Le Plan A de Pierre-Karl Péladeau

Un Journal sans équipe

Chronique d'André Savard

Quand la direction du Journal de Montréal a décidé de procéder à une fermeture antisyndicale, on disait que la lutte au sein de cette entreprise était très symptomatique d’une situation mondiale. Le journal de Montréal disait vouloir décloisonner la production journalistique et éditoriale du journal. Le Journal de Montréal devait se brancher et traiter les textes comme des produits potentiellement dérivés apte à meubler diverses plateformes: sites Internet, et balado diffusion en tous genres.
Les employés du Journal de Montréal étaient inquiets. Pour eux, cet ajustement aux dits « temps nouveaux » risquait fort de mener à un hybride, non plus un journal mais un organe multiforme dont la production est assumée par plusieurs sources. Sur cette lancée, allait-on vers un journal sans journaliste, une sorte de vase communicant incidemment sur support papier qui s’abandonne à la sous-traitance pour s’élaborer au jour le jour?
Après plus d’un an de production du Journal de Montréal sans journaliste, c’est le scénario catastrophe du syndicat du Journal de Montréal qui se vérifie. L’âpreté avec laquelle Péladeau veille à harceler les membres du syndicat trahit une intention de décimer les rangs des employés du Journal. Plus encore, cet acharnement à démontrer qu’un journal peut se vendre sans eux ne laisse plus de doute sur le message que Péladeau fils veut transmettre. Péladeau veut passer du journal à l’organe multiforme désyndicalisée.
En premier, plusieurs donnèrent au Journal de Montréal le bénéfice du doute. Après tout, la question de l’avancement technologique obligeait à une révision des pratiques. Partout, on disait que tout contenu original devait être vu désormais comme un simple noyau apte à se prêter à plusieurs usages. De plus, Péladeau est un homme d’affaires, un réaliste donc qui n’a pas le temps de tergiverser au clair de lune sur la destitution possible du journal en papier en cette ère électronique.
À voir l’empressement organisé avec lequel le Journal de Montréal a publié sans journaliste, il faut croire que Péladeau, d’emblée, avait dans ses cartons ce projet coiffé de la mention “Plan A”. Péladeau est content de ce qui arrive. Imaginez! Du travail de journaliste attitré, on passe à celui du contenu original ou pas issu de plusieurs sources. Le Journal devient un tirage papier du fourmillement journalier des informations: agences de presse, blogues, trouvez ce qu’il y a dans les tiroirs et faite le classement! Quant aux petites annonces et aux démarcheurs auprès des commanditaires, un sous-traitant peut faire l’affaire.
Peut-on dire que la conduite revancharde de Péladeau fils peut s’expliquer par des protections syndicales trop lourdes? Pierre Péladeau père faisait partie de cette génération qui tirait orgueil du fait que ses travailleurs gagnaient bien leur vie avec le travail qu’il leur offrait. Péladeau fils est de celle qui dit que l’entreprise n’est pas une nourrice à employés et que sa première obligation est de nourrir son expansion.
La fermeture antisyndicale de la dernière année vient défaire un long processus d’amélioration. C’est juste au moment où le Journal de Montréal commençait à se tailler une place comme outil de référence sérieux que Péladeau fils a décidé de fermer. Il voulait que son journal ne fasse pas trop de progrès.
Une vieille publicité disait que le Journal de Montréal n’était pas pour les intellos. Mission accomplie! Pour ce qui est de la diversité éditoriale, il ne reste plus que Martineau qui veut tellement être un esprit pétillant qu’il en oublie d’être intelligent et Facal qui voit peut-être dans la conduite de Péladeau fils un modèle de l’ère lucide
Au chapitre de la variété éditoriale, ce n’est pas un concurrent comme La presse qui pourra faire la leçon au Journal de Montréal. Par contre, les concurrents du Journal de Montréal ont des équipes sur le terrain. Les deux concurrents du Journal de Montréal, les trois, devrions-nous dire puisqu’il s’y est joint rue Frontenac.com, démontrent l’importance du travail journalistique d’enquête. On l’a vu particulièrement dans le contexte de corruption endémique actuel.
Les observateurs sur leurs blogues sont des gens sans moyens et qui ne sont pas libres de leurs horaires. Ils peuvent ajuster leurs lunettes, miser sur leur puissance d’observation, il reste qu’ils ne déterrent pas la nouvelle. Ils ne remplacent pas les journalistes, pas plus d’ailleurs que les agences de presse qui assurent les relais de l’information à la surface du globe.
Pour les observateurs de la scène politique québécoise, cette fermeture antisyndicale n’est pas une bonne nouvelle. Contrairement à que l’on peut penser, ce n’est pas une bonne nouvelle non plus pour les magnats de la presse. Il est illusoire de penser que l’on va continuer à acheter des journaux quand nous aurons tous perdu espoir dans le travail des journalistes. Pourquoi lire un journal quand le propriétaire du journal pense que l’on peut s’informer mieux en dehors du libre exercice de leur profession?
Derrière un journal, il y a une équipe. C’est le travail d’une équipe qu’on achète. Pierre-Karl Péladeau veut nous démontrer avec son Plan A qu’il est possible de faire autrement. Qu’il réussisse et la conclusion à tirer sera que l’existence de la presse n’a plus de pertinence.
André Savard


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