LE « MODUS OPERANDI » DES SPOLIATEURS (5)

Pleins feux sur « l’empire »

Et tout redevient possible

Chronique de Richard Le Hir


Quel spectaculaire retournement de situation ! La semaine dernière encore, l’indépendance apparaissait compromise à jamais, le PQ condamné à la disparition à court terme, et l’élection du nouveau parti de François Legault assurée haut la main, du moins s’il fallait en croire La Presse.
Samedi, quelques milliers d’indépendantistes déambulaient dans les rues de Montréal en faveur de l’indépendance du Québec dans l’une des manifestations les mieux réussies depuis longtemps, et quelques heures plus tard, un sondage Léger Marketing nous apprenait qu’avec Gilles Duceppe à sa tête, le PQ taillerait des croupières à Legault et déculotterait Charest.
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Vous allez me trouver baveux, mais je ne suis pas surpris. Je n’ai jamais cru que l’élection du 2 mai dernier devait être interprétée comme le commencement de la fin pour nos espoirs d’indépendance. Vous me direz qu’il est facile de tenir un propos pareil après ce dernier sondage, mais Bernard Frappier, avec qui je discute régulièrement de la situation politique, vous confirmera que je n’ai jamais partagé le pessimisme qui avait gagné nos rangs ces derniers mois, et que j’étais convaincu que nous étions confrontés à une vague de propagande sans précédent lancée par nos adversaires.
Les événements des derniers jours me donnent raison et confirment ce que j’écrivais tout juste il y a quelques jours. L’empire Desmarais était bel et bien en train d’orchestrer, via La Presse et ses « hit-men » du clavier, les roquets à sa solde – je pense ici aux Pratte, Dubuc, Marissal, Lessard et consorts - une manoeuvre pour fomenter la discorde chez les indépendantistes, abattre le PQ, et ce faisant, éliminer tout obstacle à ses visées hégémonistes sur les richesses québécoises, naturelles et autres.
Car il faut bien comprendre que le PQ, porteur bien malgré lui (en tout cas certainement ces dernières années) de l’héritage de la Révolution tranquille, est le seul parti politique au Québec qui peut à la fois être appelé à former un gouvernement et trouver en lui le ressort nécessaire pour remettre « l’empire » à sa place.
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Par ailleurs, les plus observateurs d’entre vous auront remarqué que je désignais dans cet article « l’empire » non pas comme l’adversaire, mais comme l’ennemi, et ce choix de qualificatif n’est pas le fruit du hasard. Il correspond à mon appréciation du degré de dangerosité qu’il représente pour le Québec et les Québécois.
En effet, l’adhésion de « l’empire » au régime fédéral et aux thèses fédéralistes ne constitue aucunement un endossement passionnel du Canada. Il est strictement opportuniste. Le fédéralisme offre en effet à « l’empire » un cadre dans lequel il peut agir avec un minimum de contraintes et prospérer sans limites. Paul Desmarais sait très bien que le moindre de ses projets serait scruté à la loupe si le PQ revenait au pouvoir, et qu’un gouvernement à Québec le moindrement soucieux du bien commun aurait vite fait de dénoncer l’incompatibilité des intérêts et les visées de « l’empire » avec l’intérêt public.
Tant que la France voyait d’un oeil sympathique l’accession du Québec à la souveraineté, Paul Desmarais la boudait. Le jour où il a découvert qu’il était en mesure d’influencer les choix politiques français, il n’a eu de cesse de se faire remettre la décoration la plus élevée du pays, la Grand Croix de la Légion d’Honneur, et il a même manoeuvré pour que sa femme soit elle aussi décorée de la Légion d’honneur avec le rang de Chevalier, comme on pouvait l’apprendre sur le site de la Gazette du Canada (sic) le 28 mai dernier.
Pour ceux d’entre vous qui se demandent ce que le gouvernement fédéral vient faire là-dedans, sachez que la Chancellerie des distinctions honorifiques qui relève de l’autorité du Gouverneur Général, donc de Sa Majesté la très gracieuse Reine Elizabeth II, doit approuver l’octroi de distinctions honorifiques étrangères à des Canadiens.
Si ce cas semble vous en rappeler un autre, vous n’êtes pas dans l’erreur. Vous vous souviendrez que l’ineffable Conrad Black (Conrad Moffat Black, Baron Black of Crossharbour, OC, KCSG, PC) avait pour sa part été élevé à la dignité de Lord par le gouvernement britannique (Lord Black of Brentwood), avant d’entreprendre sa descente aux enfers jusqu’à la prison fédérale de Miami où il a entrepris de purger le mois dernier le reste de sa peine pour fraude. Dans le cas de Black, le gouvernement fédéral avait refusé d’approuver son élévation au rang de Lord, et Black avait choisi de renoncer à sa citoyenneté canadienne pour pouvoir l’accepter, ce qui ne posait aucun problème juridique vu qu’il avait une double citoyenneté canadienne et britannique.

Pour ceux d’entre vous qui seraient tentés de croire que j’ai raté ma vocation de chroniqueur mondain, je cite cet exemple pour illustrer le fait que, tout dignitaire que vous soyez, vous pouvez vous retrouver en prison du jour au lendemain, et qu’il ne faut donc pas se laisser impressionner par les titres, une habitude que nous avons trop souvent, nous autres Québécois. C’est d’ailleurs une des grandes leçons de la Révolution Française.
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Pour en revenir à « l’empire » et à son statut d’ennemi du peuple québécois, il faut bien comprendre la place toute particulière qu’il occupe et le rôle qu’il a joué à certaines occasions comme lors du Référendum de 1995, et pour avoir subi les assauts quasi-quotidiens de La Presse pendant un an, je suis bien placé pour vous en parler.
Le Vice-président exécutif de Power Corp., John Rae (le frère de Bob Rae, l’ex-premier ministre NPD de l’Ontario, aujourd’hui chef intérimaire du PLC), était membre du comité exécutif du NON en 1995, et il a joué un rôle considérable dans les événements qui en ont amené certains à conclure que le référendum de 1995 avait été volé.
Faut-il rappeler aussi que ce même John Rae et Paul Desmarais étaient encore dans les coulisses du scandale des commandites par le truchement de l’adjointe administrative de Paul Desmarais et de sa femme, Françoise Patry, l’épouse du député Libéral fédéral de Pierrefonds-Dollard, le Dr Bernard Patry.
On se souviendra que Mme Patry avait comparu devant le juge Gomery après le témoignage de Benoît Corbeil, l’ancien directeur-général du PLC-Québec qui avait déclaré que chaque fois que l’aile québécoise du PLC était dans le rouge, quelqu’un appelait le bureau de John Rae chez Power, et le compte du parti était aussitôt approvisionné.
Mme Patry était fort opportunément la présidente de l'aile québécoise du Parti Libéral du Canada (PLC). Ça facilitait évidemment les choses. Il faut lire ces articles du journaliste Jim Duff, anciennement de Montréal, qui a payé de l’exil le prix de sa trop grande liberté avec les noms des « puissants » : The Gomery Deception: Letting the Big Fish Swim Away ; voir aussi Calling John Rae.
Le lien entre Mme Patry et « l’empire » n’avait pas été divulgué par la Commission Gomery, « ses » avocats s’étant objectés à ce qu’elle réponde à toute question à ce sujet. Comme l’explique Duff, il ne fallait pas qu’on puisse remonter jusqu’à Jean Chrétien, dont la fille France est comme par hasard mariée à André Desmarais, fils de Paul père, ni à Paul Martin, alors premier ministre fédéral.
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Alors vous comprendrez aisément que le nom de Paul Desmarais ait encore été mêlé aux circonstances entourant la venue de Jean Charest au PLQ. Selon le regretté journaliste Michel Vastel, auteur de plusieurs ouvrages politiques, qui a même travaillé chez Gesca, à La Presse, au Soleil et au Droit, Paul Desmarais aurait offert un « pont d’or » à Jean Charest pour faire le saut en politique provinciale. Vastel prétendait que Charest aurait reçu 2 400 000 $ à cette fin. Selon Michel David du Devoir, ce serait plutôt 4 000 000 $. Brian Mulroney et Daniel Johnson fils (lui-même ancien cadre chez Power Corp.) faisaient partie des négociateurs. Charest serait donc passé au PLQ alléché par les millions de l’Oncle Paul.
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Ce petit rappel des faits d’armes de « l’empire » nous montre toute la place qu’il occupe dans la vie politique canadienne et québécoise et l’application qu’il met à servir ses intérêts, car il ne faudrait surtout pas avoir la naïveté de mettre ses « largesses » sur le compte de l’esprit civique.

Tant que « l’empire » sera débout, il fera tout en son pouvoir pour empêcher que le Québec ne devienne indépendant, et ses moyens sont énormes. Pensez seulement qu’il est parvenu à lui seul à faire infléchir la politique étrangère de la France face au Canada et au Québec. Pensez qu’il vient de jouer un rôle important dans la décision de la France de lancer l’offensive contre la Libye. Si vous avez le moindre doute à ce sujet, pensez que Total, la pétrolière française et GDF-Suez, une gazière, dont sa filiale française Pargesa est un actionnaire important, sont au premier rang des entreprises qui bénéficieront le plus des retombées de la victoire des forces de l’OTAN en Libye.
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Il faut donc trouver le moyen de le mettre hors d’état de nuire, et la meilleure façon de le faire consiste à retourner contre lui la médecine qu’il sert à ceux qui le gênent dans ses desseins en utilisant ses « hit-men » des médias qu’il contrôle. Il faut braquer sur lui et ses activités toute la lumière possible, démolir son image dans l’opinion publique en exposant ses manigances et ses magouilles, et le noircir autant que possible. Quand on vit par le glaive, on périt par le glaive ! (vieux dicton du temps des Romains).



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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    2 novembre 2011

    ''L’empire Desmarais était bel et bien en train d’orchestrer, via La Presse et ses « hit-men » du clavier, les roquets à sa solde – je pense ici aux Pratte, Dubuc, Marissal, Lessard et consorts - une manoeuvre pour fomenter la discorde chez les indépendantistes, abattre le PQ, et ce faisant, éliminer tout obstacle à ses visées hégémonistes sur les richesses québécoises, naturelles et autres.''
    J'y rajouterais Paul Arcand et son émission ''Puisqu'il Faut se Lever''(tant qu'à moi ce serait Puisqu'il Faut se Coucher),émission du matin qui a la première cotte d'écoute au Québec donc une immense influence.
    Lundi matin j'entendais notre ''penseur national no 1'' dire que la musique québécoise francophone était déprimante en s'en arracher les veines,et qu'il avait toujours souhaité la présence d'artistes québécois chantant en anglais au Gala de L'Adisq comme Arcade Fire ou Bobby Bazini.
    Il cite alors en exemple,pour appuyer ses dires le cas de Sylvain Cossette qui,pour rejoindre les deux bouts a du chanter en anglais avec sa trilogie de The Seventies.
    Puis arrive 7hres et le vendeur de char Jean Lapierre vient nous vendre son Legault pour la millième fois en 6 mois tout en démontrant comment de toute façon le PQ n'est plus dans la game et que Marois pas Marois,le Pays du Québec n'est plus dans le décor.Et Arcand comme toujours d'acquiescer aux propos de son ami Lapierre.
    Puis ce matin dans son billet de 6hre03 il attaque sur un nouveau front en reprenant les propos du député péquiste Pinard et qui laissait entrevoir que la population ne voudrait probablement pas de Pauline Marois parce qu'elle est une femme.Et voila`notre beau Paul national se draper de sa toge défenderesse des femmes et conclure que ce parti est ingouvernable.
    Stratégie ressemblant à celle des Yvettes en 1980?
    Pour moi cela y ressemble drôlement.
    Lisette Lapointe et Louise Beaudoin seraient-elles des ''mysogynes''?
    Ignatieff a t'il du quitter parce qu'il était un homme ou parce qu'il ne connectait pas avec la population?
    Quoiqu'il en soit se sont deux exemples pris cette semaine illustrant l'acharnement du premier morningman francophone du Québec & associés à vouloir nous diviser,nous monter un contre l'autre pour laisser passer Legault le porte valises de Desmarais.Cette émission a une immense influence au Québec.Il ne faudrait pas l'oublier.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2011

    Monsieur Le Hir, je sens que je vais mieux dormir cette nuit. Vos textes sont du bonbon. Jamais à ma connaissance, depuis Robin Philpot dans son livre "Le référendum volé", quelqu'un n'a eu le courage d'aller aussi loin dans ses propos envers Paul Desmarais et son empire.
    J'espère que des milliers de Québécois, peu importe leur allégeance, vous liront afin de s'ouvrir les yeux et de comprendre d'où vient tout cet acharnement, sur la chef du PQ et son parti depuis un certain temps.
    Semer le chaos chez les députés du PQ, par la panique à la vue des sondages, fait partie du plan de l'empire. C'est ça qu'il faut réaliser. Ne pas tomber dans ce piège, avez-vous écrit dans l'une de vos précédentes chroniques. Hélas! trop l'ont fait jusqu'à ce jour, incapables qu'ils ont été de voir le stratagème.
    Est-il trop tard pour que tout le monde se ressaisisse et se concentre enfin et une fois pour toute sur les priorités les plus urgentes: déloger Jean Charest et son gouvernement et barrer la route à François Legault aux prochaines élections? Mais pour cela, il faut serrer les rangs derrière la chef actuelle, sans compromis. Il sera toujours temps de passer à d'autres choses une fois ces deux urgences réglées.
    Pourquoi personne ne les incite-t-il pas à suivre vos conseils en parlant de Paul Desmarais et de son empire, que je cite: "Il faut donc trouver le moyen de le mettre hors d’état de nuire, et la meilleure façon de le faire consiste à retourner contre lui la médecine qu’il sert à ceux qui le gênent dans ses desseins en utilisant ses « hit-men » des médias qu’il contrôle. Il faut braquer sur lui et ses activités toute la lumière possible, démolir son image dans l’opinion publique en exposant ses manigances et ses magouilles, et le noircir autant que possible."
    Quant à vous, M. Le Hir, suivez mon conseil: soyez prudent!
    Cordialement,
    May West

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2011

    En 2006, les libéraux de Jean Charest nous ont vendu que l’adhésion à l’Unesco était un gain important pour les québécois. Comment ça se fait qu’ils demeurent silencieux présentement devant cet empietement dans une autre de nos juridictions?
    Ou plutôt, c’est la preuve que ce n’était que du vent.
    Un mécanisme sans précédent de concertation
    Les gouvernements qui se sont succédés à Québec ont toujours martelé leur souhait d’être consultés préalablement aux interventions du Canada dans les enceintes multilatérales. L’Accord indique que les deux gouvernements « se concerteront sur tout vote, toute résolution, toute négociation et tout projet d’instrument international élaborés sous l’égide de l’UNESCO ».
    Note: Le Ministre des affaires étrangères, John Baird en rajoute. Le Canada supprime toute contribution volontaire à l'Unesco.
    Merci à Vigiles.net

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2011

    Le Canada gèle sa contribution à l’UNESCO
    L’Accord du 5 mai 2006 entre le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada relatif à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) consacre des gains et des précédents qui le situe parmi les actes déterminants de l’histoire des relations internationales du Québec.
    Si le Québec a sa place à L’Unesco, c’est donc dire que le Canada agit à sa guise sans nous consulter et de manière tout à fait dégueulasse en politique étrangère.
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2011/11/01/004-canada-unesco-contribution-gelee-palestiniens.shtml