LAÏCITÉ – IDENTITÉ - IMMIGRATION

Une question de survie !

S’ouvrir à tous les courants, c’est s’exposer à toutes les dérives...

Chronique de Richard Le Hir

Au cours des soixante dernières années, rares sont les débats qui ont autant mobilisé l’attention et l’intérêt que celui qui se déroule actuellement sur les accommodements religieux. Il faut cependant être conscients que cette question des accommodements religieux est en quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder le vase de nos inquiétudes collectives sur la survie de la nation, comme la question du français l’était à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix.
En fait, tous nos grands débats collectifs se déroulent toujours sur deux tableaux, la survie, et son pendant, l’affirmation.
La question de la nationalisation d’Hydro-Québec en 1962 constitue un très bon exemple de débat sur le thème de l’affirmation. Et, de façon générale, la plupart des grands débats de la Révolution tranquille avaient pour thème principal celui de l’affirmation. La question de la langue, soulevée à la fin des années 1960 et au début des années 1970 jouait pour sa part sur le thème de la survie, comme c’est le cas pour le débat en cours. Une question comme celle de la souveraineté peut se jouer autant sur le thème de l’affirmation que celui de la survie, selon le contexte.
Les ressorts de l’affirmation et de la survie sont très différents. La première repose sur la fierté, et la seconde sur la peur. Pour avoir vécu deux référendums sur l’avenir du Québec, nous sommes bien placés pour savoir comment le camp fédéraliste a su exploiter la peur pour alimenter ses NON. Il faut donc retenir de ces expériences que le pouvoir de mobilisation de la peur est plus grand que celui de la fierté.
La conjoncture actuelle amène les Québécois, à travers la question du degré d’accommodement à consentir aux nouveaux venus issus d’une culture très différente de leur culture traditionnelle, à s’interroger sur la place que vont prendre ces nouvelles coutumes dans leur société et sur le risque qu’ils soient rapidement débordés si l’immigration maintient son rythme actuel.
Encore ces jours derniers, Statistique Canada rendait publique des données inquiétantes sur un horizon d’une vingtaine d’années. Au fond, ce que le maire d’Hérouxville et le monde ordinaire qui a participé aux audiences de la Commission Bouchard-Taylor voulaient exprimer, c’est leur conscience que les choses étaient en train de changer et leur inquiétude sur la place qui leur resterait, à eux, à leurs coutumes, à leurs traditions, et à leur langue au terme de tous ces bouleversements. Avec une sincérité désarmante et des mots parfois maladroits, ils voulaient tout simplement nous prévenir qu’à leurs yeux, s’ouvrir à tous les courants, c’était s’exposer au risque de toutes les dérives, et qu’ils percevaient clairement ce risque comme une menace, une position à la fois très légitime et empreinte du plus grand bon sens.
Dans de telles conditions, il est clair que le rapport Bouchard-Taylor tel qu’il a finalement vu le jour ne constituait pas une réponse à leurs craintes, et il est très surprenant que deux intellectuels du calibre de MM. Bouchard et Taylor n’aient pas tout de suite vu que ce serait le cas. S’ils avaient voulu assurer le triomphe d’un modèle de société différent de la réalité historique et sociologique de départ, ou s’ils s’étaient contentés de remplir une commande, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Dans le premier cas, la motivation serait idéologique, et dans l’autre, ce serait la vénalité. Une bien triste conclusion pour ces deux maîtres à penser.
Gérard Bouchard est allé plus loin cette semaine sur les ondes de Radio-Canada et a tenu des propos franchement hystériques. Comme l’ont très justement souligné Josée Legault et Jean-François Lisée dans leurs blogs respectifs auxquels on peut accéder sur Vigile, le feu est très loin d’être pris à la demeure. D’une part, sur le plan juridique, le Québec serait pleinement justifié de faire intervenir la clause « nonobstant » qui existe, rappelons-le, autant dans la charte fédérale des droits que dans la charte québécoise, et d’autre part, le rappel de ce que font d’autres grands pays peu suspects de chercher à réprimer l’exercice des libertés fondamentales montre que les mesures correctrices envisagées sont très raisonnables.
Certains lobbys aux motivations suspectes voudraient nous faire croire que les libertés reconnues par les chartes ont un caractère absolu. Rien n’est plus faux. Les chartes reconnaissent, par exemple, le droit d’association. Pourtant, l’exercice de ce droit est encadré et balisé par les lois du travail dans tous les pays civilisés, et personne n’y trouve à redire. Il est tout de même curieux que parmi les gens à vouloir circonscrire l’exercice du droit d’association, on retrouve justement de nombreuses personnes qui plaident le caractère absolu de la liberté de religion. « Ce qui est bon pour moi n’est pas bon pour toi, et je passe à la caisse à tous les coups ». Deux poids, deux mesures. Il ne faudrait donc pas être dupe de ces Tartuffe.
Et puis, tandis que nous y sommes, il y a quelque chose de foncièrement agaçant à toujours être montré du doigt par le Canada anglais pour notre manque présumé à vouloir respecter les droits de la personne lorsque le Canada le fait lui-même tous les jours dans le contexte de sa Loi sur les Indiens qui maintient au pays un véritable régime d’ « apartheid », comparable à celui qui existait il n’y a encore pas si longtemps en Afrique du Sud. C’est toujours la même chose, les canadiens anglais sont prompts à dénoncer la paille dans l’œil du voisin, mais ne voient pas la poutre plantée dans le leur. Si la Loi sur les Indiens devait être contestée devant les tribunaux, la seule façon d’en maintenir les dispositions serait une déclaration du parlement à l’effet qu’elle s’applique « nonobstant » la Charte canadienne des droits. Voilà pour les donneurs de leçon !
Certaines personnes ont évoqué au cours des derniers jours l’opportunité pour le Québec de se donner une « Charte de la laïcité » pour régler le problème posé par les accommodements « déraisonnables ». Cette proposition m’inspire plusieurs réserves.
Tout d’abord, elle laisse supposer qu’il existe un moyen de régler le problème dans le cadre constitutionnel actuel. L’expérience de la Charte de la langue française, réduite en charpie par les tribunaux, devrait pourtant nous servir de leçon pour nous aider à comprendre qu’une telle solution ne saurait être rien d’autre qu’un cataplasme sur une jambe de bois.
Ensuite, le moyen proposé, une « Charte », est un moyen qui appartient à une autre d’école de faire des lois que la nôtre, l’école française. La Charte de la langue française était une réplique à Pierre-Elliott Trudeau qui cherchait alors à imposer son modèle de Charte des droits, d’inspiration totalement anglo-saxonne, tant dans sa philosophie que dans sa façon. Ne voulant pas être en reste sur lui, les concepteurs de la Loi 101 ont voulu en faire une Charte, et nous ont embarqués sur la pente savonneuse que l’on connaît. À partir de la distinction que nous avons observée au départ de ce texte entre le besoin d’affirmation et celui de survie, on peut légitimement se demander si l’utilisation du motif de la langue lors du premier référendum n’aurait pas permis de donner au camp du OUI l’impulsion nécessaire pour franchir la barre des 50 % si l’on avait alors dit aux Québécois que le seul moyen d’assurer chez nous la prééminence de la langue et de la culture françaises était de faire l’indépendance, tout comme celle-ci constitue d’ailleurs à l’heure actuelle le seul moyen de nous permettre de définir le modèle de société dans lequel nous voulons vivre. Nous aurions peut-être pu nous gagner 30 ans.
Quant à la laïcité elle-même, je me demande si nous ne sommes pas en train de tomber dans un piège. Non pas que je n’adhère pas moi-même au principe de la neutralité religieuse qui la sous-tend, mais je trouve que le terme lui-même trimbale un gros bagage susceptible de nous éclabousser à un moment qui pourrait être le plus mal choisi. Je m’explique.
L’idée de la laïcité nous vient à la fois de notre propre passé religieux et de l’exemple de la France avec laquelle nous avons longtemps entretenu un rapport ambigu du fait de notre histoire. Le fait est que la France a été en proie à de violents affrontements sur les rapports entre l’Église et l’État dans les années 1880 à 1910. Voici ce qu’on peut facilement trouver sur Wikipédia, sans doute pas la source la plus fiable sur le sujet, mais qui suffit largement pour les fins du présent texte : « Au XIXe siècle, les lois de sécularisation ont progressivement affranchi l’État de ses liens historiques avec l’Église catholique et créé de nouvelles normes politiques et sociales bâties sur le principe de l’universalisme républicain. Ce processus, qui prenait place dans un mouvement plus large lié à la modernité, a confié au peuple souverain la redéfinition des fondements politiques et sociaux : les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’organisation de l’État, ses composantes et ses représentations, l’éducation, les rites de la vie civile, l’évolution du droit et de la morale, etc., indépendamment de tout dogme religieux. La Troisième République a notamment recréé l’organisation du système scolaire, en instaurant l’enseignement public, laïque et obligatoire (lois Jules Ferry). Ce processus s’est conclu par la loi sur la séparation des Églises et de l’État en 1905, qui a marqué l’aboutissement d’une laïcisation affirmée. »
Au Québec, pendant ce temps, le clergé, bien informé de ce qui se passait en France, prenait tous les moyens nécessaires pour tenir le bon peuple à l’abri de cette gangrène, et l’idée de la laïcité prit 50 ans de plus à se répandre chez nous. Il faut dire que le clergé tenait le couvercle de la marmite vissé serré et que les moyens de communication d’alors n’étaient pas ceux d’aujourd’hui.
Il reste cependant que le concept de laïcité qui s’est répandu ici est largement inspiré du courant républicain, « laïcard », et anticlérical, largement répandu dans toutes les couches de la société française dans la première moitié du XXe siècle. Moi-même issu d’un père Français qui appartenait à ce courant, j’y ai été largement exposé dès mon plus jeune âge. L’ironie de la chose se trouve dans le fait que ma mère, Québécoise de Loretteville, a été élevée par les Sœurs et elle appartenait alors à l’autre camp. Sans doute pour « exorciser » l’anticléricalisme de mon père, se raccrocher à ses propres racines, et s’assurer que je partagerais les siennes, ma mère me choisit pour marraine sa « bienfaitrice », comme on disait à l’époque, qui se trouvait à être la sœur du Chanoine Félix-Antoine Savard, l’auteur bien connu de « Menaud, maître draveur », un chef-d’œuvre de la littérature québécoise.
Le courant « laïcard » français véhiculait une certaine intolérance qui se caractérisait par un anti-cléricalisme virulent, comme c’est souvent le cas dans des mouvements de réaction. Au prosélytisme débridé des uns succède toujours le zèle éradicateur des autres, avec des excès tout aussi condamnables.
Par ailleurs, comme on le constate ces jours-ci, la laïcité serait une affaire complexe, certains opposant une laïcité « ouverte » à une laïcité « fermée ».
Quelle aubaine pour nos adversaires que de nous regarder nous entredéchirer dans une querelle byzantine pendant qu’ils tirent, en fins renards qu’ils sont, les marrons du feu à leur profit.
La possibilité d’une telle dérive sémantique jointe aux casseroles de l’anti-cléricalisme outrancier héritées de l’histoire m’amène à suggérer bien humblement que nous devrions nous en tenir à promouvoir tout simplement la neutralité religieuse, un concept plus… « neutre », susceptible de rallier davantage de suffrages.
Cette neutralité religieuse devrait donc faire partie d’un modèle de société à proposer aux Québécois dans le cadre approprié, soit celui d’une constitution qui serait celle d’un Québec indépendant, et qui établirait également notre appartenance à la culture française et la suprématie du français sur tout le territoire du Québec.


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4 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    23 mars 2010

    @ M. Richard Le Hir:
    «C’est toujours la même chose, les canadiens anglais sont prompts à dénoncer la paille dans l’œil du voisin, mais ne voient pas la poutre plantée dans le leur...»
    C'est typique, en effet. Et c'est assez cocasse, quand on lit certains de leurs revues ou journaux, et qu'ils parlent d'eux-mêmes comme d'une grande nation, avec une supériorité morale sur les autres, comme ils le disent (simplement à cause de la charte de Trudeau?), et supposément des idéaux qui ne passeraient pas les cadres de portes!
    Eux, les faire-valoir des Anglais, agissant comme porteurs d'eau auprès du géant américain... Les pauvres.
    Ils n'ont pas les riches culture et histoire des Britanniques, et ils ressemblent à une version bâclée des États-Unis d'Amérique, en miniature... Ne pouvant se définir, ni se valoriser, pour se qu'ils possèdent, ni pour ce qu'ils auraient accompli, il faut bien qu'ils s'inventent une identité et une artificielle place dans le monde, je présume...

  • Archives de Vigile Répondre

    21 mars 2010

    Merci beaucoup M.LE HIR pour vos articles! Ils sont imminemment instructifs et essen-
    tiels pour bien comprendre ce qui se passe présentement.
    Nous avons besoin d'hommes comme vous pour faire naître enfin notre pays: le Québec.
    Lawrence Tremblay.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 mars 2010

    Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le modèle que vous nous proposez, c'est-à-dire: la neutralité religieuse de l'état québécois. Dans votre modèle l'état n'est plus à la merci des prosélytes de toutes natures, que leur prosélytisme soit athée à un extrême ou religieux à l'autre. L'état se dégage ainsi de tout corset idéologique et ne peut donc plus être pris à parti par aucun pôle idéologique militant qu'il soit religieux ou athée.
    Dès lors les décisions de l'état n'apparaissent plus suspectes et dirigées contre qui que ce soit; l'état retrouve ainsi toute la latitude et la sérénité nécessaires pour prendre des décisions sages et éclairées qui n'attiseront pas des passions idéologiques débridées.
    Curieux que l'on n'y ait pensé avant.
    Jacques L. (Trois-Rivières)

  • Raymond Poulin Répondre

    20 mars 2010

    Voilà peut-être, en effet, ce qui nous sortirait d’un débat acrimonieux, d’autant plus que ce que la plupart veulent empêcher à partir d’un angle anti-religieux peut tout aussi bien l’être à partir d’un angle purement civil ou au nom de la neutralité de l’État. Les seuls qui n’y trouveraient pas leur compte, sans doute : ceux qui n’ont pas encore réglé leur détestation des religions à cause de ce qu’ils (ou leurs parents) ont vécu au temps du cléricalisme catholique québécois. Beaucoup de ces derniers semblent avoir reporté sur l’islam la revanche qu’ils ne peuvent plus exercer à l’encontre du clergé catholique, faute de combattants... Le ressentiment peut difficilement aboutir à une bonne politique.