Bruno Bisson - Le gouvernement du Québec accumule depuis 10 ans une dette cachée de plus de 6 milliards pour financer la remise en état du réseau routier québécois, malgré la loi sur le déficit zéro.
Ce déficit accumulé par le Fonds de conservation et d’amélioration du réseau routier (FCARR) a augmenté de 760 millions par année, en moyenne, au cours des trois premières années du gouvernement libéral sortant, selon des données relevées par La Presse au livre des comptes publics du Québec.
Durant cette période, le gouvernement du Québec a investi chaque année plus d’un milliard de dollars dans la réfection et la construction de nouvelles routes, faisant passer le passif du FCARR de 3,9 milliards, au début de 2003, à 6,15 milliards au début de 2006.
À la fin de l’exercice financier courant, le 31 mars, la dette de ce «fonds spécial», créé en 1996 par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, devrait approcher les 7 milliards.
De plus, en vertu des annonces faites par le ministre des Finances Michel Audet, dans un budget présenté à la veille du déclenchement des élections, le ministère des Transports du Québec (MTQ) prévoit réaliser des travaux de réfection et de construction de nouvelles routes totalisant 5,9 milliards au cours des trois prochaines années, dont la quasi-totalité sera financée par le FCARR.
En conséquence, la réalisation de ces travaux devrait faire passer le déficit du FCARR au-dessus de la barre des 10 milliards avant la fin de la présente décennie.
Ce déficit n’apparaît pas aux budgets de l’État, même s’il fait partie du périmètre comptable du gouvernement. Durant les premières années d’existence du FCARR, les montants investis par l’intermédiaire du fonds dans le réseau routier étaient comptabilisés dans le rapport annuel des activités du ministère des Transports du Québec.
Depuis la refonte des règles de présentation des états financiers du gouvernement, en 1998-1999, les opérations financières du FCARR ne font plus l’objet d’aucune publication.
Déficit
Les seules mentions de ce déficit accumulé apparaissent dans les dernières pages du volume 2 du livre des Comptes publics, publié par le ministère des Finances, et se résument à une ligne de données, dans un «Sommaire des opérations financières des fonds spéciaux» qui tient sur deux pages.
Malgré la discrétion qui l’entoure, ce déficit entraîne quand même des débours importants en raison d’un service de la dette qui s’alourdit d’année en année.
Depuis 2002, les contributions du MTQ au financement du FCARR augmentent au rythme d’environ 100 millions chaque année (voir tableau).
Selon des documents obtenus par La Presse, le MTQ a ainsi versé 805 millions en 2006-2007 pour rembourser les frais d’amortissement et les coûts d’intérêts sur cette dette accumulée. Cette contribution du MTQ a accaparé 40 % de son budget de dépenses pour l’année en cours. Il y a six ans, sa contribution au financement du FCARR représentait moins de 20 % du budget annuel du ministère.
Pour illustrer l’importance du passif du FCARR, et le service de la dette qu’il commande, notons que les sommes versées par le Ministère au fonds, seulement pour l’année en cours, auraient permis de financer tous les travaux de conception et de construction du prolongement du métro vers Laval, qui ont duré cinq ans et qui ont coûté 803 millions aux Québécois.
Contourner le déficit zéro
Depuis 10 ans, le ministère des Transports du Québec ne finance plus les travaux routiers au Québec. Il les planifie, il les commande et les supervise, mais il ne les paye pas. C’est plutôt le ministre des Finances du Québec qui fait des emprunts et qui verse des centaines de millions de dollars par année dans le Fonds de conservation et d’amélioration du réseau routier, où le MTQ pige les sommes nécessaires à ses projets.
Cette mécanique comptable a été créée en 1996 par l’ex-ministre des Finances, Bernard Landry. À l’époque, M. Landry faisait face à une situation inextricable en raison de l’état pitoyable du réseau routier, des besoins d’investissements de plusieurs centaines de millions, et des contraintes budgétaires liées à la promesse du premier ministre d’alors, Lucien Bouchard, d’éliminer le déficit des opérations courantes du gouvernement du Québec.
C’est dans ce contexte qu’a été créé le FCARR, un «instrument de gestion» dont l’existence est purement virtuelle et qui accumule un passif de plusieurs milliards, tout en permettant au gouvernement de présenter des budgets de dépenses apparemment équilibrés, sans déficit. Ce tour de force serait impossible sans l’existence du fonds.
À titre d’exemple, le MTQ prévoit réaliser au cours de la prochaine année des travaux routiers de 1,7 milliard. Or, le budget de dépenses du Ministère s’élèvera cette année à un peu plus de 2 milliards.
Comme le MTQ dépense environ 400 millions par année pour le déneigement et l’entretien de base du réseau routier, il lui serait impossible de financer des travaux de 1,7 milliard à même son budget courant, qui doit aussi prévoir des sommes importantes pour le transport scolaire, le transport en commun ou le transport adapté.
Le MTQ puise donc les fonds nécessaires dans le FCARR, qui est lui-même alimenté par des emprunts du ministre des Finances, évitant ainsi d’avoir à imputer ces investissements à son budget de dépenses courantes.
La méthode n’est pas nouvelle. De tout temps, les gouvernements québécois et canadien amortissent sur 20, 30 ou même 40 ans les coûts de leurs grands projets de développement routier.
Fonds
Toutefois, depuis 1996, et la création de ce fonds, ce ne sont plus seulement les projets de développement, comme la construction de nouvelles autoroutes, mais tous les travaux routiers qui sont financés par emprunts au Québec.
Ainsi, la pose d’une couche d’asphalte pour améliorer le confort de roulement d’un tronçon de route était autrefois payée à même le budget courant du ministère.
Aujourd’hui, les coûts d’un tel chantier sont amortis sur 10 ans. Des travaux de renforcement d’un viaduc ou d’un pont seront amortis sur 20 ans. Quant aux grands projets de développement autoroutier, comme le prolongement de l’A-50 entre l’Outaouais et les Laurentides, par exemple, sont amortis sur une période de 30 ans.
Cette mécanique financière a ainsi permis de financer des projets totalisant 8,9 milliards, sur une période de 10 ans, entre le 1er avril 1996 et le 31 mars 2005.
Durant la même période, les versements du MTQ au FCARR se sont élevés à seulement 3,6 milliards.
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