Depuis 1960 - j'avais 17 ans - j'ai participé très activement au débat politique, tant au Québec que sur la scène fédérale. Le Canada moderne, je l'ai vu s'aménager. Le Québec d'aujourd'hui, j'ai contribué à le façonner, comme tous les autres de ma génération. Cette génération et ses enfants ont des droits chèrement acquis qui sont sérieusement menacés.
J'avoue n'avoir jamais été membre d'un parti indépendantiste. Ce qui ne m'a jamais donné de complexes envers les vrais nationalistes québécois purs et durs qui réussissaient à faire paraître infidèles ou infâmes leurs leaders les plus respectables, lorsque les impératifs pratiques du pouvoir ou la réalité électorale les obligeaient à mettre l'option idéale en veilleuse.
Aujourd'hui, c'est parce que ma passion du Québec est toujours aussi intense et que ma fidélité au Canada a toujours été conditionnée par l'intérêt cardinal du Québec que ma perspective de l'avenir se modifie radicalement.
Mon Québec ne se reconnaît plus dans le Canada de Stephen Harper. Je ne veux pas être partie prenante, personnellement, de la société que le gouvernement fédéral actuel nous concocte.
Stephen Harper est en voie de me convaincre que je n'ai plus rien à foutre du Canada qu'il est en voie de créer en le «réformant». Le Parti conservateur actuel n'a plus rien de progressiste.
La grande question est de savoir si c'est Stephen Harper qui réussira là où René Lévesque et Jacques Parizeau ont échoué. Le virage à l'extrême droite du Canada, que nous vivons à notre corps défendant, provoquera-t-il la séparation du Québec?
La moralité de M. Harper n'est pas la mienne. J'abhorre généralement ce qu'il adore. Mais personne ne pourra rien pour empêcher ce gouvernement d'imposer ses valeurs à une majorité populaire qui dénoncera mollement les abus à la pièce, une opposition officielle inexpérimentée et un Parti libéral exténué et détesté. Une majorité qui sera néanmoins d'une totale inefficacité pour contrer le projet. La certitude d'accomplir l'oeuvre de Dieu justifiera moralement ses soldats de sacrifier nos libertés et nos droits aux impératifs du grand dessein.
Les yeux grand fermés, nous assisterons à un retour à l'État répressif, sans distinction ni compassion, ni rémission possible. La vénération du grand capital sera érigée en dogme et le mépris des déshérités deviendra un fâcheux dommage collatéral.
L'unilinguisme de juges de la Cour suprême et du Vérificateur général vous choque. Faites plutôt une croix sur la notion de bilinguisme comme nous l'avons connu, imposé au ROC par une loi imparfaite qui lui a d'ailleurs été enfoncée dans la gorge, mais qui nous a tout de même assez bien servie. Ce ne sera pas que notre langue qu'on vomira, ce sera bientôt nos valeurs, ce qui fait que le Québec a toujours été différent du reste du Canada. C'est aussi ce qui nous a rendus tellement indigestes à une grande partie des Canadiens. Fi de la culture?! Vive Don Cherry! Le lien entre le Canada et le Québec ne saurait résister longtemps au ressac persistant du retournement historique que Harper a dans ses cartons.
Toutes les dictatures théocratiques modernes s'appuient d'abord sur le processus démocratique pour légitimer leurs abus d'intolérance. Le gouvernement Harper est en voie de massacrer les acquis institutionnels des Canadiens et les rendre inopérants pendant une génération, comme ce sera le cas pour le registre des armes à feu. La politique de la terre brûlée est une stratégie que tous les sectaires emploient. Les conservateurs savent qu'un jour ils seront renversés. Leur objectif est et sera de rendre le retour en avant tellement coûteux et difficile qu'il épuisera ceux qui le tenteront.
Je n'en veux pas de ce gouvernement qui s'appuie sur une simple majorité parlementaire pour légitimer des bouleversements sociaux qui requièrent le consensus. Je ne veux pas de ce monde intolérant et répressif, pas de crédo incontestable. J'ai toujours soif de liberté et d'espace, comme à 17 ans.
Et je commence à penser que j'aime autant gaspiller une génération à construire un pays neuf, qu'à réparer des pots cassés.
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Claude Blouin
L'auteur est un avocat de Saint-Eustache.
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