Une farce sinistre

André Boisclair agit désormais comme si l'indépendance était une difformité qu'il faut voiler pour tenter de plaire

Crise de leadership au PQ


Avec les résultats poussifs obtenus en janvier dernier, le Bloc québécois a non seulement perdu la partie, mais il a aussi perdu sa crédibilité: il a reculé au score en niant sa raison d'être.
N'ayant manifestement pas davantage décodé le " mystère de Québec ", le PQ s'apprête à faire rebelote. Le résultat sera à l'avenant. Il n'y a pas " mystère ": aucun mouvement politique n'a jamais accompli son objectif premier en l'esquivant. Les verts ne disent pas " santé " lorsqu'ils pensent " environnement ". Or André Boisclair- dont la priorité affichée est l'éducation- agit désormais comme si l'indépendance était une difformité qu'il faut voiler pour oser plaire. Si le chef du PQ donne une telle image de la souveraineté, pourquoi diable le premier électeur venu irait-il s'imaginer que sous la burqa souverainiste se cachent plutôt, en réalité, de voluptueux appâts?
Dire qu'André Boisclair, en pleine course au leadership, évoquait, foi de René Lévesque, " l'urgence de la souveraineté "! Agir en fonction de cette " urgence " forcément plus " urgente " un an plus tard, ah non, ce serait faire de la " stratégie ouverte ". Cette farce est sinistre. Ce n'est pas faire de la " stratégie ouverte " que, face à la réalité de l'échiquier politique, pousser le pion du roi et dire " j'attaque! ". Obsédé par l'idée périmée d'État-nation, persuadé (par le fait même) que le Canada n'est pas un " vrai " pays, le PQ a historiquement sous-estimé le patriotisme anglo-canadien, et, partant, sa capacité d'initiative. À Ottawa, comme dans n'importe quel pays multinational normal (comme le serait un Québec souverain), l'indépendance, c'est le bouclier, certes, mais c'est, d'abord et avant tout, l'épée.
La cause est entendue: le " fiduciaire de la souveraineté " n'était pas l'homme de la situation il y a un an et demi, et ne l'est toujours pas. Quel geste- un seul- aurait-il fait pour rapprocher l'État québécois de l'indépendance? Déjà, un homme convaincu de l'imminence de la décision serait forcément allé en mission à l'étranger. C'est maintenant, avec l'oisiveté relative que procure l'opposition, qu'il faut entretenir les nécessaires appuis internationaux. Même Pierre Marc Johnson, en novembre 1987, avait fait une visite officielle à Paris. C'est dire l'incurie actuelle. Heureusement que la presse torontoise s'est dépassée, cet été, pour nous rappeler une ou deux raisons de divorcer, sinon, franchement on se le demanderait.
Ce que les militants du PQ nouveau ne voient pas- puisqu'ils ont été frais recrutés pour l'occasion-, c'est que si le parti s'est échoué en novembre 2005, la dérive durait, elle, depuis janvier 1996. La saison des idées a été une immense fraude. La moisson a pourri, à l'été 2004, derrière les portes closes. Les thèses dites de Laplante-Parizeau, favorables aux " gestes de rupture ", revenaient souvent sous la plume des militants. Or les conclusions- moins dérangeantes- étaient prêtes d'avance.
Les indépendantistes qui restent au PQ, malgré de nombreux avertissements, ont commis l'erreur de ne pas crever cette baudruche alors qu'il était encore temps. D'autres s'en chargeront. L'électorat fédéraliste, d'une part, qui n'a cure de ces ambiguïtés, et l'électorat souverainiste, d'autre part, à qui elles ne plaisent pas davantage. Le cynique dira que c'est sans doute là le plan: en rééditant la fausse victoire de 1998, l'excuse serait toute faite pour se contenter, encore une fois, de la province.
L'auteur a été conseiller au ministère des Relations internationales de 1998 à 2003 et à l'opposition officielle en 2003 et 2004.

Featured f9e9b328cfc4e0a53467e066a6addcb8

Philippe Navarro11 articles

  • 7 823

Philippe Navarro, détenteur d'une maîtrise en sciences politiques, ancien attaché politique du Parti québécois. Maître en relations internationales et auteur de science-fiction, il a publié le roman d’anticipation Delphes en 2005. Il est aussi le leader du groupe Water On Mars, en nomination à l’ADISQ pour le meilleur album de musique électronique.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé