HISTOIRE

Un complot maçonnique au Congrès eucharistique de Montréal en 1910?

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L'époque où les catholiques poursuivaient les francs-maçons


À l’été 1910, une affaire de complot ourdi par des francs-maçons fait les manchettes des journaux montréalais. La conspiration ne viserait ni plus ni moins qu’à nuire à l’Église catholique. Suite aujourd’hui et fin la semaine prochaine.



Dans le premier épisode de cette série, un projet de complot contre l’Église catholique a été révélé au grand jour. Il aurait été échafaudé par des membres de la loge L’Émancipation, dans le but de gâcher le Congrès eucharistique de septembre 1910. Le projet, censé ruiner la crédibilité des prêtres, a été dénoncé par les espions de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC) à la Cité de Montréal, qui a immédiatement mis sur pied une commission d’enquête pour élucider cette histoire.


Le 28 juillet, la comparution des témoins commence. Selon La Presse, « une grande foule de spectateurs » est présente dans l’antichambre du conseil municipal pour en apprendre davantage sur cette fameuse histoire de complot. Le maire, James Guérin, et les six échevins qui agissent à titre de commissaires sont en place. Ne reste plus qu’à assermenter le sténographe, et tous seront prêts à entendre les deux camps, assistés de leurs avocats respectifs, livrer leurs versions des faits. L’atmosphère est fébrile, dans l’attente de ce que Le Devoir qualifie de « piquantes révélations ».


D’entrée de jeu, les avocats des maçons mettent en doute la crédibilité de l’enquête et des accusations portées contre leurs clients. Selon eux, la Commission n’est qu’un prétexte pour nuire à la franc-maçonnerie et s’immiscer dans ses affaires. Les commissaires rétorquent que des employés municipaux seraient impliqués et qu’il est dans leur droit de s’enquérir de leurs agissements. Ces remarques préliminaires étant faites, on procède ensuite aux choses sérieuses : les interrogatoires.


Deux versions différentes


La Commission entend des témoins sur deux jours, le 28 juillet et le 1er août. Les témoignages des deux groupes concordent sur un fait : lors de la séance de L’Émancipation du 11 février, il y a bel et bien eu une discussion autour d’un complot contre le clergé et le Congrès eucharistique. Par contre, il y a discordance sur deux aspects de l’affaire.


Le premier aspect concerne l’origine de cette discussion. Les espions de l’ACJC soutiennent que l’idée du complot émane des francs-maçons eux-mêmes : « Il est à ma connaissance qu’on a dit que le complot avait été imaginé par les frères Larose et Grandchamp », affirme l’une des taupes.



Or, selon deux maçons présents à la séance du 11 février, la loge aurait plutôt reçu une lettre anonyme proposant de faire une descente dans les maisons de prostitution durant le Congrès, car « vous trouveriez là un tas de curés ». Durant cette séance, le secrétaire, Ludger Larose, aurait donc lu cette missive aux autres frères, d’où la discussion entendue par les dénonciateurs.


Le deuxième point de divergence concerne les suites données au projet. Selon les espions, à la fin de la séance, un comité aurait été mis sur pied pour étudier le complot, montrant l’intérêt des maçons. Ces derniers prétendent au contraire qu’aucun comité n’a été mis sur pied; le projet aurait d’emblée été rejeté et serait tombé dans l’oubli.


Ainsi, à la fin de la seconde journée d’interrogatoires, deux versions différentes s’opposent, et rien ne permet de trancher pour l’une ou l’autre. Le mystère reste complet.


L’affaire vue par la presse


Dans l’intervalle, les journaux s’emparent de l’histoire, qui occupe l’attention médiatique durant une partie de l’été 1910. Ceux-ci traitent cette affaire en fonction de leurs allégeances politiques et idéologiques.



Le Pays, fondé par Godfroy Langlois, un membre de la loge, qualifie l’accusation de complot de « fantaisiste » et considère que l’enquête municipale est « ridicule ». Au Devoir, le journaliste Omer Héroux lui est favorable et soutient qu’il est nécessaire d’aller « au fond des choses ». Idem pour le journal ultramontain La Croix, qui exige le licenciement des employés municipaux mis en cause. La Presse et La Patrie sont plus neutres et se contentent de rapporter les faits.


De jour en jour, ces différents journaux suivent le déroulement de l’enquête et cherchent des faits saillants à rapporter. Ils auront bientôt de quoi se mettre sous la dent…


Interruption de l’enquête


Avant de clore la séance du 1er août, le maire James Guérin affirme que les interrogatoires sont terminés et qu’un rapport sera déposé le 10 août. Mais pour une raison obscure, les commissaires font volte-face, rouvrent l’enquête et convoquent à nouveau des témoins le 5 août. Ont-ils de nouvelles données leur permettant d’espérer trouver de nouveaux indices ? Ou veulent-ilstout simplement, comme l’affirment les avocats de la défense, s’immiscer davantage dans les affaires de la franc-maçonnerie ?


On ne le saura jamais, car l’enquête est subitement interrompue le 4 août par un bref d’injonction prononcé par la Cour supérieure, à la demande d’un membre de L’Émancipation. Ce dernier se plaint que la Cité de Montréal n’avait pas le droit de mener cette enquête, qui n’est selon lui qu’un tribunal d’inquisition contre les maçons.


L’affaire se transporte donc du côté de la Cour supérieure, qui entendra le plaignant et le maire James Guérin. En attendant la décision d’un juge, il est interdit à la Commission de poursuivre ses travaux.


Le 21 septembre 1910, le juge Philippe Demers tranche. Il reconnaît le droit à la Commission d’enquêter sur les allégations concernant les employés municipaux, mais considère cependant qu’elle a outrepassé son mandat en investiguant au-delà de ses prérogatives. Les interrogatoires ayant déjà eu lieu, il permet toutefois aux commissaires de publier un rapport. La tentative de faire avorter la Commission est donc un échec pour les maçons.


Mais ceux-ci font un autre essai, avec le dépôt d’une nouvelle requête d’injonction venant de l’employé municipal Louis Laberge. Le 5 novembre 1910, le juge Napoléon Charbonneau répond favorablement à sa requête et interdit à la Commission de produire un rapport.


La Commission d’enquête de la Cité de Montréal, mise sur pied le 20 juillet, ne reprendra pas ses travaux et ne produira jamais de rapport dévoilant les conclusions de l’enquête. Ce faisant, on ne connaîtra point la vérité entourant cette histoire de complot contre le Congrès eucharistique.


À suivre…



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