Les premiers ministres fédéral et provinciaux se retrouveront finalement pour casser la croûte vendredi prochain. Une petite soirée informelle d'à peine quelques heures pour se pencher sur les inquiétudes économiques des uns et des autres.
Voilà bientôt deux ans que cela ne s'est pas produit. Malgré sa promesse de fédéralisme d'ouverture, Stephen Harper n'a jamais cherché à établir une certaine collégialité entre ses homologues et lui. Il s'en est tenu à des relations bilatérales, quand il acceptait d'avoir des tête-à-tête, ce que certains premiers ministres ont parfois eu de la difficulté à obtenir.
De mémoire récente, impossible de trouver un premier ministre aussi peu friand que Stephen Harper de ces rencontres au sommet avec ses homologues. Tous ses prédécesseurs s'y sont pliés, qu'ils aient apprécié le procédé ou non. Il est vrai que, pour Stephen Harper, l'ouverture consiste avant tout à se mêler autant que possible de ses affaires et à ne pas se mêler de celles des provinces. On ne s'en plaindra pas, bien au contraire, mais le Canada reste une fédération qui est plus qu'une collection de provinces isolées, surtout lorsqu'il est question d'économie.
Concertation et cohérence dans l'action restent une nécessité, surtout quand l'incertitude pointe à l'horizon, comme c'est le cas actuellement avec un dollar fort, un prix du pétrole en ascension, une économie américaine qui tangue.
Il est vrai que les provinces n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts ni les mêmes problèmes. Le Québec et l'Ontario s'inquiètent de l'effet d'un dollar robuste sur le secteur manufacturier, où des dizaines de milliers d'emplois ont disparu mais où le prix des équipements achetés aux États-Unis a baissé. Les deux provinces souhaitent, comme le Manitoba, que le fédéral aide les entreprises à se moderniser en soutenant plus longtemps l'achat d'équipement. Les mesures fiscales à cet effet doivent prendre fin cette année.
Tous les exportateurs sont préoccupés, mais le secteur forestier est particulièrement touché par la flambée du dollar, lui qui vient de traverser la crise du bois d'oeuvre. Québec demande à Ottawa d'appuyer la formation et la transition vers la retraite des milliers de travailleurs licenciés. Quant au prix du pétrole, il affecte tout le monde tout en profitant à quelques provinces, c'est-à-dire celles qui en produisent.
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La plupart des provinces ne roulent pas sur l'or, alors qu'Ottawa affiche encore des surplus. La dernière Revue financière du ministère fédéral des Finances parlait d'un déficit de 2,7 milliards pour le mois d'octobre, une fois prises en considération toutes les réductions d'impôt rétroactives du mini-budget. Malgré cela, l'excédent pour l'année en cours atteignait encore 6,6 milliards, sept mois après le début de l'année financière.
Les premiers ministres fédéraux se montrent toujours bien disposés à l'égard des provinces avant de se faire élire, mais une fois au pouvoir, ils les trouvent généralement bien emmerdantes avec leurs incessantes demandes d'argent. Il reste que le fédéral est le seul à pouvoir intervenir, directement ou à travers la fiscalité, sur l'ensemble de l'économie canadienne. Et en plus, il en a les moyens.
Conscients d'être perçus comme d'éternels quêteux, plusieurs premiers ministres provinciaux ont laissé entendre qu'ils se présenteraient à Ottawa sous un autre jour, c'est-à-dire comme des leaders qui ont déjà fait leur part pour aider leurs entreprises et qui attendent du fédéral qu'il en fasse autant.
Encore hier, le premier ministre ontarien Dalton McGuinty disait vouloir expliquer son propre plan d'action à Stephen Harper, à savoir des investissements dans la formation, les infrastructures, la fiscalité des entreprises et des partenariats stratégiques. «Nous voulons inviter le premier ministre à aller au-delà de cette approche qui consiste essentiellement à réduire les taxes et à dire que c'est ainsi qu'il renforcera l'économie», a-t-il ajouté. Son jugement sur la stratégie fédérale est catégorique: «Simplement réduire les taxes pour ensuite se croiser les bras, rester à l'écart et permettre aux forces de destruction créatrice de faire leur effet est inacceptable.»
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M. McGuinty a déjà averti qu'il n'acceptera pas l'excuse de coffres moins garnis que prévu. Or, lors de leurs entrevues de fin d'année, le premier ministre et le ministre des Finances, Jim Flaherty, ont averti qu'étant donné l'état de l'économie, il ne fallait pas attendre de nouveaux allégements fiscaux. Cela ne les a pas empêchés cependant de se livrer, la veille du jour de l'An, à un petit cinéma dans un magasin d'électronique de Toronto pour rappeler aux Canadiens la nouvelle réduction de la TPS.
Du coup, ils nous ont rappelé qu'Ottawa avait décidé d'abandonner cinq milliards par année de marge de manoeuvre en échange de résultats économiques douteux. Ces milliards auraient pu avoir un effet plus positif sur l'économie s'ils avaient servi à venir en aide aux secteurs en difficulté. Exactement ce que demandaient les provinces, le Québec en particulier, à la veille du minibudget de cet automne, ce qu'elles n'ont pas obtenu.
Auront-elles plus de succès vendredi? La rumeur veut que le gouvernement Harper annonce d'ici là des mesures d'appui aux secteurs forestier et automobile. Il faudra en connaître la teneur avant de prédire la réaction des provinces.
Chose certaine, Stephen Harper ne s'est pas donné beaucoup de temps pour en arriver à des solutions collectives... s'il en souhaite. On comprend qu'il n'ait pas voulu tenir une de ces conférences qui suscitent toujours trop d'attentes, mais ce dîner a des allures de figure imposée. Une journée de travail bien préparée, tenue en privé, n'aurait pas été de trop après un hiatus de deux ans et la multiplication des points de tension entre son gouvernement et plusieurs provinces. Surtout qu'il y a peu de chances qu'il puisse répéter l'exercice avant les prochaines élections.
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mcornellier@ledevoir.com
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