La succession de Benoît XVI

Une crise d’une gravité sans précédent oblige le plus vieil État au monde à un repositionnement stratégique majeur

Propos d’un lundi de Pâques

Chronique de Richard Le Hir

On oublie trop souvent que l’Église catholique n’est pas simplement une institution religieuse, mais qu’elle est aussi un État dont les frontières et l’influence dépassent largement celles que le petit territoire du Vatican peut nous suggérer. Qui plus est, comme cet État est le plus vieux au monde, il se trouve à bénéficier d’une autorité morale particulière, indépendamment de toute dimension religieuse.
Dans l’histoire de tout État, et particulièrement dans celles des plus vieux, on observe une alternance entre des périodes d’ascension et de déclin, étant entendu que la durée de ces périodes va avoir une incidence sur leur longévité. Au fil des siècles, certains États ont disparu, d’autres se sont fractionnés, au gré de l’évolution des rapports de force qui s’établissaient entre eux.
En raison de son double statut de puissance spirituelle et temporelle et de l’ascendant moral que lui conférait le premier sur les autres États, l’Église catholique s’est trouvée moins exposée que les autres à la brutalité des rapports de force, ce qui a largement contribué à sa longévité, sans pour autant lui assurer la pérennité.
C’est justement la réalisation que cet avenir n’était non seulement pas assuré, mais qu’il était même menacé, qui a mené le pape Benoît XVI à d’abord s’interroger sur sa capacité à être l’homme de la situation avant de conclure qu’il ne l’était plus, et à poser un geste pour lequel il n’y avait qu’un seul précédent en 2000 ans d’histoire, soit renoncer à sa charge pontificale.
Étymologiquement et au sens figuré, un pontife est celui qui établit des ponts (du latin pontifex, une fusion de pons et facere). Or cette capacité à établir des ponts repose entièrement sur son degré d’autorité morale, et il faut dire que cette autorité s’est gravement étiolée au cours du dernier siècle, car il faut bien comprendre que les scandales sexuels et financiers qui affligent actuellement le Saint-Siège ne sont que les derniers d’une longue liste de reproches qui lui sont adressés.
Parmi les autres, on retiendra son aveuglement prétendu devant les atrocités commises par les Allemands contre les Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, ou encore son soutien de régimes fascistes de préférence à voir certains pays succomber au communisme.
À ces problèmes de politique extérieure se sont rajoutés des problèmes de politique intérieure comme le célibat des prêtres, le refus d’ouvrir le sacerdoce aux femmes, et la condamnation sans discernement de l’avortement.
Si bien que voyant sa fin venir, Benoît XVI a compris que l’Église catholique depuis cent ans avait non seulement failli dans sa tâche d’établir des ponts, mais qu’elle était en fait parvenue à en couper, malgré toutes les bonnes intentions professées.
Ne perdons pas de vue non plus que l’Église dispose d’un réseau diplomatique parmi les mieux renseignés qui lui permet en tout temps d’avoir l’heure juste sur la situation du monde. Benoît XV1 savait donc que le monde est entré dans une période de grande instabilité et qu’une crise majeure est sur le point d’éclater, une crise à la solution de laquelle il n’aurait pas été en mesure de contribuer vu la perte d’autorité morale de l’Église.
Or au sein de celle-ci, un seul ordre religieux avait eu la clairvoyance d’identifier le problème dès le début des années 1960, la Société de Jésus et ses membres, les Jésuites. Ce n’est donc pas un hasard qu’ils aient été si nombreux à adhérer à la théologie de la Libération développée en Amérique Centrale et en Amérique du Sud en opposition au clergé séculier qui se soumettait aux pouvoirs fascistes pro-américains.
Vers le milieu des années 1970, cette clairvoyance avait presque atteint le stade de la dissidence, et le pape Paul VI fut obligé de les rappeler à leur mission et à leur soumission à l’autorité pontificale, non sans amener des centaines d’entre eux à quitter les ordres.
On comprend dès lors que l’élection de François 1er à la charge pontificale revêt un caractère exceptionnel dans la mesure où elle symbolise non seulement une reconnaissance du bien-fondé de plusieurs des critiques des Jésuites à l’endroit de l’Église et de la papauté, mais également une volonté de placer l’un d’entre eux de nouveau dans le rôle voulu par leur fondateur Ignace de Loyola, celui de soldats de Jésus, sans doute dans l’espoir non avoué de susciter un nouvel élan de vocations car il y a péril en la demeure.
Susciter de nouveau, n’est-ce pas justement ressusciter, et l’Église catholique ne fêtait-elle pas justement hier, jour de Pâques, la résurrection du Christ ?
Il y a donc tout lieu de croire que le pape Benoît XVI savait parfaitement ce qu’il faisait en ouvrant la porte à sa succession et sans doute même à celui qu’il voulait avoir comme successeur. En effet, nous apprenions quelques jours avant Pâques par l’indiscrétion d’un cardinal que son collègue récemment élevé à la charge pontificale sous le nom de François 1er s’était classé au second rang derrière Benoît XVI au conclave précédent.
En choisissant de démissionner quelques semaines avant Pâques, Benoît XVI mettait clairement sur la table le besoin d’une résurrection pour l’Église après une longue période d’errance et d’errements, comme les messages du nouveau pape ne cessent de nous le signifier en proposant un recentrage de son action sur les vertus théologales que sont la foi, l’espérance, et de la charité, le tout dans une simplicité aux antipodes du faste des derniers pontificats.
Car Benoît XVI savait aussi que la crise qui s’en vient va avoir une forte dimension économique, comme la situation financière de l’Église ne cessait de lui rappeler, et que sa pertinence pour les fidèles dépendrait dans une large mesure de sa capacité à s’identifier à leurs difficultés et à leurs luttes pour ne pas être écrasés, maintenir leur dignité, et obtenir justice.
Sans pouvoir ni vouloir imposer son choix, Benoît XVI savait malgré tout que les cardinaux, confrontés aux faits, en viendraient à la même conclusion que lui, et la rapidité avec laquelle ils ont élu celui qui a tout de suite voulu imposer un nouveau tempo en choisissant le nom de François 1er montre que c’était le seul choix possible.
L’Église catholique va-t-elle être en mesure de survivre à la crise qui l’ébranle et à celle qui nous guette ? Nombreux sont ceux qui croient qu’elle a déjà atteint son point de non-retour. On aurait cependant tort de l’enterrer trop vite. Ses deux mille ans d’existence témoignent d’une vitalité peu commune et d’une capacité à se réinventer au fur et à mesure de l’apparition de nouvelles conjonctures, de nouveaux défis, et de nouveaux besoins.
Autant peut-on trouver à la critiquer, autant trouve-t-on des raisons de lui être reconnaissant. Sans l’Église catholique, serions-nous là ? Le Québec français existerait-il ? Et c’est tout de même à la doctrine sociale de l’Église catholique que nous devons la présence d’institutions comme le Mouvement Desjardins qui nous ont permis de prendre en mains notre développement, peu importe ce qu’il est en train de devenir et qui n’a justement plus aucun rapport avec les idéaux et les valeurs qui sont à son origine.
Oui, l’Église catholique s’est parfois montrée étouffante et il est arrivé à son clergé de se montrer indigne de sa mission. Mais l’inspiration divine dont elle se réclame ne fait pas moins d’elle une institution humaine, et nommez m’en une seule qui soit sans reproche.
Mon but ici n’est pas d’en faire l’apologie ou de la défendre. N’étant pas pratiquant, je ne me sens pas investi de cette mission. Mais, en tant que simple citoyen et observateur de la scène politique, je reconnais le rôle important qu’a joué l’Église catholique dans notre histoire, et je cherche à déterminer si le déclin rapide et prononcé de son influence au cours des cinquante dernières années chez nous est sans retour.
Paradoxalement, plus la crise sera profonde, plus elle aura de chance de regagner de l’influence selon son comportement. Et c’est en cela que je trouve si intéressante l’accession du cardinal Jorge Mario Bergoglio s.j. au trône pontifical.


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9 commentaires

  • Yves Rancourt Répondre

    2 avril 2013

    Monsieur Le Hir,
    Comme vous le dites si bien, l'Église traverse une "crise d'une gravité sans précédent". Mais ce qui m'étonne personnellement depuis l'élection du nouveau Pape, c'est l'accueil nettement très favorable qu'il a reçu dans les médias dès le départ et qui dure depuis, à l'exception bien sûr d'allégations vite étouffées d'avoir fermé les yeux sur les crimes commis par la junte militaire en Argentine à la fin des années '70. Dans les semaines et les mois qui ont précédé son élection, ça tirait de partout et à tout propos dans les médias sur l'Église ( pédophilie et autres) et, soudainement, à peu près plus rien, que du positif. Pourtant, à part sa volonté d'être plus près des pauvres et sa gentillesse affichée, le Pape n'a pas annoncé de réorientations majeures pouvant calmer ceux et celles qui, hier encore, critiquaient vertement l'Église. Tout ceci permet de croire que c'est d'abord la tête de Benoît XVI que l'on voulait dans certains milieux et on l'a obtenue. Un texte publié dans Le Devoir de samedi dernier et signé par Étienne Plamondon Émond amène à cet égard d'intéressantes réflexions.
    Le Pape Benoît XVI a probablement renoncé à son pontificat pour sauver l'Église, réalisant que sa seule présence contribuait à amplifier démesurément la critique dirigée contre Elle. Un intervenant sur ce site(Éric) parle avec raison des défis financiers qui attendent l'Église; Gianluigi Nuzzi aborde cette question dans son livre( Sa Sainteté), soulignant entre autres que les 4500 cas de pédophilie réglés aux États-Unis avaient à eux seuls coûté 2,6 milliards de $. On peut facilement imaginer ce que pourrait coûter le règlement de tous les dossiers en attente un peu partout dans le monde, surtout si des gens mal intentionnés décidaient tout à coup d'aider toutes ces pauvres victimes à obtenir de généreuses compensations de l'Église. Ce serait la fin à coup sûr pour le Vatican et peut-être aussi pour l'Église!
    Salutations à vous.

  • Klon Myriade Répondre

    2 avril 2013

    L'Église a bien fait des choses, comme tous les empires.
    L'église spirituelle de Jésus, le vrai qui existe et pense encore, se trouve-t-elle satisfaite par la théocratie patriarcale du Vatican?
    Cette théocratie patriarcale est condamnée, je n'ai pas besoin d'être Jésus pour le penser. Car, avec le patriarcat, c'est l'idée même de Dieu le Père tout-puissant, qui sera vite remise en cause par les chrétiens soucieux de faire respecter la Bible hébraïque comme texte historique qui nommait Elohim son entité principale dès la première phrase du premier livre. Dieu n'est pas son nom, Elohim est son nom propre pluriel qui ne doit pas être effacé, comme le font les bibles de l'Église menteuse... Dieu va mourir aussi dans l'église chrétienne libre qui abolit la théocratie patriarcale. Quelle que soit sa forme, cette église chrétienne ne sera jamais le Vatican papiste.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2013

    Michael Sabia, le PDG de la caisse de dépôt et de placement pourrait être canonisé un jours; rappelez-vous qu'il a été nommé suite à une "révélation".
    « Non, je n'ai pas rencontré d'autres candidats, parce que quand j'ai vu le nom de M. Sabia, pour moi, cela a été comme une révélation », avait dit M. Tessier.
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2009/03/16/001-Charest-Sabia.shtml

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2013

    "Reportons-nous à 1760, à notre petit peuple de soixante mille habitants sur les rives du Saint-Laurent, abandonné par la noblesse française. Sans l'Église, ne croyez-vous pas que nous serions comme un petit pays d'Afrique aujourd'hui? Qui a préparé les médecins, les professionnels et même nos brillants hommes d'État d'aujourd'hui? Qui les a instruits, souvent gratuitement, sans exiger d'eux la vocation sacerdotale? L'Église fait partie d'une époque. Elle ne pouvait quand même pas donner des ordinateurs aux élèves, avant la Révolution tranquille"
    Mgr Léger, 1980

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2013

    Merci beaucoup encore Mr le Hir pour votre excellent résumé.
    Je crains que la situation soit beaucoup plus grave qu’on le croit. Je crois que l’on n’assiste à la fin du catholicisme rien de moins.
    L’Europe est en crise. Les monnaies vont bientôt s’effondrer comme des châteaux de cartes. L’or est vu comme une valeur refuge en ces périodes-là et il se trouve que le Vatican en possède beaucoup et a aussi fait de très mauvais placements dans la dernière crise.
    C’est les créanciers qui ont demandé la démission du papa !!!
    Déjà au début février les guichets automatiques du Vatican étaient fermés. Ils n’ont été recouverts qu’après la démission de Benoît.
    http://www.youtube.com/watch?v=EhuSxzDI6-A&feature=player_embedded
    Il y, a en plus, dans le lot des victimes qui poursuive l’Église catholique et qui ont demandées que le papa soit nommé comme complice et qu’un mandat d’arrêt soit émit contre lui.
    JP Morgan a émis aussi émit un communiquer disant qu’ils considéraient le Vatican comme non solvable.C'est une attaque en règle des milieux financiers. Comme la Grèce, l’Italie et tout les autres, le Vatican va couler.
    http://openyoureyes.over-blog.ch/article-revue-de-presse-jovanovic-benoit-xvi-revelations-sur-son-depart-vidz-115399952.html

  • Archives de Vigile Répondre

    1 avril 2013

    Personnellement, je suis chrétien dans ma conception de la vie, mais je ne suis pas croyant. C'est vous dire comment le pape, je m'en tape.
    Mais, s'il fait du bien à l'humanité,y a personne qui va lui garrocher des roches. Mêre Theresa n'était pas croyante, à ce que l'on dit.
    Vas-y, mon François. On te jugera aux actes.
    Pierre Cloutier

  • Oscar Fortin Répondre

    1 avril 2013

    C’est avec grand intérêt que j’ai lu ce texte qui résume assez bien les grands traits d’une église qui a traversé ses derniers 1600 ans d’histoire en s’édifiant principalement sur des pouvoirs temporels aux mille complicités. L’Église, initialement, constituée de communautés vivantes, porteuses du message évangélique, est devenue au cours de ces 1600 dernières années une institution en tout semblable à celles des empires. Durant cette période, sa référence première n’est plus ce Jésus de Nazareth accompagnant les pauvres et les humbles de la terre, mais plutôt le Christ ressuscité trônant sur toutes les nations du monde. Elle préfère le règne des cieux à celui de la terre. Les contraintes sont moins grandes et les honneurs et privilèges plus attrayants.
    La redécouverte des Évangiles en langue vernaculaire nous fit découvrir le Jésus de Nazareth et nous amena à questionner cette institution ecclésiale, qui contraste avec le message évangélique, qui copine avec les grands de ce monde et qui couvre de son autorité morale les crimes commis par ces derniers. La théologie de libération est d’abord et avant tout cette prise de conscience du témoignage de ce Jésus de Nazareth et l’importance de son message pour les temps que nous vivons. Pas surprenant que les principaux interpelés par cette théologie l’aient condamnée, surtout Jean-Paul II et Benoît XVI. Quant à Paul VI, il faut rappeler qu’il fut présent, en 1968, à la Conférence des évêques latino-américains à Medellín, et dont le document final alimentera dans les années qui suivirent cette théologie
    Il faut espérer que l’émérite Benoît XVI ait été le dernier de ces monarques dont le règne aura atteint un sommet lors cette grande célébration d’anniversaire sur la terrasse de la Maison-Blanche en compagnie de plus de 10 000 dignitaires. Les pauvres et persécutés du monde n’y étaient pas.
    Tous les espoirs sont permis avec ce François. Il faudra voir jusqu’où il ira dans la révision de la doctrine, des alliances traditionnelles de l’Église avec l’Empire, de la démocratisation et de la décentralisation des pouvoirs. De plus en plus de voix s’élèvent pour que l’Église se libère de l’État du Vatican et de cette banque qui en fait un signe de contradiction.
    Personnellement, en tant que croyant, j’ai bon espoir et je donne la chance au coureur.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 avril 2013

    Joyeuses Pâques.
    Benoît XVI à propos du YOUCAT
    Chers jeunes amis !
    Étudiez le catéchisme.
    C'est ce que je souhaite de tout mon cœur.
    Formez des groupes de réflexion,
    créez des réseaux d'échanges sur Internet.
    Je vous bénis et je prie chaque jour pour vous tous.
    Benedictus P.P. XVI
    http://www.youcat.org/fr/etudier-la-foi.html

  • Henri Marineau Répondre

    1 avril 2013

    À mon sens, l’élection de François, celui que plusieurs surnomment déjà le « pape des pauvres », risque de reléguer dans l’ombre les grands débats auxquels l’Église est confrontée au 21ième siècle, tels la pédophilie, la place de la femme dans l’Église, la contraception, l’avortement ou le célibat des prêtres.
    Nul doute qu’un recentrage de la mission de l’Église catholique sur les démunis contribuera à mieux répondre au message d’amour et de charité légué par le Christ lors de son passage sur terre. Toutefois, si nous posons comme hypothèse le retour du Christ sur terre actuellement, quelle serait sa réaction face à l’institutionnalisation de la pauvreté comme elle se produit un peu partout dans le monde, y compris en Argentine, la terre natale de François?
    Rappelons-nous les colères de Jésus-Christ contre les pharisiens ou les vendeurs du temple lorsqu’il s’est rebellé contre eux qui prétendaient au pouvoir religieux ou politique en gardant le peuple ignorant et asservi. Si, aujourd’hui, François se montre bienveillant envers les pauvres en allant à leur rencontre, que propose-t-il pour les sortir de leur misère à part la compassion?