En plein déclin, le coeur rouillé de l’industrie lourde américaine bat à nouveau, cette fois pour Donald Trump. Dans l’ouest de la Pennsylvanie, où les mines de charbon et les usines d’acier ferment les unes après les autres, les ouvriers tournent le dos aux démocrates pour tenter leur chance avec le milliardaire.
À une vingtaine de kilomètres à l’est de Pittsburgh, le long de la rivière Monongahela, l’usine sidérurgique Edgar Thomson crache encore sa fumée blanche et ses odeurs de soufre dans le ciel de la petite ville décrépite de Braddock. En activité depuis 1875, la première usine du magnat de l’acier Andrew Carnegie est l’une des rares à résister au déclin qui frappe le coeur industriel des États-Unis depuis les années 1980. Mais pour combien de temps encore ?
« Dans cette élection, je sais que mon job est en jeu », lance Glenn Miller en prenant place dans son rutilant Dodge Ram après son quart de travail. Le travailleur syndiqué de 38 ans gagne 65 000 $ par année — en plus de jouir d’une assurance-maladie et d’une confortable pension. Il sait que ce type d’emploi est une rareté par les temps qui courent. L’usine de Braddock, qui produit 9000 tonnes d’acier par jour grâce à ses deux hauts fourneaux, n’a plus que 550 ouvriers dans ses rangs, alors qu’ils étaient 900 il y a un peu plus de dix ans… et 3000 à la fin des années 1970. Dans un rayon de trois kilomètres, au moins quatre usines sidérurgiques rouillent au milieu de clairières abandonnées.
Pour protéger son emploi, Glenn Miller n’a aucune confiance en Hillary Clinton. « Son mari [Bill Clinton] a signé le libre-échange avec le Canada et le Mexique. C’est ça qui a tué l’industrie de l’acier. Et Hillary a défendu le PTP [Partenariat transpacifique] quand elle était secrétaire d’État… Ce qu’il faut, c’est réinstaurer des droits de douane. Et Trump a dit qu’il le fera. Il a mon vote », dit-il en crachant sa chique dans une bouteille d’eau en plastique.
Contre le libre-échange
Jadis un bastion démocrate, les syndiqués de l’acier sont fortement tentés par le discours de Donald Trump, qui promet de ramener les emplois manufacturiers dans la Rust Belt, berceau américain des industries lourdes. La tendance pousse plus que jamais les ouvriers dans le camp républicain, alors que leur syndicat appuie officiellement le candidat démocrate, comme le font la plupart des syndicats américains depuis des décennies.
« Plusieurs de nos travailleurs voteront pour Trump. Ça m’effraie », confie Jim Johnston, qui représente les travailleurs de l’usine de Braddock auprès du syndicat United Steelworkers. « Il est habile. Il touche un nerf sensible avec son message contre le libre-échange. Parce que c’est vrai que les mauvais traités ont détruit 12 000 emplois dans l’industrie sidérurgique au cours de la dernière année seulement [il en resterait 87 000 à travers le pays]. C’est vrai que la Chine tue notre industrie en manipulant sa devise et en nous vendant ses produits manufacturiers à un prix inférieur au coût de production. C’est carrément du dumping ! »
Partisan de Bernie Sanders lors des primaires, notamment pour ses positions contre le libre-échange, celui qui a travaillé des hauts fourneaux jusqu’à la coupe des blocs d’acier s’est résolu à voter pour Hillary Clinton. « Notre syndicat croit qu’elle ne signera pas le PTP », dit-il pour se justifier, tout en précisant qu’elle ne soulève chez lui aucun enthousiasme.
Terre brûlée… et fertile
« Nous sommes vraiment contents que Clinton ait finalement décidé de s’opposer au PTP », avoue Tim Waters, directeur politique national du syndicat United Steelworkers. Forte de ses 1,2 million de membres, la plus grande organisation syndicale industrielle des États-Unis — aussi présente au Québec sous le nom des Métallos — fait activement campagne pour la candidate présidentielle. « Nous avons passé beaucoup de temps avec elle et nous avons confiance en elle là-dessus. Et ce n’est pas facile d’avoir confiance sur ce sujet. Nous avons souvent été déçus [par les politiciens] et ç’a causé une véritable dévastation chez nos membres. Des communautés entières ont été décimées par les mauvais traités de libre-échange », explique M. Waters, assis dans une salle tapissée de pancartes « Clinton-Kaine » au bureau principal du syndicat au centre-ville de Pittsburgh. Selon des chiffres souvent repris dans la région, un emploi perdu dans l’industrie affecte entre « 4,5 et 10 autres emplois » dans la communauté. « C’est une terre brûlée ! » résume M. Waters.
Cette terre s’avère très fertile pour le candidat milliardaire, qui est venu régulièrement faire campagne dans les environs de Pittsburgh. « C’est le sweet spot pour Trump. La région compte une forte proportion de Blancs, de cols bleus, sans études universitaires », explique M. Waters.
Bien qu’Hillary Clinton jouisse d’une avance de 5 points sur son rival dans les sondages à l’échelle nationale, Donald Trump détient un vertigineux avantage de 30 points dans cette tranche de l’électorat, selon un coup de sonde de CNN diffusé le 25 octobre.
« Quand il est arrivé et qu’il a martelé son message contre le libre-échange, il apparaissait comme la bonne personne, raconte Tim Waters. Mais on a pelé l’oignon pour montrer que ce n’était vraiment pas le cas. C’est un hypocrite. Quand il avait une chance de se soucier des travailleurs en tant qu’homme d’affaires, il allait chercher en Chine ou ailleurs à l’étranger pratiquement tous les objets que l’on retrouve dans ses hôtels, de la lampe à la bible dans la commode ! C’est un loup dans la bergerie déguisé en mouton. »
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