Un coup de canne

« Notre avenir, un dialogue public »


Lucien Bouchard n'a fait que répéter une réalité irréfutable: les statistiques montrent que les Québécois consacrent moins d'heures par semaine au travail que les Canadiens des autres provinces et que les Américains. Le coup de canne au derrière est mérité.
Si M. Bouchard avait inclus dans sa comparaison les pays d'Asie avec lesquels les entreprises québécoises sont maintenant en concurrence directe, la démonstration aurait été encore plus dévastatrice. L'écart est de 30 %.
L'ancien premier ministre a déclenché un tollé venant des organisations syndicales, des groupes communautaires, mais aussi de travailleurs qui sont forcés de faire des semaines de 60 ou de 70 heures, ou d'avoir deux ou trois emplois à temps partiel pour attacher les deux bouts. Ces derniers ne comprennent pas la sortie de M. Bouchard et se sont même sentis blessés, comme s'ils avaient été traités de paresseux. M. Bouchard s'est appuyé sur des statistiques, sur des moyennes. Il est aussi très clair qu'un pourcentage élevé de travailleurs courageux ne peut en faire plus.
Diverses raisons expliquent le plus faible nombre d'heures travaillées au Québec. D'abord, le taux de syndicalisation y est plus élevé qu'ailleurs. Les syndicats ont cherché avec succès à faire diminuer la durée des semaines de travail (les plus chanceux ont un horaire de quatre jours) à multiplier les congés et à prolonger les vacances payées, pour améliorer la qualité de vie de leurs cotisants. Le Québec compte par ailleurs le plus important secteur public au prorata de sa population. Or la durée de la semaine de travail y est plus courte que dans les administrations publiques voisines et que dans le secteur privé évidemment. Une cassure s'est creusée entre les conditions de travail globales dans le public et le privé. Ce facteur influence les statistiques. La prolifération des emplois à temps partiel exerce aussi un effet à la baisse sur les moyennes.
Les propos de Lucien Bouchard doivent être situés dans un cadre plus large. Les Québécois sont déjà les citoyens les plus taxés en Amérique du Nord. Ils supportent aussi la plus lourde dette per capita. Et ils ont le plus gros catalogue de mesures sociales chromées en Amérique. Lucien Bouchard a incidemment donné le ton lorsqu'il était premier ministre en établissant certes la pratique des déficits zéro dans les budgets annuels mais il a ajouté aux coûts sociaux, entre autres avec les garderies universelles à 5 $ pour lesquelles la facture atteint maintenant 1,5 milliard de dollars par année. Il a aussi maintenu le gel des frais de scolarité. Un mea culpa serait de mise.
M. Bouchard a en somme soumis cette semaine que les travailleurs devraient fournir un effort additionnel pour qu'il soit possible à la fois de conserver la même protection de l'État et de réduire le poids de la dette publique léguée à nos enfants. C'est aussi banal que de dire qu'il faut remettre du carburant dans le réservoir de la voiture pour qu'elle continue de rouler. Il n'y a pas matière à se scandaliser, encore moins de la part des groupes de citoyens qui profitent le plus de la générosité des programmes sociaux québécois. Ceux-ci n'ont toujours qu'une seule recette en tête: «faisons payer les riches», en invoquant un partage plus poussé de la richesse, sans se soucier de quelque façon évidemment de la compétitivité de la fiscalité québécoise, de l'exode des entreprises et des cerveaux pour fuir l'environnement hostile du Québec et des difficultés pour en attirer de nouvelles.
Lucien Bouchard, à la tête d'un groupe de réflexion baptisé «les lucides», a lancé il y a un an un large débat sur l'avenir du Québec, indépendamment pour une fois du choix constitutionnel que les Québécois pourraient faire. N'est-ce pas un rôle précieux que peuvent jouer dans une société des anciens chefs de gouvernement après leur passage aux affaires, forts de leur expérience et d'une certaine sagesse?
Il faut participer sereinement à l'exercice que Lucien Bouchard cherche à développer et surtout ne pas l'insulter et lui faire des procès d'intention, comme on en entend depuis deux jours, pour chercher à le faire taire. Cette dictature d'une certaine go-gauche institutionnelle est devenue exaspérante.


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