Un grand ménage pour «redorer le blason du BAPE»

L’opposition accuse Daniel Breton de vouloir «mettre les deux mains sur l’organisme»

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Rappel

Québec — Le gouvernement Marois veut redonner de la « crédibilité » au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui était devenu trop « politisé » sous le règne libéral. Pour « moderniser » l’organisme, le conseil des ministres a renouvelé sa direction en nommant président l’ex-sous-ministre Pierre Baril et, comme vice-président, le journaliste du Devoir Louis-Gilles Francœur.
Ces nominations sont survenues mercredi, au terme d’une journée mouvementée pour le ministre Daniel Breton, accusé par l’opposition libérale d’avoir congédié, ces dernières semaines, l’ancien président Pierre Renaud et le vice-président Pierre Fortin, pour des raisons partisanes.

« C’est un règlement de comptes ! », a scandé la députée libérale de Nelligan, Yolande James, pendant la période de questions. En point de presse, elle a ajouté qu’il était de notoriété publique que « dans sa vie antérieure, comme activiste », le ministre Breton avait eu « quelques prises de bec » avec les anciens dirigeants du BAPE. « Quand tu décides de congédier deux personnes comme ça, en début de mandat, sans explication… ça ne peut être d’autre chose que de le politiser [le BAPE]. »
Au cabinet du ministre Breton, on précise que Pierre Renaud et Pierre Fortin n’ont pas été congédiés, comme le laisse entendre l’opposition officielle, mais que leurs mandats, qui arrivaient à échéance cet automne, avaient été renouvelés prématurément, en mai dernier, par le gouvernement libéral. Dans le cas de Pierre Renaud, un décret a abrogé le précédent décret, qui le maintenait en poste pour cinq autres années. Du côté de M. Fortin, le conseil des ministres l’a réaffecté dans la fonction publique. Ce ne sont donc pas des « congédiements », précise le bureau de M. Breton. Mais le ministre ne se cache pas d’avoir voulu « moderniser » le BAPE, un organisme qu’il a souvent critiqué alors qu’il militait comme environnementaliste.
« Le BAPE est une institution démocratique importante, et comme pour tant d’autres institutions démocratiques que le gouvernement a laissé tomber, le gouvernement actuel va tenter de redorer le blason du BAPE, a répondu Daniel Breton, en chambre, quelques heures avant que les nominations ne soient officialisées. C’est pour moderniser le BAPE et redonner la crédibilité au BAPE qu’on va avoir des nominations de gens de qualité. »

Il a affirmé qu’il ne remettait pas en question la compétence des anciens dirigeants, dont les contrats n’ont pas été renouvelés, mais qu’il s’inquiétait plutôt de « la façon dont le BAPE a été utilisé par le gouvernement précédent ».

À Yolande James, qui l’accuse de vouloir « mettre les deux mains sur le BAPE », il répond que « c’est les autres qui avaient politisé le BAPE. Nous autres, on va faire en sorte que le BAPE redevienne indépendant. »
Jeudi, l'opposition officielle a réclamé la démission du ministre de l'Environnement Daniel Breton, qui a nié être intervenu auprès d'un organisme gouvernemental. Le chef intérimaire libéral Jean-Marc Fournier a cité un reportage faisant état d'interventions de M. Breton auprès du Bureau d'audiences publiques en environnement (BAPE). Selon M. Fournier, M. Breton a commis un geste qui compromet l'indépendance de l'organisme et ne peut plus occuper ses fonctions.
En Chambre, M. Breton a nié qu'il appellerait désormais le président du BAPE s'il est insatisfait des décision de l'organisme. Le ministre a aussi affirmé qu'il n'avait jamais réclamé les numéros de téléphone des commissaires du BAPE.

Les nominations de Pierre Baril, 52 ans, et de Louis-Gilles Francœur, 68 ans, sont survenues en fin de journée. Le ministre n’a pas commenté, mais à son cabinet, on se réjouit de ces nominations.

« Louis-Gilles Francœur est bien connu, dans tous les milieux, comme quelqu’un qui s’occupe d’environnement depuis fort longtemps », a soutenu l’attachée de presse du ministre Breton, Danielle Rioux. Quant à M. Baril, qui a œuvré de 2002 à 2010 comme sous-ministre au ministère de l’Environnement, puis comme directeur général du centre Ouranos sur les changements climatiques, il est « bardé de diplômes en environnement et est au fait de tous les dossiers ».

Du côté libéral, Yolande James a soutenu, en soirée, que les questions soulevées dans la journée étaient toujours « pertinentes ». « Sans remettre en question la valeur et la compétence des personnes qui ont été nommées — on verra à l’usage —, le ministre n’a toujours pas répondu aux questions. »

Les principaux intéressés n’ont pas voulu commenter ces joutes politiques, se gardant un devoir de réserve qui sied à leurs nouvelles fonctions.

Les deux hommes ont été approchés il y a quelques semaines par le gouvernement Marois pour sonder leur intérêt. Leurs noms ont été soumis au conseil des ministres, qui a procédé aux nominations officielles mercredi. « Je suis honoré de contribuer au développement durable du Québec au sein de cette institution vénérable », a commenté le nouveau président Pierre Baril, qui n’a pas encore décidé de l’orientation précise qu’il souhaite donner à l’organisme.

Quant au journaliste du Devoir, Louis-Gilles Francœur, c’est la deuxième fois qu’il est sollicité pour se joindre à l’équipe du BAPE. Dans les années 1990, le ministre libéral, Pierre Paradis, lui avait offert la présidence du BAPE. Il avait, à l’époque, décliné l’offre. Mais aujourd’hui, il dit avoir eu envie d’un « nouveau défi » après plus de trente ans à couvrir l’actualité en environnement. « En passant de l’autre côté, c’est une manière de traduire, dans les faits, la vision que j’ai accumulée au cours des ans avec cet organisme, qui pour moi, a toujours été un joyau de la démocratie directe au Québec. »

Il compte bien respecter « les exigences de neutralité et d’indépendance » du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. En soirée, la Fondation Suzuki a salué ces nominations.
Oléoduc
Le ministre Breton a par ailleurs laissé planer le doute, mercredi matin, sur le projet d’oléoduc d’Enbridge, qui compte faire voyager le pétrole de l’Ouest canadien jusqu’à Montréal. « Ce que je vois, que les Albertains veulent faire avec […] leur pétrole, de l’amener sur notre territoire sans notre consentement, il va falloir qu’on regarde cela. Est-ce qu’on est maître chez nous ou pas maître chez nous sur notre territoire ? C’est ce qu’on va voir. »

Il a soutenu qu’il y aurait une consultation québécoise pour ce projet de renversement de pipeline entre Sarnia et Montréal, mais il a ajouté que ce ne serait pas le BAPE qui serait chargé de cette consultation, avant de nuancer, affirmant qu’il réfléchissait à tout cela et qu’il reviendrait avec des réponses plus précises sous peu.

De son côté, la ministre responsable des Ressources naturelles, Martine Ouellet, trouve qu’il peut y avoir « un certain intérêt au niveau des coûts, de la diversité et des approvisionnements », mais veut également prendre en compte l’aspect environnemental.
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Merci et bonne chance
Louis-Gilles Francœur serait resté quelques mois de plus au Devoir qu’il y aurait atteint les 40 ans de carrière. Nos lecteurs connaissent le journaliste passionné, mais Louis-Gilles est aussi un passionné du Devoir lui-même, qui s’est impliqué dans toutes les instances du quotidien. C’est dire le morceau d’histoire qui nous quitte et le modèle d’engagement professionnel que nous perdons.

Mais faut-il vraiment se surprendre que le père du journalisme environnemental au Canada accepte de relever un nouveau défi, celui de l’action, dans un secteur qui lui tient tant à cœur ? Aux remerciements pour services rendus, il faut donc ajouter nos souhaits de succès dans ses nouvelles fonctions. Mais avec une promesse : nous l’aurons à l’œil ! Louis-Gilles Francœur, ex-journaliste enquêteur, appréciera.
Josée Boileau, Rédactrice en chef
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Ce texte a été modifié après publication


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