Le premier ministre n'a toutefois pas eu le choix. S'il avait pu résister aux pressions de l'opposition et opter, la semaine dernière, pour la nomination d'un conseiller indépendant chargé de lui indiquer la voie à suivre, sa position est devenue intenable hier. D'abord, parce que Brian Mulroney a lui-même souhaité la tenue d'une telle enquête et, ensuite, parce que le Globe and Mail a révélé que M. Schreiber avait écrit à Stephen Harper il y a six semaines pour l'informer que ses liens d'affaires avec M. Mulroney auraient commencé alors que ce dernier était toujours premier ministre. (Le bureau de M. Harper dit toutefois ne pas avoir vu la missive en question.)
Les événements ont forcé la main à M. Harper, lui qui préfère tout contrôler et s'en tenir aux plans établis. Les imprévus ont d'ailleurs tendance à le faire trébucher. Il suffit de penser à ses réactions initiales aux mauvais traitements infligés aux détenus afghans ou encore à la guerre au Liban, il y a un peu plus d'un an.
La rapidité avec laquelle il a cette fois opéré un virage à 180 degrés en dit long sur ce qui est en jeu: le sort, à court terme, de son gouvernement et de son parti. En mettant sur pied une commission d'enquête, Stephen Harper gagne du temps. Il doit encore nommer son conseiller indépendant, qui mettra lui-même plusieurs jours pour lui soumettre un projet de mandat pour ladite commission. Il faudra ensuite former cette dernière qui, à son tour, devra prendre le temps nécessaire pour se mettre en branle. Autant dire plusieurs mois, ce qui pourrait rejeter les premières audiences publiques, s'il y en a, après les prochaines élections.
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En attendant, les esprits vont se calmer, et tout le monde pourra parler d'autre chose. C'est du moins l'espoir secret des conservateurs. Mais il y a un hic, et ce hic a un nom: Karlheinz Schreiber. Ce dernier a averti qu'il ferait tout pour ne pas être extradé vers l'Allemagne, où il doit répondre à des accusations de malversations. Il a aussi promis qu'il ne partirait pas sans faire beaucoup de bruit, et il en a donné un avant-goût depuis quelques semaines en multipliant les allégations sur les circonstances ayant entouré le versement à Brian Mulroney de 300 000 $ en argent comptant, en 1993 et 1994. Les deux hommes sont devant les tribunaux au sujet de cette somme, et c'est dans le cadre de cette poursuite que M. Schreiber a affirmé sous serment avoir discuté de ces versements avec M. Mulroney alors qu'il était toujours en poste.
Hier, M. Schreiber a en partie gagné son pari: tous les partis d'opposition demandent maintenant au gouvernement de ne pas l'extrader avant qu'il ait pu témoigner devant la future commission. Mais personne ne sait s'il continuera ou non à faire des allégations au compte-gouttes.
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Cette affaire expose déjà les lignes de fracture de la coalition conservatrice encore toute jeune. La branche réformiste et allianciste du PC n'a jamais aimé être associée à Brian Mulroney, alors que la branche progressiste-conservatrice lui a toujours voué une grande admiration. Cette dernière sait aussi que le nouveau Parti conservateur n'aurait jamais vu le jour sans son intervention et que, sans cette union, les alliancistes n'auraient jamais pris le pouvoir. Pas question dans ces conditions de larguer l'ancien patron sans ménagement.
Pour l'équipe Harper, la tuile est pesante, surtout à ce moment-ci. Malgré les apparences, sa bonne posture est fragile. Le taux de chômage est à son plus bas, mais la flambée du dollar nuit aux manufacturiers et à d'autres secteurs industriels. De plus, l'inflation menace dans l'Ouest, et l'économie des États-Unis, notre premier marché, est vulnérable. Si l'économie devait ralentir, les conservateurs en subiraient le contrecoup.
Autre sujet de préoccupation: la méfiance à leur endroit. Ils n'arrivent pas à la surmonter. Chaque fois qu'un sondage leur laisse croire qu'une majorité est à portée de la main, leur rêve s'envole avec l'enquête suivante. La semaine dernière, Ipsos-Reid leur accordait 42 % des intentions de vote. En fin de semaine, Strategic Counsel a plutôt observé une chute constante des appuis conservateurs. Résultat: libéraux et conservateurs étaient à égalité à 32 %. Les appuis du PC avaient fléchi, alors que le PLC avait profité d'une remontée équivalente à la baisse du NPD. Comme si les électeurs, effrayés par une majorité conservatrice, s'étaient rabattus sur le parti le plus susceptible de la stopper.
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Certains événements des dernières semaines n'ont pas aidé. La décision du gouvernement Harper de ne plus invoquer la clémence pour tout Canadien condamné à mort dans un autre pays démocratique a rappelé à certains quelques vieux démons conservateurs. L'insistance à vouloir réformer le Sénat, ou à l'abolir, a mis en évidence de vieilles obsessions réformistes et jeté un doute sur les priorités du gouvernement. Et maintenant, cette affaire Mulroney vient hanter un gouvernement qui veut faire de l'éthique sa marque de commerce. Or, chaque révélation, vraie ou fausse, ravive les doutes que les Canadiens entretenaient à l'égard de l'intégrité des conservateurs, doutes qui ont contribué à leur raclée de 1993 et au succès des réformistes.
M. Harper doit espérer de tout coeur pouvoir diriger son gouvernement et mener la prochaine campagne électorale sans avoir à disputer les manchettes à Brian Mulroney. Ce ne serait cependant qu'un répit. L'enquête publique signifie qu'un jour ou l'autre Brian Mulroney, un leader dont la réhabilitation populaire est loin d'être terminée, prendra le devant de la scène, pour laver sa réputation, espère-t-il, mais cela prendra des semaines, sinon des mois. Entre-temps, la loyauté des conservateurs sera mise à dure épreuve. Cette enquête pose par conséquent le risque bien réel de diviser le PC, comme la commission Gomery a divisé les libéraux.
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mcornellier@ledevoir.com
Le boulet
Stephen Harper en avait autant besoin que d'un mal de dents: une enquête publique sur les relations entre Brian Mulroney et Karlheinz Schreiber.
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