Un père accuse Charkaoui «de semer la haine»

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Un père accuse Charkaoui de «semer la haine»

Le père d'un des dix jeunes Québécois arrêtés in extremis, il y a 12 jours, à l'aéroport parce qu'on craignait qu'ils partent grossir les rangs de groupes djihadistes accuse Adil Charkaoui et son centre islamique d'avoir «semé la haine» dans le coeur de sa fille.
«Tout ça, c'est depuis qu'elle a commencé à fréquenter la mosquée Assahaba. Je pense que le responsable, c'est M. Charkaoui», a-t-il confié hier à La Presse, la voix étreinte par l'émotion.
Adil Charkaoui a rejeté vigoureusement cette accusation. «Je ne connais pas cette fille. [Au centre Assahaba], il y a une séparation entre les hommes et les femmes.»
Le 15 mai dernier, la fille de Jad Zibara, une élève en sciences humaines du collège de Maisonneuve de 19 ans, a été interceptée à l'aéroport de Montréal par l'Équipe intégrée de la sécurité nationale, une escouade antiterroriste coordonnée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le corps policier dit avoir agi pour «perturber les intentions d'une dizaine de Montréalais qui sont soupçonnés d'avoir eu l'intention de quitter le pays pour rallier les rangs de groupes djihadistes».
Les jeunes ont été libérés sans accusations, mais hier les policiers ont mené des perquisitions chez certains d'entre eux, dont la fille de M. Zibara. Ils ont saisi du matériel informatique.
Jad Zibara n'était pas présent lors de la perquisition. L'entrepreneur d'origine libanaise a connu une séparation houleuse avec son ex-conjointe et a quitté le domicile familial de Saint-Léonard il y a quelques années, mais il a continué de voir régulièrement sa fille, a confirmé une amie intime de cette dernière. «Ils avaient une assez bonne relation», assure la jeune fille.
Mariage et bague de noces
Pour Jad Zibara, l'arrestation de sa fille au moment où elle s'apprêtait à quitter le Canada a été un choc immense. «Elle m'avait dit qu'elle partait en Italie, elle voulait se marier avec un jeune garçon. Elle avait la bague de noces. L'année précédente, elle était allée à New York. C'était touristique! Je n'avais pas à m'inquiéter», se désole-t-il.
Il dit l'avoir confrontée après l'incident pour savoir quelles étaient ses véritables intentions. «Elle m'a dit: "Je partais faire mon mariage avec la personne que j'aime." »
Jad Zibara ne l'a pas crue. Il croit que l'amour ne suffit pas à expliquer pourquoi la jeune femme voulait partir.
«Ma fille est intelligente, bonne à l'école. Tous les profs disent que c'est un ange. Tout le monde voudrait une fille comme elle, agréable, respectueuse envers ses profs et ses amis. Elle ne fume pas, ne traîne pas dans les bars. C'est une fille tranquille, raisonnable», dit-il.
«Mais depuis deux ans, elle a commencé à fréquenter cette mosquée. Et elle a adopté des idées radicales», dit-il. M. Zibara et sa famille sont de confession chiite, un courant minoritaire au sein de l'islam. Un jour, sa fille a rejeté complètement la voie de ses parents.
«Elle est venue me dire que les chiites sont des mécréants. J'ai compris qu'ils avaient commencé à lui dire qu'elle était dans la mauvaise voie. Qu'elle n'était pas avec les bons musulmans, que EUX sont les bons musulmans. Ils ont commencé à l'endoctriner doucement. Elle était au collège de Maisonneuve, où il y a des jeunes adeptes d'idées extrémistes qui viennent de l'Arabie saoudite, de Daesh [l'acronyme arabe du groupe armé État islamique] ou d'al-Nosra [la filiale syrienne d'Al-Qaïda]», raconte-t-il.
«Ils ont gagné la bataille»
«Avec le temps, j'ai remarqué sur sa page Facebook des récitations d'imams connus pour leur extrémisme, leur radicalisme», poursuit M. Zibara. Le père a alors voulu mener une bataille des idées pour reconquérir sa fille.
«J'ai commencé à avoir avec elle des discussions culturelles, religieuses, de pensée profonde, sur les communautés musulmanes, les communautés non musulmanes, l'humanité. J'appartiens à une école très pacifiste, qui croit qu'il y a une seule humanité créée par un Dieu unique. Mais apparemment, ils ont gagné la bataille contre moi. Ils ont su m'arracher ma fille», dit-il.
Même après avoir été épinglée par la police à l'aéroport, la Montréalaise est demeurée active sur Facebook. «Ceux qui offensent Allah et Son messager, Allah les maudit ici-bas, comme dans l'au-delà et leur prépare un châtiment avilissant», a-t-elle écrit quelques jours à peine après l'intervention policière.
Sur le réseau social, elle «aime» la page Facebook du Centre islamique Assahaba présidé par Adil Charkaoui.
Plusieurs jeunes disparus en janvier et soupçonnés d'être partis rejoindre des djihadistes fréquentaient ce centre, tout comme l'un des deux élèves du collège de Maisonneuve arrêtés en possession de substances potentiellement explosives et accusés d'avoir facilité les activités d'un groupe terroriste en avril. Selon des sources policières, deux ou trois des dix jeunes interceptés il y a deux semaines à l'aéroport sont «directement liés» à Adil Charkaoui.
Rappelons que le père d'un des sept jeunes partis vers la Syrie en janvier, Bilel Zouaidia, avait retiré son fils des cours de M. Charkaoui car il savait que ce dernier est impliqué dans un litige judiciaire avec les services de renseignement canadiens, qui l'avaient fait emprisonner pour des liens jamais prouvés avec Al-Qaïda.
Jad Zibara croit maintenant que sa fille a été manipulée. «C'est une adolescente qui essaie de connaître le bien. Ils lui disent qu'eux, ils sont le bien et que le reste de l'humanité est mauvais. Ma fille est une victime d'Adil Charkaoui. Il met la haine dans le coeur des jeunes. On vit bien ici! C'est une belle ville, la belle Montréal, une ville cosmopolite où il y a toutes sortes de religions et de communautés. C'est une belle province! C'est un beau pays accueillant pour tous les peuples», s'emporte le père, d'un ton où perce une grande douleur.
Une source d'influence documentée
Le professeur Jocelyn Bélanger, un des dirigeants du Centre de prévention de la radicalisation créé par la Ville de Montréal et le SPVM, constate lui aussi que plusieurs des jeunes tombés dans la ligne de mire des policiers sont reliés au Centre Assahaba, aussi appelé Centre islamique de l'Est de Montréal.
«Ces jeunes font partie de cellules. Ils sont radicalisés par la force des réseaux sociaux et par une même source d'influence, et peut-être plus qu'une. Une des sources d'influence qui a été documentée, c'est le Centre islamique de l'Est de Montréal. Est-ce que c'est LA source? On ne sait pas. Mais est-ce qu'il y a lieu de s'inquiéter? Probablement.»
«Tous ces jeunes se connaissent et ont un but commun, dit-il. Ils sont souvent radicalisés par un agent provocateur parce que c'est très difficile pour un individu seul de se rendre là-bas. Ces agents sont des gens charismatiques, habiles socialement et habiles avec les mots.»
La GRC était avare de commentaires hier, mais deux sources policières qui ne se connaissent pas ont confirmé à La Presse que les enquêteurs tentent de comprendre pourquoi tant de jeunes soupçonnés de sympathies djihadistes ont fréquenté le même centre.
Une campagne de salissage, dit Charkaoui
Joint hier, Adil Charkaoui a affirmé être victime d'une campagne de salissage. Selon lui, c'est parce que son nom est constamment et faussement associé à de jeunes radicaux dans les médias que des parents l'accusent aujourd'hui d'avoir joué un rôle dans la transformation de leurs enfants.
Il croit notamment que son militantisme au sein du Collectif québécois contre l'islamophobie pendant le débat sur la Charte des valeurs québécoises lui a attiré des ennemis. «On a fait tellement de bruit qu'il y a des gens qui me détestent», dit-il.
Il accuse «des personnes» de «couler au compte-gouttes» le nom des jeunes impliqués dans des affaires de terrorisme aux médias et de l'y associer chaque fois pour «nuire à sa réputation».
M. Charkaoui ne nie pas que certains de ces jeunes puissent avoir fréquenté le centre dont il préside le conseil d'administration. Mais, dit-il, «les gens entrent et sortent comme ils le veulent. Je ne connais pas les noms. Plus de 1000 personnes fréquentent le centre.»
Se pourrait-il, alors, qu'une personne malveillante se serve de l'endroit comme bassin de recrutement? «Non, assure l'homme. Personne dans ce centre ne peut tenir un discours malveillant. On les fout à la porte.»
«Ici, on a été confrontés à plusieurs défis avec les jeunes. La drogue, le décrochage, les gangs de rue, mais jamais la radicalisation», assure-t-il.
Adil Charkaoui en quelques dates
2003
Au terme d'une enquête du Service canadien de renseignement de sécurité sur des soupçons de terrorisme, Adil Charkaoui est enfermé. Il sera finalement libéré sous de strictes conditions, notamment le port d'un bracelet GPS.
2009
Un tribunal ordonne au gouvernement de rendre publique une partie de la preuve contre M. Charkaoui. Les autorités, évoquant des raisons de sécurité nationale, préfèrent retirer certains éléments plutôt que les voir rendus publics, mais elles ne les désavouent pas. M. Charkaoui est libéré après le retrait de la preuve.
2010
Adil Charkaoui dépose une poursuite contre le gouvernement. Il réclame 24 millions en dommages pour le traitement qu'il a subi. Le procès n'a toujours pas eu lieu.
2011
La Presse obtient copie d'un document classé «secret» par les autorités canadiennes qui relate l'interception d'une conversation entre Adil Charkaoui et un autre Montréalais au sujet d'un plan pour faire sauter un avion. M. Charkaoui nie vigoureusement l'affaire et le gouvernement refuse de confirmer la véracité du document.
2014
M. Charkaoui obtient sa citoyenneté canadienne, preuve, souligne-t-il, que les autorités n'ont finalement rien à lui reprocher.
Février 2015
La Presse révèle qu'un jeune disparu soupçonné d'avoir quitté le pays pour grossir les rangs des forces djihadistes avait été retiré des cours d'Adil Charkaoui par son père inquiet. D'autres jeunes disparus seront ensuite reliés à son centre. M. Charkaoui tient une conférence de presse où il dénonce ce qu'il décrit comme une «diabolisation» de la communauté musulmane.
Avril 2015
Deux autres élèves du collège de Maisonneuve, dont l'un qui fréquentait le centre d'Adil Charkaoui, sont arrêtés. Ils sont accusés d'avoir fabriqué des substances explosives et d'avoir agi au profit d'une organisation terroriste. De son côté, le collège de Rosemont met fin à son contrat de location de locaux avec le centre d'Adil Charkaoui, parce qu'il dit avoir trouvé sur son site web des liens menant à du matériel radical et violent.


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