Il fallait sans doute s'y attendre, mais le débat sur la loi 103 est en train de virer à la foire d'empoigne sur l'utilisation, ou non, de la clause dérogatoire de la Constitution. La clause dite « nonobstant », qui est devenue à la fois un symbole et un enjeu politique qui permet d'occulter tous les autres.
Pour le gouvernement Charest, le jugement de la Cour suprême du Canada invalidant la loi 104 sur les écoles passerelles est l'illustration même d'un débat que le gouvernement a tout fait pour éviter.
Dans l'opposition, les libéraux avaient voté pour la loi 104, qui fermait le recours aux
écoles passerelles. Ces écoles plus ou moins établies qui permettaient à un millier de familles d'obtenir un droit de fréquenter l'école anglaise publique pour toute la descendance après seulement quelques mois d'études en anglais.
Acheter un droit constitutionnel
Au gouvernement, les libéraux ont défendu vaillamment la loi 104 autant en Cour d'appel qu'en Cour suprême. Pour se retrouver avec à un jugement tarabiscoté du plus haut tribunal du pays, qui énonce des principes contradictoires et, à la fin — même s'il s'en défend — finit par ouvrir la porte à l'achat pur et simple de droits constitutionnels.
Mais à la fin, ceux qui auront payé le prix fort — soit trois ans dans une école où les frais de scolarité annuels peuvent atteindre les cinq chiffres — finiront pratiquement tous par obtenir le droit qu'ils recherchent. Cela ne touchera sans doute pas beaucoup de monde, mais c'est le principe de pouvoir s'acheter un droit constitutionnel qui est en cause.
Ce qui nous ramène au débat sur l'opportunité d'utiliser ou non la clause « nonobstant » pour contourner le jugement de la Cour suprême.
Le PQ y voit le seul moyen de préserver la langue française, alors que les libéraux accusent le PQ de n'avoir aucun respect pour les droits individuels.
Au PQ, il y a un avantage partisan évident à demander le recours à la clause dérogatoire : cela rappelle à tout le monde que le Québec n'a pas signé la Constitution de 1982 et que c'est encore Ottawa qui vient charcuter la loi 101.
Au PLQ, le non-recours à la clause dérogatoire est une nécessité tout aussi partisane. C'est devenu une façon d'unir le caucus, puisqu'il est un secret de Polichinelle qu'une grave crise menaçait l'unité du caucus libéral.
Une crise comme en 1988, quand Robert Bourassa avait décidé d'utiliser la clause dérogatoire pour se soustraire au jugement de la Cour suprême sur la langue d'affichage. Il y aurait sans doute eu des démissions et une crise politique, tout comme en 1988.
Le recours au « nonobstant »
Mais, au-delà de la partisanerie, il y avait — il y a toujours — une manière relativement simple de légiférer pour mettre fin aux écoles passerelles sans créer un droit pour riches seulement. Il suffisait d'assujettir toutes les écoles du Québec — privées non subventionnées comme publiques — aux dispositions de la loi 101.
Le tout ne requiert aucunement l'utilisation de la clause dérogatoire, comme l'affirmait le Conseil supérieur de la langue française dans un avis publié en mars dernier. Le président du Conseil, Conrad Ouellon, disait à l'époque que le recours au « nonobstant » n'était pas nécessaire.
Son étude citait les professeurs Daniel Proulx et Jean-Pierre Proulx, pour qui rien dans les chartes des droits ou en droit international n'interdit au Québec de fixer les conditions d'accès à une école non subventionnée, comme il le fait déjà pour une école subventionnée.
Le législateur québécois réglemente d'ailleurs toutes sortes de secteurs d'activités qui ne sont pas subventionnés, sans que l'on pose de questions de nature constitutionnelle. Il est donc possible de n'admettre à une école anglaise que les enfants dont les parents ont fait leur scolarité primaire en anglais au Canada, comme le veut le régime linguistique québécois.
Cette solution est encore d'actualité, selon maints constitutionnalistes. « Le recours à la clause dérogatoire est devenu une distraction au point d'occuper toute la place et d'occulter complètement le débat sur le fond », affirme le professeur Stéphane Beaulac, de la Faculté de droit de l'Université de Montréal.
« Quand la ministre Christine St-Pierre dit qu'elle n'avait d'autre choix que le libellé actuel de la loi 103, cela est sans aucun fondement en droit constitutionnel canadien », ajoute-t-il.
Bref, nos élus, chacun pour ses objectifs partisans, ont choisi de se servir de la clause dérogatoire comme d'un ballon politique.
Les péquistes se drapent dans une sorte de machisme constitutionnel qui consiste à dire que puisque le Québec n'a pas signé la Constitution de 1982, il peut ignorer les droits fondamentaux, comme si la Charte québécoise des droits et libertés ne protégeait pas les mêmes droits que la Charte canadienne.
Les libéraux, eux, utilisent leur refus d'utiliser la clause dérogatoire pour unir un caucus qui risquait la fracture sur des bases linguistiques. Mais c'est au prix de privilégier une solution bureaucratique à la défense de principes clairs.
Une chose est certaine, on est en train de passer à côté du véritable enjeu. Il est possible d'imposer la disparition des écoles passerelles et le respect des principes de la loi 101. À condition de faire le vrai débat!
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