Droits de scolarité

Une hausse que la collectivité devrait assumer

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Monsieur le premier ministre Jean Charest,
Madame la ministre de l'Éducation Line Beauchamp,
Ma fille de 19 ans fait du piquetage actuellement. À son âge, j'étais au baccalauréat. Issu d'un milieu (très) modeste, je portais encore souvent les vêtements des plus vieux. Avant 22 ans, je ne me suis permis aucune frivolité. Je faisais des boulots d'étudiant et économisais pour mes études. Les prêts-bourses complétaient mes gains. Les débrayages? Pas pour moi, j'étais trop occupé à survivre.
Mon premier travail, en 1974, rapportait 8353 $ annuellement et mes prêts-étudiant totalisaient 8500 $. Que j'ai remboursés en 8 ans. Mes revenus ont progressé plus vite que le coût de la vie et j'ai mieux vécu que la majorité. Je me convaincs sans mal d'avoir travaillé fort et de ne rien devoir à personne. Côté études pour mes enfants, j'ai pris les devants et mis de côté les épargnes nécessaires. Baby-boomer du milieu de troupeau, j'approche de la retraite et je prévois en jouir sans craintes financières. Évidemment, je paie de lourds impôts depuis des dizaines d'années.
En résumé: je suis l'exemple parfait du fils de milieu modeste qui a réussi financièrement sans être arrêté par les droits de scolarité d'avant le gel.
Accès à tous
Vous ne serez donc pas surpris si je dis: «Vous avez raison de procéder au dégel des frais de scolarité et de les ramener à un niveau comparable à ce qu'ils étaient de mon temps.»
Désolé, alors, car je vais vous surprendre!
Je dis respectueusement que vous avez tort. Je soutiens qu'une société fondée sur le savoir et la compétence doit rendre l'instruction supérieure accessible à tous de façon égalitaire. Et le seul moyen véritable d'y arriver est la gratuité, tout au moins jusqu'aux premiers grades universitaires. Puisqu'on répète que le premier cycle universitaire est maintenant un minimum pour réussir une carrière professionnelle, soyons cohérents en offrant ce minimum à chacun sans élever d'obstacles sur la route. Encore moins sur la route des moins privilégiés.
Certes, certains gamins comme moi ont surmonté les contraintes d'antan, mais beaucoup d'autres ont dû s'accommoder de boulots en deçà de leurs talents, faute de soutien financier aux études. Encore maintenant, malgré les droits de scolarité les moins élevés au Canada, nul ne peut assurer que chaque enfant de ce pays aura la même chance de poursuivre des études supérieures.
Nos universités ont besoin d'un financement accru pour maintenir la qualité des services, s'imposer à l'échelle internationale et former l'essentielle relève. C'est indéniable. Mais ne mêlons pas l'objectif et les moyens de l'atteindre.
Jeunes dépendants
Les droits de scolarité en soi et leur hausse annoncée nous privent collectivement de l'apport potentiel de certains enfants. Le mode de financement actuel des universités réduit des dizaines de milliers de jeunes adultes à la dépendance, à des degrés divers, vis-à-vis de leurs parents. Plusieurs n'acceptent pas de contribuer aux études de leurs enfants, au détriment de ces jeunes adultes. Or, l'instruction universitaire n'est pas un bien de consommation à quémander parmi d'autres dépenses liées aux activités sociales, culturelles ou sportives personnelles. C'est la base de notre enrichissement collectif et de notre pérennité en tant que société. Il s'agit ici d'outiller la prochaine génération en vue de lui confier le pays que nous avaient eux-mêmes confié nos prédécesseurs!
«Les modestes travailleurs paient déjà trop cher pour ces étudiants privilégiés», clament certains populistes. C'est un manque de vision flagrant, car faciliter l'accès aux études est la voie royale pour ne plus confiner des générations de familles dans des classes économiques inférieures. De plus, il est une réalité incontestable: chaque enfant instruit contribuera plus tard à la rentabilité pour l'économie collective.
Depuis toujours, chaque nouvelle génération prend appui sur les précédentes. J'affirme que nous devons à notre tour soutenir adéquatement les coûts de l'instruction publique pour ceux et celles qui nous suivent, et non exiger leur contribution par anticipation. Utilisons d'autres solutions que la pression sur les enfants du pays ou l'asphyxie des gagne-petit. Un rééchelonnement des taxes et impôts permettrait de répondre aux attentes: ne surtaxons pas les faibles salariés; demandons une contribution modeste du côté des revenus modestes; haussons la barre pour les revenus élevés; réduisons les exemptions sur les actions et obligations.
Assumer collectivement
Après m'être imposé une «taxe personnelle» élevée pour l'instruction de mes propres enfants, je ne m'opposerais pas à ce que moi et tout autre privilégié ayons à payer des impôts supplémentaires destinés à favoriser l'accession au système d'éducation supérieure de chaque enfant volontaire du pays. C'est à nous, enfants de la Révolution tranquille et premiers bénéficiaires du passage du pays à l'ère moderne, de retarder la retraite de quelques années (et plus, si nécessaire) afin de compenser de telles hausses de taxes.
«Sacrifions» un brin de superflu, repoussons l'achat de biens non essentiels, promenons-nous ailleurs moins souvent, moins longtemps, moins loin. Dans un environnement nettement plus difficile, nos parents et grands-parents ont agi sans égoïsme. Agissons donc correctement à notre tour et assumons collectivement l'instruction de nos enfants, de façon à leur permettre de se dépasser et... de nous dépasser.
Je regrette de m'être montré sourd et aveugle il y a 40 ans; j'aurais dû militer pour l'instruction universitaire gratuite. Ainsi, les jeunes adultes actuels n'auraient pas à se mobiliser pour convaincre leurs aînés. Ces «on ne leur demande finalement que d'assumer une part des coûts égale à ce que nous avons payé nous-mêmes en notre temps» me sidèrent. À ce compte, réinstaurons les coupons de rationnement, remettons la strap de cuir à l'honneur et n'oublions surtout pas de renvoyer les femmes aux chaudrons!
J'appuie ma fille et ses semblables. J'avoue que je suis plus fier de leur conscience sociale que de la mienne à leur âge. La ferveur de ces jeunes offre une image de notre collectivité plus réjouissante que celle de pathétiques baby-boomers obnubilés par leur vigueur physique, leur pouvoir d'achat et leur confort nombriliste... plutôt que sensibles à la pérennité de ce pays qui s'affirme au fil des siècles, et non pas seulement depuis leur naissance.
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Benoit Corbeil - Montréal


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