Hydro-Québec / Énergie NB

Les Grandes manoeuvres

le seul groupe québécois susceptible d’avoir à la fois la capacité, les moyens et l’intérêt pour mener un tel projet à terme est Power Corporation

Chronique de Richard Le Hir


Dans un commentaire sur un texte de Jacques Vaillancourt informant les
lecteurs de Vigile de l’existence d’un site consacré à la [« Malédiction de
Churchill Falls »->25373], je soulevais la question suivante en parlant de
l’acquisition par Hydro-Québec d’Énergie NB et d’un lien possible entre les
deux affaires : « Qui donc a intérêt à ce qu’Hydro-Québec sorte de ses
frontières territoriales et de son mandat pour faire cette transaction ?
Car il faut comprendre que le jour où Hydro-Québec s’aventure à l’extérieur
de ses frontières, elle tombe sous la compétence de l’Office national de
l’énergie d’Ottawa, et elle s’expose à être déclarée à l’avantage général
du Canada, selon les termes de l’article 92(10) de la Constitution de 1867,
repris en 1982. Jolie porte ouverte à un scénario de privatisation...»
Notons d’entrée de jeu que d’autres que moi ont également évoqué cette
perspective, notamment le professeur André Braën, avocat et professeur à
l’Université d’Ottawa, dans [une lettre au Devoir datée du 20 novembre 2009->25613],
pour ce qui est de la possibilité de voir Hydro-Québec être déclarée à
l’avantage général du Canada, et [Gabriel Ste-Marie dans L’Aut’Journal du
22 janvier, pour ce qui est d’une privatisation éventuelle->25282].
En effet, qui pourrait avoir intérêt à ce qu’Hydro-Québec, passée sous
contrôle fédéral, cesse d’être un outil privilégié de développement
économique pour le Québec qui n’aurait alors plus d’autre intérêt que de la
privatiser pour au moins en tirer tout le bénéfice financier auquel lui
donnent droit les investissements consentis au fil des années depuis la
nationalisation de 1962 ?
On voit d’ici les [arguments qui pourraient nous être servis->17440] pour justifier
une pareille manoeuvre :
1. le produit de la vente va servir à renflouer les caisses de l’État et
réduire son endettement, comme cela a été le cas dans d’autres pays,
notamment la France (où l’EDF est désormais privatisée). Le Québec pourra
ainsi conserver ses acquis sociaux, et n’aura pas à effectuer de coupures
radicales dans les services publics;
2. une HQ privatisée parviendra à écouler plus facilement son énergie
verte en Ontario, dans les provinces atlantiques, et dans le Nord-Est des
États-Unis, ce qui ouvrira la perspective à de nouveaux projets de
développement au Québec;
3. la Caisse de dépôts, durement éprouvée par la crise du PCAA, va pouvoir
se « refaire » en gérant pour le compte de l’État une part des actions
d’une HQ privatisée, en recentrant son portefeuille sur le Québec, et en
permettant aux Québécois de demeurer en partie propriétaires de
l’entreprise, surtout si d’autres institutions québécoises se mettent de la
partie (Mouvement Desjardins, Fonds de Solidarité, Banque Nationale,
FondAction, etc.)
Et il faut admettre que certains de ces arguments ont le mérite d’être a
priori séduisants et gagneraient à être creusés pour s’assurer que leur
attrait apparent est bien réel.
Pour l’instant, il ne s’agit encore d’une hypothèse, mais elle a au moins
le mérite d’expliquer des choses qui demeurent pour le moment
inexplicables, ou à tout le moins inexpliquées.
Mais comme il ne s’agit encore que d’une hypothèse, il convient de prendre
toutes les précautions qui s’imposent et de n’imputer d’intentions
malveillantes à personne.
La liste des groupes susceptibles d’être intéressées à une privatisation
éventuelle d’Hydro-Québec est au fond assez courte, ne serait-ce qu’en
vertu des qualifications et des compétences qu’elle requiert. En effet, un
tel projet ne peut intéresser que les groupes qui disposent d’une grande
surface financière, une expertise technique dans le développement et
l’exploitation de grands projets, et des compétences en gestion.
Pour ce qui est de la surface financière, en excluant d’emblée un groupe
étranger (il n’y a qu’à voir la réaction au Nouveau-Brunswick pour voir
combien l’attachement de la population à ses grandes institutions est
viscéral, et il y a tout lieu de croire que cet attachement serait encore
plus grand à l’endroit d’Hydro-Québec), le seul groupe québécois
susceptible d’avoir à la fois la capacité, les moyens et l’intérêt pour
mener un tel projet à terme est Power Corporation.
En effet, outre ses intérêts dans les services financiers, Power est déjà
présente dans le secteur de l’énergie par le truchement de ses
participations dans la pétrolière française Total, active dans
l’exploitation des sables bitumineux en Alberta (Paul Desmarais Jr siège au
conseil de Total), et dans le groupe français Suez qui a racheté Gaz de
France. Suez FDF est intéressée au projet Rabaska, et a conclu une entente
d’approvisionnement à long terme avec Énergie NB (tiens donc !). Il faut
aussi rappeler que, comme son nom l’indique, Power Corporation était à ses
origines un holding pour les intérêts que détenaient ses actionnaires dans
des fournisseurs d’énergie, notamment au Québec. Retour aux sources ?
Power ne dispose évidemment pas des compétences techniques requises. Mais
celles-ci abondent au Québec, chez Hydro-Québec même, et aussi chez
SNC-Lavalin qui constitue un partenaire privilégié d’Hydro depuis toujours.
Il n’y a donc pas de problème à ce niveau, pas plus que pour ce qui est des
compétences en gestion qui pullulent dans ces deux viviers.
***
En revenant maintenant au projet actuel de rachat d’une partie importante
des activités d’Énergie NB par Hydro-Québec, on constate que sa première
version a été tellement décriée que les deux parties ont été forcées de
faire machine arrière et de renégocier leur entente. Il semble d’ores et
déjà que la seconde subira le même sort que la première. En effet, les
attaques se poursuivent et la mobilisation gagne en intensité. Un rapport
commandé par le premier ministre Shawn Graham à un groupe de « sages »
réunis par lui vient de rendre un rapport aussitôt qualifié « de
complaisance ». Le président du groupe, l’industriel David Ganong, héritier
d’une riche famille de confiseurs (dont les usines profiteront d’ailleurs
de la transaction avec HQ), se fait tirer dessus à boulets rouges et voit
son entreprise menacée de boycott. L’insistance du premier ministre Graham
à imposer cette transaction risque de lui valoir la sanction de l’électorat
aux prochaines élections générales prévues pour septembre prochain.
Tout ceci n’aurait qu’une importance secondaire si ce n’était qu’elle fait
apparaître des liens troublants qui permettent de valider l’hypothèse des
intentions de Power Corporation. En effet, que peuvent bien avoir en commun
tous ces protagonistes. Une chose est certaine, ils se connaissent. Paul
Desmarais Jr et David Gannon font partie d’un club sélect, le Conseil
nord-américain de la compétitivité, un groupe officiel de travail
américano-canado-mexicain regroupant des hauts dirigeants d’entreprises
réunis dans le cadre du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la
prospérité (PSP) à son second sommet de Cancún, au Mexique en mars 2006.
Voici d’ailleurs la liste des membres canadiens de ce groupe :
Canada
• Dominic D’Alessandro, Président et chef de la direction, Financière
Manuvie
• Paul Desmarais, jr, Président du conseil et co-chef de la direction de
la
Société, Power Corporation du Canada
• David A. Ganong, Président, Ganong Bros. Limited
• Richard L. George, Président et chef de la direction, Suncor Énergie
Inc.
• E. Hunter Harrison, Président et chef de la direction, Compagnie des
chemins
de fer nationaux du Canada
• Linda Hasenfratz, Chef de la direction, Linamar Corporation
• Michael Sabia, Président et chef de la direction, Bell Canada
Entreprises
(BCE)
• James A. Shepherd, Président et chef de la direction, Produits
Forestiers du
Canada Ltée
• Annette Verschuren, Présidente, Home Dépôt du Canada Inc.
• Richard E. Waugh, Président et chef de la direction, Banque Scotia
On aura reconnu au passage le nom de Michael Sabia, l’actuel président de
la Caisse de dépôt et placements du Québec, nommé en remplacement
d’Henri-Paul Rousseau, passé pour sa part au service de... Power
Corporation. Et quand on sait que le président du conseil de la Caisse de
dépôt est aujourd’hui Robert Tessier, l’ancien président de Gaz Métro
vendue en catimini par Hydro-Québec à SNC-Lavalin, la Caisse de Dépôt et le
Fonds de solidarité, 5 jours avant d'autoriser la construction de la
centrale de Bécancour construite par SNC-Lavalin et approvisionnée par Gaz
Métro.
***
Il y a de quoi donner le vertige à n’importe qui. Et toute cette
information se trouve encore à soulever toutes sortes de questions sur ce
qui s’est vraiment passé à la Caisse de dépôts.
Que des entreprises du secteur privé aient des projets visant
éventuellement le secteur public et qu’ils préfèrent ne pas s’ouvrir
publiquement de leurs intentions, rien de plus normal. En affaires, on ne
télégraphie pas ses intentions à la concurrence, c’est bien connu.
Mais ici, il ne s’agit pas uniquement du secteur privé. Comme le secteur
public est en jeu, il y a des gens qui ont des comptes à rendre à l’opinion
publique. À commencer par le premier ministre Jean Charest.
L’ennui, c’est qu’aucun débat n’est engagé sur ces questions alors que
certains intérêts sont peut-être déjà en train de se partager « la peau de
l’ours » à l’insu des Québécois, convaincus qu’ils sont de pouvoir mettre
la main dessus.
Il est grand temps que l’Opposition officielle se lève pour demander à
Jean Charest s’il est dans les intentions de son gouvernement de procéder à
la privatisation d’Hydro-Québec en totalité ou en partie à court ou à moyen
terme.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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