«VIVE LE QUÉBEC LIBRE»

Un cinéaste qui a eu du pif

Jean-Claude Labrecque a suivi le cortège le long du Chemin du Roy de Québec à Montréal

De Gaulle - « Vive le Québec libre ! » - l'Appel du 18 juin 1940

(Archives Le Soleil)

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Martin Pelchat - Quelques semaines à peine avant la visite du général de Gaulle de juillet 1967, le cinéaste Jean-Claude Labrecque réalise qu’aucun tournage de cet événement ne semble se préparer. Une intuition lui dit qu’il ne devrait pas laisser passer l’occasion.


« Quand j’ai ce genre d’intuition, j’essaie de la suivre », se souvient celui qui met en boîte, cet été, d’autres images de son prochain documentaire, un film « d’amoureux » sur la Vieille capitale, Québec intra-muros.
Aiguillé vers l’Office de l’information et de la publicité du gouvernement du Québec, il finit par y trouver l’appui financier nécessaire et réunit rapidement une équipe de cracks (les Michel Brault, Pierre Mignault, Bernard Gosselin, etc.). Sans y croire vraiment, il demande à la marine française de les accueillir à bord du croiseur Colbert afin d’y tourner les premières images du général au pays. Mais la chance est déjà de leur côté. « Trouvez-vous au milieu du fleuve à 4 heures du matin, juste au bout de la pointe de l’île d’Orléans, et on va arrêter le Colbert et vous monter à bord.»
Bernard Gosselin et Pierre Mignault seront au rendez-vous. « Dans le brouillard total, ils voient arriver cet espèce de géant de trois étages et entendent stopper les moteurs », raconte Jean-Claude Labrecque. On les monte à bord avec leur matériel sur une échelle de corde. C’est le début d’une aventure marquante dans la vie de ce cinéaste qui allait entre autres nous donner plus tard un documentaire retraçant l’histoire du RIN (2002) et le bien connu À hauteur d’homme, sur la campagne électorale de 2003 de Bernard Landry.
Le Québec de l’avenir
Jean-Claude Labrecque a suivi le cortège qui a mené le général de Québec à Montréal sur le chemin du Roy. Il était clair selon lui, sur la foi des discours prononcés d’un village à l’autre par le président, qu’il entendait donner une portée historique à cette visite. Et qu’il cherchait le Québec de l’avenir et pas celui du passé, que l’entourage de Daniel Johnson s’obstinait à lui montrer à travers les fermes ancestrales aux façades repeintes pour l’occasion. « De Gaulle, ça ne l’intéressait pas. Lui, les vieilles affaires, il avait déjà vu ça. Il cherchait les autoroutes, les grands axes. Il a beaucoup aimé le campus de l’Université Laval. Ça, ça l’a impressionné. »
À mesure que la journée avançait, le général craignait de n’être pas à l’heure prévue dans la métropole, où l’attendaient notamment 450 reporters de plusieurs pays. « On percevait qu’il était très inquiet de la tombée. Il voulait rentrer à Montréal assez rapidement. » Jean-Claude Labrecque assiste finalement au discours avec la foule... et comprend que son intuition était bonne. « C’était la cerise sur le sundae. Ça faisait cinq jours que je nageais dans l’extraordinaire, comme archiviste. J’étais fier d’avoir décidé de le faire. Ça reste un grand moment de ma vie, la visite du général. Un moment exaltant, fou braque. Je n’ai jamais vu autant de monde avec un si grand sourire, puis autant de monde fâché en même temps. Moi je flottais au milieu de ça. »
Jean-Claude Labrecque ne peut s’empêcher de penser que le président « a suivi un petit peu la foule ». « Tout le voyage, note-t-il, il y avait des grandes affiches : Vive le Québec libre ! » Un groupe d’une soixantaine de membres du RIN avait en effet suivi le cortège tout au long du chemin. Ce n’est toutefois pas cette phrase qui a le plus marqué Jean-Claude Labrecque, mais celle où le général compare ce qu’il a vu sur son passage à l’atmosphère de la Libération. « Cette phrase-là, l’histoire l’a un peu effacée, mais je la trouve plus forte. »
Une semaine plus tard
Quand, une semaine plus tard, le cinéaste a reçu de Toronto ses rushes, il a communiqué avec le cabinet de Daniel Johnson pour offrir au premier ministre de les visionner. Surpris et désarçonné par la déclaration du général, ce dernier avait mis plusieurs jours à la commenter publiquement. « Peut-être... Vous savez, M. Johnson est très occupé. Êtes-vous capable de venir nous en montrer une demie-heure ? » répond-on à Jean-Claude Labrecque.
« Je suis descendu à Québec. Il (Johnson) a trouvé ça tellement bon qu’il a décommandé totalement sa journée. Il s’est fait venir un club sandwich puis il a regardé tout le matériel d’un coup. » Le cinéaste se souvient que les membres du cabinet du premier ministre reprochaient à Daniel Johnson, en revoyant les images, d’avoir été trop low profile, d’être trop resté en retrait. Le premier ministre, lui, leur répétait patiemment : « Oui, mais c’était De Gaulle, c’était pas moi. »


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