Une logique tordue

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012




Ces jours-ci, les associations d'étudiants qui boycottent toujours leurs cours se plaignent de la judiciarisation du conflit.
Selon leurs porte-parole, l'intervention des tribunaux dans le bras de fer qui les oppose au gouvernement constitue une entrave à leur droit légitime de faire pression sur les institutions d'enseignement et le gouvernement en empêchant la tenue des cours et favorise indûment les droits individuels (qualifiés d'égoïstes) au détriment des droits collectifs. Les leaders étudiants feraient pourtant bien d'en prendre acte, car le recours aux tribunaux dans ce type de conflit est là pour rester. En effet, non seulement les apprentis sorciers de la FEUQ, de la FECQ et de la CLASSE qui ont entraîné leurs collègues dans ce mouvement devront-ils porter l'odieux de la première grande défaite historique du mouvement étudiant au Québec, mais ils auront en outre contribué à l'émergence d'une procédure nouvelle et efficace pour s'opposer à leurs menées.
Depuis les années 1960, le mouvement étudiant a orchestré plusieurs grands mouvements de grève en s'inspirant du mouvement ouvrier. Né au XIXe siècle, le syndicalisme ouvrier a obtenu la reconnaissance de son bien-fondé, de ses droits et de ses modes d'action (l'association, l'accréditation, le monopole de la négociation, la grève et le piquetage, entre autres), par la Loi sur les relations ouvrières (1944), le Code du travail (1964), la Loi sur les syndicats professionnels (1964) et la Loi anti-briseurs de grève (1977). Ces lois ont pacifié les relations de travail et établi un meilleur équilibre entre les parties, mettant fin aux pires abus du capitalisme sauvage.
C'est ce modèle que le mouvement étudiant a imité avec ses assemblées régies par le Code Morin mais pas toujours démocratiques, ses votes de grève parfois «paquetés» ou à la légalité douteuse, et ses lignes de piquetage étanches et intimidantes.
Or, on est en droit de se demander en vertu de quelle logique tordue cette importation du modèle syndical a pu être tolérée si longtemps par l'État et la société civile. En effet, il est clair que les étudiants ne sont pas des «employés» ou des «salariés» au sens des lois du travail, que les institutions d'enseignement ne sont pas leurs «employeurs», que leurs grèves ne sont pas «la cessation concertée de travail par un groupe de salariés», que leurs associations ne sont pas des «associations accréditées de travailleurs» et que les étudiants qui désirent assister à leurs cours bien que leur association ait décidé majoritairement de les boycotter ne sont pas des «briseurs de grève».
Dans les faits, les associations d'étudiants sont constituées en vertu de la Loi sur les compagnies (art. 4) et leurs membres sont les clients des cégeps et des universités (les étudiants ne se privent d'ailleurs pas d'endosser leurs costumes de clients quand ils ont affaire aux professeurs ou aux administrations de leurs institutions pour leurs dossiers personnels). Ils bénéficient du droit d'association ainsi que de ceux de boycotter leurs cours et de manifester leur mécontentement comme tous les citoyens dans un État de droit. Mais ils ne jouissent pas du droit de «grève», pas plus que de celui d'empêcher les autres étudiants d'assister à leurs cours, ce qui équivaut à les priver d'un service auquel ils ont droit. La société tolère, pour des raisons historiques et de sens commun, l'usage de la force physique sur les lignes de piquetage dans le monde du travail. Mais dans tout autre contexte, cette détestable tradition doit être considérée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire des voies de fait.
Si la société québécoise est majoritairement d'accord avec l'extension des droits de grève et de piquetage aux associations étudiantes, alors que l'Assemblée nationale légifère en ce sens. Sinon, ce sera aux tribunaux de faire respecter les droits individuels, qui ne peuvent être annihilés par les droits collectifs, sauf quand la loi l'autorise.
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Marc Simard
L'auteur enseigne l'histoire au Collège François-Xavier-Garneau.

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L'auteur enseigne l'histoire au Collège François-Xavier-Garneau.
Auteur de "Les éteignoirs - Essai sur le nonisme et l'anticapitalisme au Québec", publié aux Éditions Voix Parallèles





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