Négociations Canada-Europe

Un moratoire pour protéger la diversité culturelle

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Accord de libre-échange Canada - Union européenne

Une recherche conclut que le Canada et le Québec doivent se doter d’une stratégie plus efficace dans leurs négociations de libre-échange
Le Canada et le Québec devraient s’imposer un moratoire dans toutes leurs négociations commerciales en cours, notamment avec l’Europe, le temps de se doter d’une stratégie plus efficace en matière de protection de la diversité culturelle, estime l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC).
« À force de négocier sans avoir de stratégie claire et efficace, les négociateurs québécois et canadiens risquent de créer de dangereux précédents », observe un rapport de recherche de 44 pages que l’IREC doit dévoiler ce mercredi. « En poursuivant sa stratégie, le Canada joue le jeu des États-Unis sans même négocier avec les Américains. […] Dans les conditions actuelles, conclure tout accord commercial serait irresponsable du point de vue de la protection du patrimoine culturel. »
Le rapport brosse le portrait des efforts déployés depuis des années par le Canada et par d’autres pays pour protéger leur liberté d’action en matière de protection et de promotion de leur culture définie de façon large. Il constate que les accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux ont eu pour effet de contraindre cette liberté même lorsqu’on y avait prévu des mécanismes de protection, comme celui que le Canada pensait avoir obtenu dans son accord de libre-échange avec les États-Unis.
Répéter la même erreur
Le même scénario semble en voie de se répéter dans le cadre des négociations de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), actuellement en cours et auxquelles participe directement le Québec, craint l’auteur du rapport, Alexandre L. Maltais. Tout indique, en effet, que les deux camps adopteront la même approche que celle appliquée dans l’ALENA. Or, si le géant américain des exportations culturelles consent à cette méthode reposant sur l’établissement d’exceptions aux règles générales listées dans des annexes, dit le chercheur, c’est parce que l’expérience a montré que « la protection offerte par les annexes est peu efficace et limitée dans le temps ».
L’ironie, dit l’IREC, est que le Canada (poussé par le Québec) et l’Europe (poussée par la France) partagent officiellement le même attachement à cette question, comme en fait foi leur adhésion à la Convention sur la diversité culturelle de l’UNESCO, et affirment le même désir d’exclure la culture de leur éventuel traité commercial commun. Ce qui ne veut pas dire qu’on s’entend encore sur tout. L’Europe voudrait, par exemple, qu’on élimine toute subvention dans le secteur de l’édition.
Le plus grand danger, dit Alexandre L. Maltais, serait que, par manque d’imagination ou par maladresse on se fie à des mécanismes de protection qui ont déjà montré leurs sérieuses limites et que l’on perde ainsi une occasion exceptionnelle d’infléchir le cours des choses dans une meilleure direction. « L’AECG établira un précédent important, a-t-il déclaré en entretien téléphonique au Devoir. On ne doit pas répéter les mêmes erreurs. Ces accords sont pratiquement impossibles à rouvrir une fois conclus. »
Moratoire
Le chercheur estime en conséquence que le Canada devrait s’imposer un moratoire sur toute négociation commerciale jusqu’à ce qu’une meilleure stratégie soit trouvée en matière de protection du patrimoine culturel. Si Ottawa ne veut pas entendre raison, le Québec doit refuser de mettre en oeuvre tout nouvel accord que le Canada signerait et se doter de sa propre stratégie de protection culturelle. Cette stratégie pourrait reposer sur la combinaison de deux mécanismes défense : l’inclusion de considérations culturelles dans le préambule de tout nouvel accord commercial, ainsi que l’insertion d’une exception culturelle générale, non pas en annexe, mais dans le corps principal des traités.
Think tank de gauche fondé par Jacques Parizeau en 1999, l’IREC a déjà publié d’autres rapports critiques sur l’AECG, dont certains basés sur des textes de négociations ayant fait l’objet de fuites.
Le négociateur en chef du Québec dans le cadre de l’AECG, Pierre Marc Johnson, a expliqué, lors d’une séance d’information il y a une dizaine de jours, que le débat sur la question culturelle était « toujours en cours » à la table de négociations. Il a réaffirmé la volonté des deux partis d’arriver à une entente qui « donnerait corps » au principe de l’exception culturelle telle qu’elle est exprimée dans la convention de l’UNESCO, notamment en ce qui a trait à « la légitimité de la protection et de la subvention » de la culture.
Il a expliqué qu’on visait aussi un objectif à plus long terme : établir un précédent fort en prévision des négociations qu’entamera l’Europe avec un grand et puissant opposant au principe d’exception culturelle, les États-Unis.
Entreprises en 2009, les négociations se poursuivent à Bruxelles, cette semaine, et sont censées se conclure avant la fin de l’année. Présenté comme un projet de traité commercial de « nouvelle génération », l’AECG porte sur un vaste ensemble d’enjeux allant, par exemple, des services aux normes techniques et sanitaires, en passant par les marchés publics, la protection des investisseurs et la propriété intellectuelle.
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Des recommandations envoyées à Jean-François Lisée
Un groupe de syndicats et de mouvements sociaux a répondu mardi au récent appel au dialogue et à la transparence du nouveau ministre québécois des Relations internationales et du Commerce extérieur, Jean-François Lisée, en lui faisant parvenir une liste « initiale » de plus d’une douzaine de recommandations concernant les négociations de libre-échange entre le Canada et l’Europe. Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) réclame notamment que les sociétés d’État soient exclues des offres d’ouverture des marchés publics, que l’on rejette l’idée d’un mécanisme de protection des investisseurs étrangers et que l’on s’assure du respect des normes québécoises en matière d’équité salariale y compris par les compagnies européennes. On a aussi remis en doute l’idée que l’ouverture des contrats publics à la concurrence étrangère pourrait réduire les risques de corruption.


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