Un apartheid référendaire - Les immigrants, «qu'ossa donne»?

Canada-Québec - sortir ou rester ? <br>Il faudra bien se décider un jour...


J'ai été surpris, comme certainement beaucoup d'autres personnes, par les propos que Raymond Lévesque a tenus au sujet du «vote des immigrants», devant la Commission des aînés. Ma surprise fut encore plus grande quand je constatai, en lisant Le Devoir des 4-5 mars 1995, que l'un de nos artistes que j'aime persiste et signe les mêmes propos. J'ai eu le souffle coupé quand La Presse canadienne a rapporté dans Le Devoir du 2 mars dernier l'invitation que Jean-Marc Léger lance à l'ensemble des «néo-Québécois» de «s'abstenir ou d'y penser deux fois avant de voter au prochain référendum sur la souveraineté du Québec». Pourquoi donc?
Pour Raymond Lévesque, il serait antidémocratique «qu'un petit groupe puisse s'opposer à la volonté d'un plus grand nombre». Il ajoute: «Et ce ne sont pas du tout des propos racistes. Au contraire. Tous ces gens sont bienvenus et la plupart nous apportent beaucoup par leur travail et leurs investissements. Mais dans ce cas précis, je trouve qu'ils n'ont pas leur place.»
Bafouer notre espoir?
Et pourquoi ils n'ont pas leur place en ce moment historique de la société québécoise? L'artiste répond: «Je refuse que des gens qui ne connaissent rien à notre histoire puissent bafouer notre espoir de devenir souverains.» Alors, mon cher Lévesque, où devons-nous avec nos enfants apprendre l'histoire du Québec? À l'école, n'est-ce pas?
Mais qu'en est-il en fait? L'écrivain Yves Beauchemin a répondu dans le Le Devoir du 23 février 1995: «Mais, justement, les Québécois la connaissent si mal, cette histoire! Et on craint tellement d'y faire référence. Son enseignement, depuis le milieu des années 60, a été réduit à presque rien. Mes fils en ont appris un peu en secondaire IV. Et durant ses neuf années de pouvoir, le Parti québécois n'a rien fait pour corriger les choses (autre effet de sa tiédeur étonnante pour la culture, seule raison d'être pourtant de son combat).»
Et quand ces «gens» retrouveront-ils leur place au Québec? Après que la majorité des Québécois de souche auront voté oui ou non pour un Québec souverain? Pourquoi un Québec souverain aurait-il de nouveau besoin de ces «gens» à qui on aurait, quelque temps auparavant, refusé le droit de vote? Pour leur force de travail et leurs investissements économiques, n'est-ce pas?
Vous avez tout à fait raison et je vais vous le redémontrer dans un secteur particulier, soit l'université. En plus de leurs enseignements, leurs recherches et leurs services à la collectivité, bon nombre de professeurs québécois issus des «communautés culturelles» ont été à l'origine de nombreux projets de coopération entre les universités québécoises et les universités africaines, antillaises, asiatiques, latino-américaines. L'apport des «néo-Québécois» dans d'autres secteurs de l'économie québécoise, comme l'alimentation, la restauration, l'industrie, le commerce, la culture, etc., est également bien connu et reconnu, pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir ici.
Pour Jean-Marc Léger, les néo-Québécois ne devraient pas prendre part au référendum dans la mesure où leur arrivée au Québec serait relativement récente. Tout étant relatif, il faudrait donc que l'Assemblée nationale vote une loi pour déterminer le temps minimal d'arrivée au Québec qui autorise les gens à voter lors du référendum. Cinq ans? Dix ans? C'est peu dans la vie d'une personne. Vingt ans? Trente ans? C'est court dans l'histoire d'une société. Cent ans? Trois cents ans? C'est insignifiant dans l'histoire de l'humanité. Autres arguments de M. Léger: le degré de maîtrise de la langue nationale, le sentiment d'intégration qu'éprouve le «néo-Québécois».
Comment évaluer tous ces éléments chez les citoyens? Pourquoi pas la couleur de la peau, des yeux, le Q. I., etc.? Les Québécois de souche qui ne «possèdent pas suffisamment en tout cas la langue nationale pour lire les journaux en français et suivre les débats» auraient-ils plus le droit de vote que les «néo-Québécois» récemment arrivés mais qui maîtrisent bien le français, c'est-à-dire la langue de Molière, de Félix Leclerc, de Gilles Vigneault, de Michel Tremblay, de Léopold Senghor, d'Aimé Césaire ou de Cheick Hamadou Kane?
Raymond Lévesque évoque par ailleurs la connaissance de l'histoire du Québec pour voter au référendum. À ce que je sache, l'économie fait partie de l'histoire d'une société. Or, l'artiste admet que les immigrants participent au développement économique du Québec, donc de son histoire. Est-il besoin de souligner que les «néo-Québécois» participent au développement culturel et social du Québec, soit comme parents, comme professionnels, travailleurs, artistes, intellectuels, etc.? Quelques faits éloquents à cet égard. Au Salon du livre de l'Outaouais au printemps 1993, c'est mon fils de 11 ans qui était venu me signaler qu'un de mes artistes et poètes préférés, c'est-à-dire Raymond Lévesque, l'auteur du désormais célèbre Quand les hommes vivront d'amour, était là.
J'étais alors allé lui serrer la main. J'avais acheté une affiche de sa chanson qu'il m'avait dédicacée: «À Yao, cette chanson qui s'adresse au coeur. Merci. Amitié. Signé Raymond Lévesque, Hull, le 27 mars 1993.» Bon nombre de mes étudiants québécois «de souche» ont découvert Raymond Lévesque en voyant cette affiche dans mon bureau à l'Université du Québec à Hull.
Dans mes cours, je «suis à cheval» sur la maîtrise du français parlé et écrit. Je dis à mes étudiants que c'est le seul moyen de conserver notre langue, nous les francophones d'Amérique et du monde. Dans mes cours de sociologie, je parle de Nouvelle-France, du Bas-Canada et du Haut-Canada, de la «Laurentie»; de la Révolution tranquille, de la Réforme Parent.
Je leur parle des grandes femmes et des grands hommes du Québec: Thérèse Casgrain, Simone Chartrand, Jeanne Sauvé; de Maurice Duplessis, André Laurendeau, Jean Lesage, Trudeau, des «Trois colombes», de René Lévesque, pour ne citer que celles-là et ceux-là; de l'influence que des écrivains négro-africains tels que Aimé Césaire, Frantz Fanon, ont eue sur certains intellectuels québécois dans les années 50-60; de la Crise d'octobre 1970, de l'emprisonnement des trois chefs syndicalistes Pépin-Charbonneau-Laberge; des publications marxistes de la CEQ: L'école au service de la classes dominante, Pour une journée au service de la classe ouvrière; de l'élection du Parti québécois en 1976 et du référendum de 1980.
Le défi est lancé
Des facteurs d'ordre démographique, économique, culturel, politique et humanitaire expliquent qu'en ce XXe siècle finissant, le Québec soit pluriethnique et pluriculturel. Les nouveaux arrivants participent, non sans soubresauts, à l'histoire de cette nouvelle société.
Le défi est lancé à l'ensemble de ses habitants de construire autour et à partir de la culture québécoise un Québec nouveau dans le Canada ou un Québec souverain selon la volonté populaire et démocratique de tous les citoyens.
Dans ce défi, il appartient de beaucoup aux concitoyens de «souche» d'offrir une qualité d'accueil aux nouveaux venus de manière à bien les initier à la québécité et à bien les intégrer à la majorité québécoise, à la francophonie, à la québécitude. Mais quand des artistes et des intellectuels respectueux et de l'envergure de Raymond Lévesque et Jean-Marc Léger (ancien premier secrétaire de l'Agence de coopération culturelle et technique - La francophonie mondiale) commencent par défendre une sorte «d'apartheid référendaire» basé sur la date d'arrivée des immigrants citoyens, leur sentiment d'intégration, leur connaissance de l'histoire (quasi absente dans les programmes scolaires de nos écoles), le nationalisme ou ce nationalisme m'effraie, me fait peur. On ne peut mieux dire ou mieux faire pour éloigner davantage les «néo-Québécois» de la majorité québécoise.
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Assogba, Yao
Professeur au département du travail social Université du Québec à Hull


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