Sur la réforme de l'islam

Une révolution souhaitée mais interdite

Les obstacles à la proposition du président égyptien

Tribune libre


Réaction à l'article de Pierre Cloutier sur la proposition du président égyptien Al-Sisi: «Nous devons révolutionner notre religion»

L’intégrisme ou l’islamisme en cause) m’a remis en mémoire un envoi que J’ai fait à la Tribune Libre de Vigile le 23 décembre 2010 : QUI VEUT LA PAIX FAIT LA PAIX - Que disons-nous, que pensons-nous, que ressentons-nous ? Devenir humain c’est aimer, partager et communiquer.

Ce que vous décrivez et souhaitez voir se produire s’inscrit pour moi dans une saine révolution qui devra nécessairement reposer sur une volonté de dialogue et de respect des valeurs essentielles sur lesquelles reposent les doctrines de toute pratique religieuse authentique. Comme vous l’écrivez vous-mêmes :

[…“Voilà le message que doit tenir la communauté musulmane partout où elle se trouve. En clair et en bref, cela signifie que les musulmans du monde entier doivent, tout en conservant leur foi et en suivant les versets pacifiques du Coran de la période de La Mecque (610-622), expurger du Coran les versets idéologiques violents, barbares, discriminatoires et liberticides de la période de Médine (622-633) où Mahomet est devenu un chef d’État et un chef de guerre.”…]

Je crois plus que jamais, à la lumière des événements entourant la tuerie de ‘‘Charli Hebdo’’ et devant le nombre croissant de questions qu’ils laissent en suspend, que la modération, la prudence et la circonspection doivent être nos guides en vue d’un dialogue constructif et ouvert marqué par le respect des membres de la communauté islamique qui désir massivement que des changements soient apportés à leur doctrine et qu’il puissent vivre en fonction de ce que leur foi peu leur apporter de meilleur pour mener une vie constructive, utile à eux-mêmes et aux autres, dans le respect et la reconnaissance d’autrui.

Nous-mêmes, autant qu’eux, devons nous interroger et réfléchir sur ce que nous disons, ce que nous pensons et ce que nous ressentons face aux autres religions ou aux autres cultures et aux valeurs qu’elles mettent de l’avant face aux témoignages que nous en recevons.

J’écrivais alors :

[…“ Que cache la peur que certains entretiennent à propos de « l’étranger », de l’inconnu, de certains « ismes », plus particulièrement de « l’islamisme » et du « terrorisme » ; les plus redoutables des « ismes », qui font couler jusqu’à dégouliner l’encre de nos journaux et s’alarmer les analystes de tout acabit qui hantent les plateaux de nos réseaux d’informations ?

Parler de « peur entretenue » ne fait qu’identifier un symptôme, mais n’explique rien. De la même façon qu’énumérer en d’interminables listes nos us et coutumes en nous portant en faux contre ceux appartenant supposément à l’Islam afin de dénoncer les dangers de l’islamisme et les conséquences qui pourraient en découler en laissant les musulmans libres de pratiquer leur religion parce qu’elle serait soi-disant conquérante ou qu’ils désireraient voir implantées leurs règles de justice, ou parce qu’ils prendraient trop de place dans l’espace public, ou encore que leurs mosquées envahiraient nos quartiers et ainsi de suite jusqu’à plus soif, ne nous apprend rien sur ce qu’ils sont ni sur ce qu’est l’Islam, tant du point de vue de la religion que de celui du monde musulman et de la civilisation qui le caractérise.

Je ne m’étendrai pas sur les origines du terrorisme, sur la montée de l’islamisme, ni sur le rôle qu’ont joué les « leaders » responsables de la poussée dévastatrice d’un intégrisme étroit et réducteur et sur celui encore plus insidieux des politiques qu’ils ont mis de l’avant grâce au support indéfectible des pouvoirs occultes occidentaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, poussant les pays du Moyen-Orient au bord d’un gouffre dans lequel ils risquent d’irrémédiablement disparaître.
Je m’intéresse bien davantage à ce que nous en disons, à ce que nous en pensons et à ce que nous ressentons face aux témoignages que nous en recevons. Ici, la rumeur étale son florilège d’atrocités, de visions de massacres, de tueries, de haine, de propos incendiaires, de menaces, de colère et de vindicte. Ici, accusations, jugements et condamnations sans appel témoignent de notre désapprobation et de notre rejet outré de la barbarie.

Sommes-nous certains de ce que nous en disons, de ce que nous en pensons et de ce que nous en ressentons ?
Nous efforçons-nous de savoir ce qu’eux en disent, ce qu’ils en pensent et ce qu’ils en ressentent ?

Ce sont là deux points de vue qui peuvent faire toute la différence parce qu’ils permettent à eux seuls de nous positionner face à nous-mêmes d’abord et aux autres ensuite.

Sommes-nous conscients de la portée de ce que nous disons, du sens de ce que nous pensons et des motivations qui nous amènent à ressentir les choses comme nous les ressentons ?

Nous demandons-nous pourquoi nous parlons de certaines choses comme nous le faisons, si nous avons réfléchi avant de nous prononcer et de porter un jugement, si les sentiments qui nous habitent correspondent réellement à la situation à laquelle nous sommes confrontés et à ce que nous en ressentons ?

Qu’est-ce qui nous appartient de ce que nous disons, de ce que nous pensons ou de ce que nous ressentons ?

Si nous n’avons pas une claire vision de ce sur quoi nous désirons que reposent nos rapports avec nos semblables, nous ne pouvons rien en dire de définitif, nous ne pouvons pas en tirer une pensée cohérente ni entretenir des relations basées sur d’authentiques sentiments d’ouverture et d’amitié. Qu’attendons-nous de la vie ? Comment sommes-nous préparés à recevoir ce qu’elle nous apportera ? Quelle attitude adoptons-nous face à ce dont nous sommes témoins et d’où nous vient l’habitude d’y répondre de la façon dont nous le faisons ?

Seul un regard sur nous-mêmes peut nous permettre de trouver des réponses à ces questions. Tout commence par soi. Le monde est ce que nous en voyons à partir de notre capacité à l’observer et à nous positionner par rapport à lui. Selon notre éducation, nos croyances, nos préjugés, nos attentes, nos valeurs ou nos présupposés, nous décidons de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Nous sommes-nous préalablement demandé d’où nous viennent nos croyances, nos préjugés, nos attentes, nos valeurs ou nos présupposés ? Sommes-nous libres de ces croyances, de ces attentes, de ces valeurs ou de ces présupposés ? Valent-ils la peine d’être entretenus ou ne devrions-nous pas en remettre quelques-uns en question ?

Le plus facile consiste évidemment à chercher des coupables. C’est ainsi que la plupart d’entre nous avons été programmés à réagir. C’est parce que l’autre a fait ceci, dit cela, nous a discrédités, nous a attaqués, nous a trompés, nous a arnaqués, nous a manipulés, a cherché à nous envahir, nous a déclaré la guerre, a refusé de s’adapter à nos conditions de vie, a comploté contre nous. C’est parce que nos religions ont abusé de notre naïveté ou de notre ignorance, que nos gouvernements sont corrompus, que nos institutions sont décadentes, que le monde est fou, que les musulmans sont arriérés, que les Chinois sont communistes, que les Anglais sont d’impitoyables colonisateurs, que les Indiens sont paresseux, que nos enfants sont ingrats, que les hommes n’ont pas de cœur, que les femmes veulent s’émanciper de la domination des mâles, etc., etc., etc. La liste de nos doléances est sans fin. Nous sommes comme des enfants qui se disputent et auxquels nous demandons qui a commencé. Ce n’est jamais l’un d’eux, c’est toujours l’un d’eux, mais jamais celui qui répond. C’est le cercle vicieux dans lequel nous tournons sans cesse notre vie durant parce que ce n’est jamais nous, ce sont toujours les autres, il n’y a que des victimes, il n’y a que des bourreaux, personne n’est le bourreau, tous sont des victimes. Jusqu’au jour où l’individu vraiment centré et capable de regarder le monde qui l’entoure sans préjugé, sans attentes, sans aucun désir de se justifier ou de prétendre à quelque droit qu’il détiendrait qui ne vaudrait que pour lui réalise qu’il n’y a pas de victimes, pas de coupables, seulement des événements, des circonstances dont les enchaînements se perpétuant, ont conduit à plus de souffrances, plus de misère, plus d’ignorance, plus de préjugés, de croyances, d’attentes et de frustrations. Les injustices et les misères qui en découlent ne peuvent produire que plus d’injustice et plus de misère et ainsi allonger à l’infini la liste des excuses qui nous maintiennent dans nos habitudes, dans nos refus et dans nos justifications.

Et pourtant, vous ne trouverez nulle part sur terre qui que ce soit, qui souhaite être malheureux et ne pas connaître le bonheur. Nous faisons toujours les choses en fonction du souverain bien et de la cessation de la souffrance. Nous sommes intrinsèquement nés pour être heureux parce que nous recherchons incessamment le bonheur d’être aimés, d’aimer, de donner et de partager. Le destin de la race humaine est l’éveil de sa conscience dans chacun des individus qui en font partie.

Utopie me direz-vous ?

Finalité de notre raison d’être vous répondrais-je.

Je préfère croire à notre destinée planétaire plutôt que d’adhérer à des croyances qui nient à autrui le droit d’exister. Avant de juger du comportement d’autrui, je préfère réfléchir sur ce qui me motive à réagir à sa façon d’être. Au lieu d’être en réaction, je préfère porter mon attention sur ce que je perçois et sur la façon dont j’en juge. Presque infailliblement, je réalise que je ne réagis jamais en fonction de l’autre, mais de moi-même et que mes réactions sont toujours marquées du sceau de mes croyances, de mes préjugés, de mes attentes, de mes valeurs et de mes présupposés.

L’autre devient le miroir de mon ignorance de moi-même. Il a dit ceci, fait cela… Et lorsque quelqu’un observe mes réactions de l’extérieur et me demande : “Qui a dit ceci ? Qui a fait cela ?” C’est toujours l’autre qui est pris à partie. C’est ainsi que nous avons été éduqués. Au lieu de pratiquer une logique de coopération, nous en pratiquons une de confrontation. Nous ne pouvons nous imaginer pouvoir gagner sans qu’il y ait un perdant. Quand nous étions enfants et qu’il nous arrivait de faire une gaffe, on nous déniait la plupart de temps le droit de répliquer ou de nous expliquer et on nous punissait pour que nous nous sentions suffisamment coupables et ainsi ne plus avoir envie de recommencer. Au lieu d’intégrer par le dialogue et l’écoute les bienfaits d’une véritable compréhension des conséquences de nos actes irréfléchis, nous refoulions le ressentiment que nous procurait l’exercice unilatéral du pouvoir des adultes sur nos faits et gestes. Depuis plusieurs millénaires, nous avons vécu en fonction de l’adage guerrier « Si vis pacem para bellum », et n’avons pas encore vraiment intégré le « Cedant arma togea ». « Qui veut la paix prépare la guerre » devra bien un jour nous faire comprendre « Que les armes le cèdent à la toge ». Une gouvernance de nos vies par l’agression et la domination devra bien céder la place à des valeurs axées sur le respect des différences, sur l’écoute, l’accueil et la joie de communiquer avec autrui en cessant de le voir ou de le percevoir comme un ennemi, une menace, un envahisseur qui veut nous convertir à ses valeurs et à ses dictats. Ne serait-il pas temps que nous arrivions à vouloir la paix et à la faire. « Qui veut la paix fait la paix » devrait prendre la place de « Qui veut la paix prépare la guerre ». L’expérience des derniers millénaires devrait nous avoir au moins appris cela.

Pour ça, nous devons pratiquer l’accueil, l’écoute, et la communication. Sans la connaissance de soi et l’arrêt des projections de nos propres insuffisances sur autrui, l’écoute, l’accueil et la communication sont impossibles. Nous tenterons toujours de nous disculper et de rendre les autres responsables des menaces que nous croirons peser sur nous et dont nous les accuserons d’être les auteurs. L’antidote à ce comportement est la transparence et l’honnêteté envers soi-même et envers les autres. Transparence et honnêteté qui ne signifient nullement que les choses iront nécessairement d’elles-mêmes. Cependant, elles diminueront au départ de moitié les tensions dans la communication parce qu’elles permettront la libre circulation des arguments sans heurter nos interlocuteurs. Si quelqu’un se braque et me traite de mécréant et que je comprenne que ses préjugés culturels ou ses croyances l’amènent à s’exprimer ainsi, je sais en partant que ses affirmations ne lui appartiennent pas, mais proviennent de sa culture et de ses croyances et qu’au-delà de ces dernières se trouve un individu qui ne s’est pas encore révélé à lui-même ce qu’il est au-delà de ce qu’il dit, de ce qu’il pense et de ce qu’il ressent. Je le sais parce que comme lui, j’ai réagi ainsi avant de savoir qui j’étais. Maintenant c’est plus facile et plus simple parce que je sais que je ne suis pas un mécréant et que donc, ses insultes ne me concernent pas. Mais en même temps, je sais aussi que ses insultes ne le concernent pas non plus ni ne lui appartiennent, pour les raisons que je viens d’évoquer. Pour moi, c’est devenu automatique, pour lui, c’est une première expérience qui, si elle se répète souvent et régulièrement, l’amènera à s’interroger sur sa façon de penser, de communiquer et de se situer par rapport à lui-même et aux autres. Cultiver ce genre d’attitude et en faire un mode de vie ne peut que provoquer un effet d’entraînement qui, plutôt que de braquer nos interlocuteurs, les amène à devenir conscients de leur rigidité, du poids inutile des croyances, des préjugés, des attentes et des présupposés qu’ils transportent partout où ils vont et qui les éloignent d’eux-mêmes en leur enlevant leur liberté d’être ce qu’ils sont réellement ; des humains qui comme tous les humains, recherchent le bonheur d’être aimés, d’aimer, de donner et de partager.

Au-delà des relations interpersonnelles, ce principe s’applique à l’échelle des nations et devra s’affirmer à l’échelle mondiale si nous voulons survivre aux menaces que font peser sur nous l’aveuglement ethnique, l’intolérance religieuse, le racisme, la prétention de certains états à se croire les gardiens de la démocratie, les velléités de certains d’en conquérir d’autres et l’arrogance des plus riches envers les plus démunis qu’ils exploitent sans vergogne.

Devenir humain c’est aimer, partager et communiquer.”…]


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3 commentaires

  • THÉO PAIEMENT Répondre

    15 janvier 2015


    Quel beau texte M. Thompson.
    Qui nous incitent tous à se regarder le nombril, avec une touche mielleuse de l'art des points virgules essentiel à la communication. Beaucoup plus porteur que certain auteur qui ne maîtrise pas cette art et ont plutôt tendance à foncer dans le tas comme ont dit. Bravo! Avec tout mon respect.

  • L'engagé Répondre

    14 janvier 2015


    Il y a longtemps que j'avais lu un texte qui avait justement ébranlé mes propres présupposés. Je n'y vois pas de relativisme moral, même si certains pourront en voir, je comprends aussi la responsabilité qu'une telle posture implique. Comprendre ce que l'autre pense n'implique pas de cautionner, mais de ne pas s'identifier aux images qu'il nous lance.
    Merci

  • marie-france legault Répondre

    14 janvier 2015

    L'intégrisme est un danger permanent...
    Depuis quelque temps on tue, on assassine, on enlève des jeunes filles etc...
    Il faut arrêter de croire que toute le monde, il est gentil...
    Les adeptes de l'intégrisme sont convaincus que la violence les rend forts et invincibles. Au Nigéria il sont forts...les pays démocratiques sont endormis
    par leur confort...ils devraient se précipiter pour aider les nigériens dans leur lutte
    contre BOKO HARAM, le chef des tueurs...Comment se fait-il qu'il peut continuer librement à tuer, à séquestrer ?