Pays phare de la social-démocratie depuis des décennies, la Suède serait prête à virer à droite. Le changement de cap, qui pourrait s'amorcer avec les élections générales de la semaine prochaine, se ferait au moment même où, partout dans le monde, on lui envie son succès et où l'on se demande si on peut le copier. Mais les choses ne sont pas toujours comme on le pense.
L'affaire semblait être dans la poche pour la coalition de droite de Fredrik Reinfeldt jusqu'à la semaine dernière. L'approche de l'échéance électorale de dimanche, et une histoire d'entrée par infraction d'un militant de droite dans le serveur Internet du Parti social-démocrate ont semblé redonner un coup de fouet aux forces de gauche au point de ramener les deux blocs côte à côte dans les sondages. La fin de course promet d'être animée. Les sociodémocrates sont au pouvoir depuis 12 ans, et la Suède n'a pratiquement connu que des gouvernements de gauche depuis 75 ans.
L'annonce d'une victoire de la droite aurait un retentissement considérable, dans le pays comme à l'étranger. Véritable bête noire des partisans du tout au marché, l'exemple de la Suède leur est à chaque fois remis sous le nez lorsqu'ils prétendent que les États interventionnistes, leurs grands programmes sociaux et la concertation État-patronat-syndicats n'ont plus leur place en cette ère de mondialisation. Comme d'autres pays d'Europe du Nord, disent leurs admirateurs, la Suède est la preuve vivante que l'investissement public en éducation, en recherche ou encore dans des garderies n'est pas un handicap, mais un précieux atout dans la concurrence économique folle que se livrent aujourd'hui les pays.
Il n'est pas difficile de comprendre la fascination et l'attrait que suscite un pays développé qui, en dépit du contexte économique et idéologique ambiant, continue de défendre l'idée que l'on doit accompagner les citoyens du berceau au tombeau et qu'il est normal, par exemple, que le tiers de la main-d'oeuvre travaille dans le secteur public ou que les impôts totalisent 51 % du produit intérieur brut alors que la moyenne des pays de l'OCDE est de 35 %. Cette fascination est d'autant plus compréhensible que la Suède se tire remarquablement bien d'affaire, du point de vue économique. Bien peu de pays, en effet, peuvent se vanter d'être aussi concurrentiels sur les marchés étrangers, d'afficher un impressionnant taux de croissance annuelle moyen de 4 % depuis trois ans et de ne compter que 6 % de chômeurs. Loin d'être plombé par le fardeau des dépenses publiques, l'État suédois est l'un des rares à avoir transformé, au cours des dix dernières années, ses déficits budgétaires en surplus (équivalant à un peu moins de 2 % du PIB) et à avoir réduit sa dette du tiers.
Pas ce que l'on pense
Ce succès est toutefois loin d'être celui d'un État-providence comme il s'en faisait il y a 20 ou 30 ans, comme semblent parfois le croire ceux qui vantent le modèle suédois à l'étranger. Soumis à une dure crise financière pendant les années 80 et 90, ce fameux modèle a en effet dû se réinventer. Privilégiant la fin plutôt que les moyens, les Suédois ont notamment procédé à une décentralisation des secteurs de l'éducation, de la santé et de la culture, ainsi qu'à une déréglementation qui a touché les postes et le téléphone. Une petite place a également été faite au secteur privé dans certains domaines autrefois réservés à l'État, comme les soins aux personnes âgées ou handicapées.
Surnommé «flex-sécurité», le filet social de la plupart des pays nordiques vise désormais à assurer aux entreprises privées le maximum de souplesse en matière d'embauche et de mise à pied des travailleurs afin qu'elles puissent réagir rapidement à l'évolution des marchés. En échange, ceux qui perdent leur emploi ont droit à de généreuses prestations d'assurance chômage, ainsi qu'à de bons mécanismes de reclassement et de requalification auxquels les prestataires s'engagent à se soumettre.
Si les succès de la Suède sont si grands, pourquoi diable, alors, sa population voudrait-elle changer de gouvernement? Le mystère apparaît d'autant plus grand que les principaux enjeux des élections ont été l'économie et l'emploi et que, à ce chapitre, le bilan du gouvernement social-démocrate apparaît inattaquable.
C'est que les principaux chiffres officiels ne disent pas tout. Les services publics sont loin d'être devenus aussi efficaces qu'on le dit, et le système de flex-sécurité est loin de fonctionner aussi bien qu'on le pense. Selon une étude de la firme McKinsey, le laxisme des programmes de requalification, de préretraite et de congés maladie prolongés réduirait de façon artificielle le nombre de travailleurs valides sans emploi. C'en serait au point où le véritable taux de chômage de la Suède ne serait pas de 6 %, mais de 15 % à 17 %! Les jeunes et les immigrants continuent, de leur côté, à avoir beaucoup de mal à entrer sur le marché du travail. Le taux de chômage chez les jeunes est ainsi l'un des plus élevés d'Europe.
Unis pour une rare fois derrière le même programme, les quatre principaux partis de centre droit de Suède promettent de corriger la situation. Ils proposent, entre autres mesures, la réduction des prestations d'assurance chômage de 80 % du salaire perdu à 65 %, des baisses d'impôt pour les contribuables les moins riches, une réduction des charges sociales des entreprises qui engagent des chômeurs de longue durée, une poursuite de la déréglementation et la vente de la participation de l'État dans plusieurs grandes entreprises comme la banque Nordea, la compagnie aérienne SAS et l'opérateur téléphonique Telia Sonera.
Ayant apparemment pris acte de l'attachement de la grande majorité des Suédois pour leur État-providence, l'alliance de droite se garde bien de revenir, cette fois, avec l'idée de tout chambouler. C'est tout juste si l'on ose parler d'apporter des changements pour rendre le système plus efficace. On s'est même engagé à ne pas réduire la taille de l'État. «Il s'agit d'un bon État-providence nordique qui a bien servi la population, mais qui a besoin d'être restauré», a déclaré le week-end dernier, Fredrik Reinfeldt, le champion de cette drôle de droite qui ne rêve, finalement, que d'un bien petit virage.
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