Construit sur l’immigration, le Canada est l’un des pays les plus multiculturels de la planète. Lors du recensement de 2011, un Canadien sur cinq était immigrant, un sommet depuis 1931. Et cette proportion continue d’augmenter.
Nous avons accueilli un peu plus de 320 000 immigrants l’an dernier, un nombre record pour le pays qui en reçoit en moyenne 250 000 chaque année.
Le sentiment de repli qui existe dans certains pays européens et aux États-Unis face à l’immigration existe-t-il aussi au Canada?
Ce sondage a été réalisé par CROP à la demande de Radio-Canada auprès de plus de 2513 Canadiens. La méthodologie se trouve au bas de l’article, ici.
Voici pourquoi Radio-Canada a décidé de mener ce sondage.
Y a-t-il trop d’immigrants au Canada?
Venus d’un peu partout dans le monde, les immigrants contribuent non seulement à l’économie du pays, mais aussi à redéfinir la société. Des changements qui ne sont pas toujours les bienvenus aux yeux de certains.
Près de 40 % des répondants estiment qu’il y a trop d’immigrants et que cela est une menace pour « la pureté » du pays. Aussi, plus de la moitié des Canadiens expriment des craintes quant à l’avenir de la culture et de l’identité.
Cette crainte n’est pas nouvelle. Dans le cas du Québec, le pourcentage des gens qui sont méfiants face aux immigrants oscille entre 30 % et 50 % depuis 25 ans.
Pour le président de la maison de sondage CROP, Alain Giguère, cette perception de menace, qui peut mener à l'intolérance, s’enracine dans une société de plus en plus complexe.
« Une partie de la population - de souche - a de la difficulté à vivre avec cette population de plus en plus diversifiée et il y a un potentiel d'intolérance qui s’exprime », explique-t-il, ajoutant que « l'intolérance ethnique est souvent le corollaire
d’une difficulté de vivre avec une société trop complexe ou trop incertaine », notamment lors de crises économiques.
Comment se sentent les Canadiens face aux changements de la société? Les avis sont partagés.
Un Québécois sur trois estime que la diversité rend le pays « un meilleur endroit pour vivre ». Dans le reste du Canada, ils sont près d’un sur deux à penser cela. Une importante minorité croit toutefois le contraire.
Les immigrants et la culture canadienne
Une majorité de Canadiens, tant au Québec que dans le reste du pays, estiment que les immigrants devraient adopter les moeurs et coutumes du pays. Une tendance à la hausse depuis les 25 dernières années.
La proposition de la candidate à la direction du Parti conservateur Kellie Leitch de dépister les immigrants et les réfugiés aux « valeurs anticanadiennes » est une proposition sensée, selon une majorité de répondants.
Méfiance envers les musulmans
Notre sondage démontre que la méfiance envers les immigrants et les groupes minoritaires est davantage accentuée lorsqu’il est question de religions… et encore plus des musulmans.
« L’intolérance s’exprime de façon infiniment plus marquée à l’égard de la différence religieuse que de la différence ethnique », remarque Alain Giguère.
Les répondants au sondage estiment que les musulmans sont l’un des groupes les moins bien intégrés.
Certains répondants ont une position plutôt radicale qui rappelle celle du président américain Donald Trump. Une importante minorité - 32 % des répondants au Québec et 23 % dans le reste du Canada - aimerait que le gouvernement interdise
l’immigration musulmane.
Pour Alain Giguère, la méfiance envers les musulmans est irrationnelle.
« Il y a quelque chose de viscéral chez les gens qui sentent une menace [...] Il y a une peur. Une menace pour notre héritage culturel, notre langue, notre identité. Il y a des gens qui disent : “un jour, leurs moeurs vont dominer
la société au lieu des nôtres”. C’est totalement irrationnel. Les musulmans représentent 3 % de la population. »
Tant les Canadiens que les Québécois surestiment le nombre de musulmans vivant au pays. Alors qu’ils ne représentent que 3,2 % de la population, une majorité de Canadiens croient qu’ils forment plus de 5 % de la population. Certains
estiment ce taux à plus de 15 %.
Les mosquées et le voile dérangent
Le religieux dérange, mais surtout lorsqu’il est visible sur la place publique.
La méfiance envers les musulmans se manifeste notamment par des réticences lorsqu’il est question de la construction d’une mosquée et par une opinion négative à propos du voile porté par certaines musulmanes. Sur ces questions, on
note une différence marquée entre le Québec et le reste du Canada.
Au Québec, la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables et ensuite le projet de charte des valeurs du Parti québécois avaient enflammé les débats sur les symboles religieux, notamment le voile porté par certaines musulmanes.
Une majorité de répondants québécois souhaiterait que ce symbole soit interdit pour les personnes en position d’autorité. Une opinion qui est cependant partagée par une minorité de personnes dans le reste du pays.
La perception du voile est d’ailleurs bien différente au Québec et dans le reste du pays.
Cette différence est peut-être liée au rôle « très autoritaire » qu’a joué l’Église catholique au Québec et au mouvement de laïcisation survenu lors de la Révolution tranquille, croit le président de CROP.
« Les gens qui ont vécu cette laïcisation ont de la difficulté de voir s’exprimer en public d’autres rites religieux dont on a essayé de se défaire, comme société », explique-t-il, ajoutant que l’on retrouve une symbiose entre le rejet
du religieux et l’égalité des sexes, qui rend une partie des Québécois allergiques aux signes ostensibles.
Accueillants malgré tout
Si les résultats démontrent une certaine méfiance envers les immigrants et les musulmans, notre sondage révèle que les Canadiens et les Québécois sont ouverts à l’autre et accueillants. Un paradoxe?
« Tant et aussi longtemps que l’on réfère à l’être humain, il y a un humanisme au Canada qui s’exprime », explique M. Giguère, rappelant que le sondage montre que l'intolérance commence à s’exprimer lorsqu’il est question des différences religieuses visibles
sur la place publique.
Par exemple, le plan du premier ministre Justin Trudeau d’accueillir 40 000 réfugiés syriens au pays est bien accueilli par une majorité de Canadiens.
Une majorité de Canadiens et de Québécois estime par ailleurs que les réfugiés sont une force pour le pays et qu’ils ont beaucoup à nous apporter. Certains croient toutefois qu’ils prennent « nos emplois » et « profitent de nos avantages
sociaux ».
Cette méfiance est présente dans plusieurs pays occidentaux, comme en Hongrie et en Pologne, où le taux de réprobation envers les réfugiés est partagé par une large portion de la population.
De manière générale, les Canadiens estiment que les immigrants et les « autres cultures » ont beaucoup à nous apporter. Une opinion notamment en hausse au Québec ces dernières années.
Les Canadiens sont accueillants. Mais selon une importante minorité de répondants, l’arrivée de réfugiés augmente le risque de terrorisme au pays.
Avant et après l’attentat de Québec
L’attentat qui a fait 6 morts dans une mosquée de Québec a eu un impact sur la perception des Canadiens envers la communauté musulmane. Notre sondage, qui a été mené avant et après la fusillade, montre que les perceptions étaient plus
positives envers la communauté musulmane à la suite du tragique événement.
L’opinion des Québécois sur les mosquées a aussi évolué depuis l’attentat. « Si la construction d’une mosquée était annoncée dans votre quartier, à quel point seriez-vous favorable? » À cette question, une majorité exprime toujours des réticences, mais dans une moins grande mesure.
Malgré cette nouvelle empathie, la moitié des Canadiens disent que ça ne les dérangerait pas si l’attentat de Québec décourageait les musulmans de venir s’établir au pays.
Les Canadiens se disent ouverts aux nouveaux arrivants, mais le sondage démontre que leur opinion change dès qu’il est question de religion, surtout au Québec.
« On a peur [que l’immigrant] impose sa différence. Et qu’en imposant sa différence, il change notre société », résume Alain Giguère, de CROP. Bref, les Canadiens sont accueillants, mais méfiants à la fois face à leur différence religieuse.
Est-ce que ces résultats pourraient avoir une répercussion dans les urnes? La méfiance envers les immigrants et les musulmans est-elle un ingrédient qui pourrait aider un politicien populiste comme Donald Trump à se frayer un chemin jusqu’au pouvoir?
Ce serait difficile, selon les résultats du sondage : quatre Canadiens sur cinq n’aimeraient pas que ce genre de politicien fasse son entrée sur la scène politique.
Lisez l’autre volet de notre sondage : Prêts pour un Trump canadien?
Une édition spéciale sur le sujet sera présentée à 19 h à l'émission 24-60 sur ICI RDI.
Le mot du directeur général de l’information
L’élection de Donald Trump, la montée de la droite populiste en France et dans le reste de l’Europe sont en train de réaligner l’axe du discours politique. La crainte du terrorisme, la vague de réfugiés, la crainte de la mondialisation contribuent à
un sentiment d’incertitude et de repli dans beaucoup de pays occidentaux. Le Canada, pour l’instant, semble moins affecté par ces phénomènes. Mais cela est-il vraiment le cas?
Au Service de l’information de Radio-Canada, nous avons voulu tester ces hypothèses. Le sondage que nous vous présentons, réalisé avec la firme CROP, sonde les sentiments des Canadiens sur les questions du populisme, de l’immigration, de la confiance
dans les élites. Les questions sont claires et directes. Le pays a-t-il besoin d’un politicien comme Donald Trump? Les immigrants devraient-ils subir un test pour s’assurer qu’ils partagent les valeurs des Canadiens? Contribuent-ils
à une meilleure société?
Les réponses, que nous présentons et que nous analyserons au cours des prochains jours sur toutes nos plateformes et dans plusieurs de nos émissions, ont parfois de quoi surprendre. Elles permettent de jeter un regard lucide et informé sur l’opinion publique
canadienne au moment où une bonne partie du monde vit une période d’inquiétude et de questionnement profond. Le Service de l’information de Radio-Canada souhaite contribuer, par ce sondage, à un débat éclairé sur des enjeux
qui sont en train de façonner le visage du Canada.
Michel Cormier, 13 mars 2017
Méthodologie
Sondage web par panel auprès de Canadiens âgés de 18 ans et plus.
Le sondage a été réalisé en deux parties : un premier volet ayant eu lieu du 27 au 30 janvier, soit dans les jours précédant l’attentat survenu à la grande mosquée de Québec, avec un total de 682 entrevues effectuées.
[Aucune réponse n’a été obtenue le 30 janvier, lendemain de l’attentat]. Compte tenu de la forte couverture médiatique accordée à cet événement, il a été convenu d’interrompre la collecte des données pendant
deux semaines avant de reprendre le deuxième volet, qui s’est déroulé du 14 au 20 février, pour un total de 1831 entrevues effectuées.
Échantillon final de 2513 personnes (1024 au Québec et 1489 ailleurs au Canada).
L’échantillon final devait respecter certains quotas (âge, sexe, région) pour en assurer une bonne répartition.
La validité des répondants a été vérifiée en éliminant les répondants trop rapides ou incohérents
L’échantillon final a été pondéré pour le rendre représentatif de la population canadienne selon l’âge, du sexe, la région, la scolarité et la langue maternelle (au Québec seulement pour ce dernier critère) en utilisant
les données de Statistique Canada (recensement de 2011).
Vous pouvez consulter l’ensemble du sondage ici.
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