Aurélie Campana - L'auteure est professeure agrégée de science politique à l'Université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les conflits identitaires et le terrorisme.
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La Norvège se réveille groggy, quelques jours après un double attentat meurtrier. À l'horreur et l'incrédulité succèdent de nombreuses interrogations, auxquelles les informations qui ont filtré depuis ne permettent que de répondre partiellement.
Ces attentats frappent tant par leur ampleur, par les méthodes utilisées que par l'identité de leur auteur présumé, un Norvégien de 32 ans, reconnaissant appartenir à la mouvance d'extrême droite. Ce dernier, que d'aucuns pensent avoir été poussé par la folie, semble au contraire avoir planifié et pensé son geste pendant plusieurs années. Il ne fait en cela pas exception: selon la majorité des experts du terrorisme, les terroristes ne souffrent pas en général de déséquilibres mentaux. Ce sont plutôt des individus, évoluant aux marges de la société, qui ne se reconnaissent pas dans les évolutions qui les entourent et développent progressivement un système de croyances qui les enferme dans des logiques exclusivistes et violentes.
Anders Behring Breivik a publié sur l'internet un manifeste de 1518 pages qui comporte de nombreux éléments tentant de justifier l'injustifiable. Si ce texte ne semble pas avoir été entièrement écrit de sa main - il aurait emprunté divers éléments à des sites et forums d'extrême droite, mais également aux écrits d'Unabomber -, il permet de mieux saisir son univers idéologique. Il y tient ainsi des propos islamophobes, se dresse contre le multiculturalisme et y dénonce l'attitude du gouvernement qu'il estime être responsable d'une situation décadente.
Ce sont d'ailleurs ces mêmes élites et ceux qui incarnaient la relève qui ont été pris pour cibles par les attentats qu'Anders Behring Breivik aurait fomentés.
Parallèlement, ses écrits font l'apologie de la violence et du terrorisme, qu'il conçoit comme le seul moyen de défendre ses idéaux et de sensibiliser la population norvégienne à ses arguments. Il annonce par là même une révolution par l'action, un thème récurrent chez de nombreux terroristes, quelle que soit leur idéologie.
Il a également tenté de transformer sa comparution devant un tribunal hier en tribune, réclamant sans succès une audience publique et le droit de revêtir un uniforme. Il cherchait ainsi à se poser en soldat de la cause qu'il dit défendre. Une telle attitude ne se comprend que remise dans le contexte de l'acte terroriste qu'elle vise à prolonger, le terrorisme étant tout autant un acte de violence que de propagande.
Les idées portées par Anders Behring Breivik sont malheureusement loin d'être inédites. S'il a effectivement agi seul, il n'en appartient pas moins à une mouvance de plus en plus active en Europe et aux États-Unis. Les groupes d'extrême droite pullulent sur les deux continents depuis le début des années 2000 et plus particulièrement depuis 2008.
La majorité se contente d'alimenter et de diffuser une idéologie aux accents racistes et xénophobes, mais certains envisagent ouvertement la violence comme une stratégie acceptable.
Plusieurs experts ont montré l'influence des groupes américains sur l'extrême droite groupusculaire européenne. Les thèmes de l'immigration, de la place de l'islam, du rôle de l'Union européenne sont récurrents dans les débats.
Il serait ainsi erroné de considérer Anders Behring Breivik comme isolé, puisqu'il semblait fréquenter cette communauté, dont il se définit comme un membre à part entière. Il avoue des contacts avec la Ligue de défense anglaise à Londres, ce que l'organisation dément avec véhémence. De même, il a indiqué avoir été recruté par deux Anglais, toujours à Londres en 2002. De possibles contacts avec un ou des Polonais sont en cours d'investigation.
Ces attentats sonnent comme un avertissement pour de nombreux États; ils amèneront à n'en pas douter un ajustement des politiques de lutte contre le terrorisme, qui se sont trop longtemps concentrées sur la menace - réelle - que représentent les groupes islamistes, négligeant le potentiel de violences porté par d'autres groupes, en particulier ceux appartenant aux mouvances d'extrême gauche et d'extrême droite.
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