur sa gauche.
À moyen terme, tous les partis vont trouver que la social-démocratie a bien meilleur goût,
ce qui au fond correspond exactement à la réalité économique dans laquelle nous nous trouvons. À cet égard, il est toujours utile de se référer à l’histoire. Dans ce cas-ci, les années qui ont suivi la grande crise de 1929 sont riches d’enseignements.


Laissez un commentaire



4 commentaires

  • @ Richard Le Hir Répondre

    9 avril 2010

    Réponse @ Fleurdelys
    Madame,
    Merci tout d'abord de vos encouragements.
    Je n'ai aucune peine à comprendre votre étonnement, et je suis très conscient de ce que mon cheminement peut paraître déroutant.
    Si j'ai pu être identifié à la droite dans le passé, c'est d'abord et avant tout parceque j'étais identifié aux positions patronales du fait de mon rôle à la tête de l'Association des manufacturiers. Mes interlocuteurs syndicaux de l'époque vous diront cependant que j'avais été l'artisan d'une ouverture à leur endroit qui avait forcé le Conseil du Patronat à se mettre en position de rattrapage.
    Il n'en reste pas moins que j'avais un mandat de mes membres qui m'obligeait à défendre leurs positions. Avocat de formation, j'ai appris à représenter avec conviction des positions diamétralement opposées selon les besoins de la cause.
    Cela dit, tout en ayant certains idéaux et quelques principes, je suis quelqu'un de foncièrement pragmatique qui se méfie des idéologies comme de la peste, et je cherche à maintenir en toute circonstance le degré d'objectivité nécessaire à faire une bonne analyse de la situation.
    La situation dans laquelle nous nous trouvons présentement est le résultat de plusieurs années de politiques conservatrices. À l'évidence le résultat est loin d'être concluant, et le moment est venu de revenir sur certains excès. Ce retour nous oblige à un virage à gauche. Tout ce que je souhaite, c'est qu'il se fasse dans la mesure et sans excès afin de ne pas compromettre le bénéfice que nous pouvons en tirer.
    Pour la suite, on verra selon la conjoncture.
    Richard Le Hir.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2010

    Monsieur Le Hir, vos écrits ne cessent pas de me surprendre. Je vous croyais beaucoup plus à droite au plan économique que ce que je lis depuis un certain temps. Je suis réconfortée par vos propos, je dois l'avouer. S'agit-il de votre part d'une récente conversion, d'un cheminement qui vous amené jusqu'à reconsidérer certains dogmes de la droite économique?
    En tout cas, bravo et continuez. Je vous lis avec un plaisir... étonné!

  • Archives de Vigile Répondre

    7 avril 2010

    Correction sur mon précédent commentaire à propos de "la nationalité canadienne"
    Lawrence Tremblay

  • Archives de Vigile Répondre

    7 avril 2010

    Bonjour M. Le Hir,
    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je dirais que la lutte des classes n'a jamais cessée.
    Si Vigile me le permet, je voudrais attirer l'attention des lecteurs sur un texte de Mario Gagné sur le site Euro-synergies.
    _____________La nationalité canadienne.____________
    http://euro-synergies.hautefort.com/search/Mario%20Gagné
    Lawrence Tremblay.